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Le concept de représentation : éléments de définition

2. La représentation sociale

Les représentations mentales concernent le raisonnement individuel hors de tout contexte relationnel et social. Or la vie en société influence considérablement les processus cognitifs, la formation des représentations, et leur impact dans l’activité humaine. Elle permet notamment le partage des expériences et des références grâce auxquelles les représentations sociales prennent corps.

Il est vraisemblable que les points de vue de deux ingénieurs sur leur profession soient plus proches que celui d’un ingénieur et d’un boulanger. Leur formation commune, leur relation quotidienne avec leurs collaborateurs ou leur connaissance de l’entreprise comptent parmi les facteurs expliquant cette communauté d’interprétation entre individus d’un même groupe social, tout comme les divergences entre individus de groupes différents. La somme d’expériences partagées par un groupe les lient par un ensemble de représentations sociales

étrangères à celui qui n’a pas vécu les mêmes situations. Ces représentations, combinées entre elles selon des schémas spécifiques, permettent aussi de distinguer un expert d’un néophyte.

Par voie de conséquence, les représentations sociales peuvent être un facteur de différenciation des attitudes et des comportements. Ces différences, lorsqu’elles sont significatives, peuvent générer des difficultés d’intensité variable. Malgré cela, le travail collectif suppose généralement que les membres d’une équipe se comprennent et soient d’accord sur leur objectif et sur la manière de l’atteindre, s’ils veulent éviter d’aboutir à des situations conflictuelles. L’intérêt de mieux comprendre ce que sont les représentations sociales réside, d’une part, dans la possibilité d’expliquer l’origine des comportements d’un groupe et, d’autre part, d’identifier les points de divergence éventuels avec les agissements attendus de la part de ce groupe.

La définition du concept de représentation sociale fait l’objet du premier paragraphe de cette section, suivi de la description des principaux courants théoriques. Nous développons ensuite les notions essentielles à la bonne compréhension du concept. Enfin, nous expliquons, dans la seconde partie de cette section, comment, parmi d’autres, la théorie du noyau central met tout particulièrement en évidence les similitudes ou les différences entre plusieurs représentations sociales.

A. Définition du concept de représentation sociale.

Pourquoi parler de représentations sociales ? Les psychosociologues se sont penchés sur cette question qui est celle des relations entre l’individu et le groupe, et qui implique de bien distinguer représentations mentales et sociales. Ils cherchent dans l’analyse des représentations et des actes à « essayer de comprendre et d’expliquer comment les pensées,

les sentiments et les comportements des individus sont influencés par la présence imaginaire, implicite ou explicite des autres86. »

Ils ont notamment montré que les représentations se transforment en passant du plan individuel au plan collectif, et agissent de façon significative sur le comportement. Nos relations sociales sont constituées de multiples rapports symboliques organisés au moyen de représentations. Mais ce concept très riche n’est pas défini par tous les scientifiques de la même façon, ceux-ci ne lui attribuant pas les mêmes caractéristiques. Plusieurs notions doivent être explicitées, des représentations collectives à celles d’un groupe restreint.

I. Les représentations collectives.

Pour Emile Durkheim, la représentation collective est une représentation des connaissances universelle et impersonnelle, alors que la représentation mentale est spécifiquement individuelle. Elle est stable dans le temps et dans son contenu que « seuls des événements

d’une suffisante gravité réussissent à affecter. » Elle est « l’assiette mentale de la société87. »

Un peuple ou les salariés d’une entreprise partagent des représentations collectives. Elles paraissent de ce fait relativement permanentes, homogènes et objectives. Cependant, cette impression de solidité a été battue en brèche par de nombreuses études. Elles montrent qu’au contraire les représentations collectives sont instables et hétérogènes, partagés par certains individus seulement, tandis qu’elles sont modifiées ou dénaturées par nombre d’entre eux88. C’est pourquoi le concept a évolué en représentation sociale.

II. Les représentations sociales.

Ce concept développé par Serge Moscovici devint rapidement un fondement du courant socio-cognitif89. Plusieurs définitions sont données des représentations sociales, dont voici les plus significatives :

‰ « Des modèles mentaux (jouant un) rôle central et unificateur en représentant les

objets, les états des affaires, les séquences d’événements90. »

‰ Un « métasystème » de « savoirs sociaux » intervenant sur les organisations cognitives, des « formes de connaissances courantes », de sens commun, socialement construites et partagées, permettant et régulant un échange socialisé91.

‰ Des « guides d’action » dans la vie sociale92.

‰ Une « forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée

pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social93. »

87 DURKHEIM E., 1967, p. 609

88 On peut se reporter, en sciences de gestion, aux applications faites par PERRET V. et EHLINGER S., 1995, ou VIDAILLET B. et alii, 2003

89 MOSCOVICI S., 1992, 2000, MOSCOVICI S. et DOISE W., 1997 ; MOSCOVICI S. (dir.), 2000

90 JOHNSON-LAIRD P., 1986

91 JODELET D., 1991

‰ Une « grille de lecture et de décodage de la réalité94. »

‰ « Un ensemble de concepts, d’énoncés et d’explications qui proviennent de la vie

quotidienne95. »

‰ « Des systèmes de pensées larges, idéologiques ou culturels qui se forment dans les

interactions des individus » et sont « une version contemporaine du sens commun96. »

On voit qu’il existe une certaine variété pour définir ce concept. Il est, selon les uns ou les autres, un modèle d’action, un ensemble de savoirs utiles dans la vie quotidienne, ou encore un système de pensée commun aux membres d’un groupe. Jodelet précise que la représentation sociale est « une "modélisation" de l’objet directement lisible dans, ou inférée

de divers supports linguistiques, comportementaux ou matériels. (…) Elle est une forme de connaissance. Qualifier ce savoir de "pratique" réfère à l’expérience à partir de laquelle il est produit, aux cadres et conditions dans lesquels il est produit et conditions dans lesquelles il est, et surtout au fait que la représentation sert à agir sur le monde et autrui97. »

La représentation sociale se révèle être une interprétation commune de la réalité, construite à partir de facteurs présents dans l’expérience propre à toutes les personnes qui l’emploient. Elle permet d’organiser, d’adapter et de maîtriser son environnement, et d’orienter sa conduite. Elle parait d’autant plus importante si l’on se trouve en situation de changement.

Cependant, le manque de clarté des définitions précitées fait dire à certains que le concept de représentation sociale n’est pas plus précis que celui de la représentation collective. Plusieurs auteurs se recentrent alors sur le collectif organisationnel et sur ses représentations spécifiques.

III. Les représentations organisationnelles.

Leur contenu et leur forme, liés aux activités concrètes à réaliser, sont plus évolutifs. Elles seraient temporaires et destinées à disparaître une fois l’activité terminée et/ou la situation changée. Vues sous cet angle, les représentations organisationnelles sont « des construits

socio-cognitifs dynamiques, de nature diverse, qui s’élaborent et sont activés lors des

93 JODELET D., 1997, p. 53

94 ABRIC J.-C., 2001

95 HEWSTONE, 1995, p. 278

96 D’après MIHAYLOVA S., 1999

processus d’interprétation et de traitement d’information, dans le cadre d’activité où interagissent plusieurs acteurs organisationnels (individus ou groupes d’individus) 98. »

Elles seraient donc partiellement mémorisées, et ont de ce fait un sens différent de celui des représentations sociales. Mais elles sont partagées par les membres d’une organisation pour permettre une harmonisation dynamique et évolutive des actions individuelles et collectives, en faisant jouer les synergies interindividuelles99. Pourtant, ce partage semble instable et fluctuant, disparaissant avec la situation ou la tâche à exécuter. Il est par exemple difficile de rester solidaire lorsque l’on est éloignés les uns des autres.

Cette volatilité du concept a été analysée dans le cas de petits groupes. Pour une organisation entière, telle qu’une entreprise de grande taille, qu’en est-il exactement ? Il peut être vital de partager et d’harmoniser les représentations pour la bonne cohérence des actions. Les dirigeants ont une fonction importante dans la création et la diffusion des représentations qu’ils veulent voir partagées au sein de l’entreprise. D’autres chercheurs ont donc approfondi la notion de représentation dans un contexte de groupes restreints.

IV. Les représentations groupales.

On parle ici de représentations partagées par un groupe de taille relativement réduite, homogène quand à sa définition dans une organisation. Une représentation groupale est « un

construit dynamique illustrant le sens commun donné à un rôle dans l’entreprise100. » Elle est

partagée entre les membres d’un groupe, évolue par le biais de leurs relations, et suscite à la fois des synergies et des tensions entre eux. Elle est caractéristique des similitudes que l’on peut rencontrer entre personnes qui ont les mêmes fonctions, et des différences qui les opposent éventuellement à d’autres personnes.

Dans ce sens, chaque métier, chaque catégorie de personnel fait l’objet de représentations spécifiques, les unes par les acteurs du métier ou de la catégorie, les autres par les tiers. Par exemple, les vendeurs peuvent se voir comme les acteurs essentiels qui créent le revenu de l’entreprise et la font vivre, tandis que le public peut voir en eux des individus volubiles avant tout soucieux du niveau de leur chiffre d’affaires et de leur salaire. Ce ne sont là que des images partielles, des représentations d’un groupe de personnes, selon différents points de vue. La définition de la représentation groupale reste évasive et très générale.

98 EHLINGER M., 1996, p. 42

99 TEULIER-BOURGINE R., 1997

V. Notre définition de la représentation sociale.

Finalement, quelle définition employer dans nos travaux ? Certains chercheurs tels que Weick101 vont jusqu’à affirmer que l’action collective peut se passer de représentations partagées entre ceux qui la réalisent. Il s’agit là d’une vision restrictive : on se rend compte que les sociétés modernes ont besoin de cadres cognitifs communs pour assurer leur cohérence et leur pérennité. Sans cela, de fréquents problèmes de tensions interindividuelles et intergroupales apparaissent et expriment un manque de compréhension mutuelle.

L’excès de divergence de représentations sur des variables clés est en ce sens néfaste à l’efficacité collective, tout particulièrement dans une structure de grande taille rassemblant de nombreux individus telle qu’une entreprise. Que faire si chacun est intimement convaincu de savoir comment agir sans jamais se référer à son entourage ?

C’est pourquoi nous prenons appui sur les auteurs précités qui considèrent, d’une part, que l’homogénéité des représentations sociales favorise l’exercice d’une activité collective, et que, d’autre part, le changement de telles représentations précède le changement d’orientation de l’activité.

Par conséquent, une organisation a peu de chances d’être cohérente s’il perdure en son sein des représentations sociales obsolètes, ou si les représentations existantes divergent trop les unes des autres. Certes, un dirigeant, un cadre administratif et un ouvrier ont vraisemblablement des visions différentes de ce que doit être leur entreprise. Cela n’empêche pas qu’ils doivent partager les éléments fondamentaux au cœur de leurs représentations respectives. Même un fort pouvoir de coercition ne peut éviter, sans cela, des tensions et des ruptures entre les individus et les groupes constituant l’organisation.

Travaillant sur l’action collective à l’échelle d’une force de vente, nous trouvons dans ces arguments les raisons essentielles qui nous font délaisser les représentations individuelles au profit des représentations sociales102. Les premières ont permis d’expliquer le processus par lequel une personne saisit la réalité et lui donne du sens. Les secondes sont les plus à même d’expliquer les motivations et les processus par lesquels un individu ou un groupe agit dans un contexte organisationnel impliquant un grand nombre de personnes autour d’une même tâche, d’une même fonction, ou d’un même métier. Nous retenons donc, en raison de sa clarté, la définition de la représentation sociale proposée par Jodelet, c’est à dire comme une

101 VIDAILLET B. et alii, op. cit., 2003

102 Nous parlerons de représentations « sociales » plutôt que « collectives », « organisationnelles » ou « groupales » en raison de la définition finalement retenue, qui est bien celle de la représentation sociale selon Jodelet.

« forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social103. »

C’est une forme de connaissance simplifiée et interprétative de la réalité partagée par les membres d’un groupe donné. Plus ou moins stable dans le temps et dans son contenu, elle évolue avec le groupe et sous la pression d’événements marquants. Essentiellement concrète, liée à une action, à une situation ou à un rôle particuliers, elle constitue en définitive un modèle d’action pour chaque membre du groupe.

Plusieurs courants théoriques, que nous rappelons à présent, ont contribué à définir le concept de représentation sociale. Ils empruntent des voies différentes mais aboutissent à la conclusion que la représentation sociale est une interface permettant de mieux comprendre l’identité, les motivations et les actions des groupes sociaux.

B. Les courants théoriques de la représentation sociale.

Au sein de la psychologie sociale, deux grands mouvements rassemblent les différentes « écoles » : les théories du renforcement d’une part, les théories cognitives d’autre part. Elles décrivent chacune à leur manière l’origine et l’impact des représentations sociales.

I. Les théories du renforcement.

Pour les théoriciens du renforcement, tout événement susceptible de provoquer chez une personne un changement de comportement observable est un stimulus social. Si l’individu juge ce changement positif, celui-ci renforce ses croyances, ses représentations et ses connaissances, le récompensant en quelque sorte d’avoir accepté le changement. Ainsi un commercial débutant montrant à son chef des ventes qu’il a bien compris la prospection téléphonique se sent-il conforté dans son apprentissage si ce dernier approuve et encourage sa pratique. Des processus cognitifs très subjectifs permettent ce type de réaction. Deux postulats appuient dans ce sens les théories du renforcement :

‰ L’être humain est hédoniste et cherche à obtenir ce qui lui plaît.

‰ Il est également rationnel et prend ses décisions sur la base d’un certain nombre d’informations. Il vise à accroître ses « gains » tout en réduisant ses « coûts ». Il tend donc à privilégier les rapports sociaux qui lui rapportent quelque chose.

La loi de l’effet, par exemple, montre que l’individu tend à reproduire une action qui le récompense, alors qu’il cherche à éviter celle qui le punit104, comme le fait pour un vendeur de vouloir recommencer de prendre des rendez-vous par téléphone après l’avoir fait une première fois, du fait de la satisfaction que les premiers succès ont procuré, quand bien même on était réticent à essayer auparavant.

Les deux principales théories du renforcement sont la théorie de l’apprentissage social et la théorie de l’échange social.