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La représentation du courant social : le rôle de tuteur

Le rôle du cadre commercial intermédiaire vu par les dirigeants de l’entreprise : le rôle prescrit

3. La représentation du courant social : le rôle de tuteur

Alors que l’après-guerre met en exergue des besoins d’organisation de la production et de la vente, et par conséquent d’organisation et de contrôle, la décennie 60 voit la consommation et le bien-être se confondre. Chaque manager devient un gestionnaire du milieu social interne et du milieu sociétal externe à l’entreprise. Les fondamentaux de la Gestion du Personnel restent l’administration de la paye, la gestion des temps de présence et des horaires et la gestion prévisionnelle des emplois.

Mais le manager devient aussi un organisateur du réseau humain et un animateur d’équipe. On voit alors se dessiner une autre représentation du rôle du cadre commercial intermédiaire, axée cette fois sur la relation humaine et sur une logique de rôles plus que sur une logique de tâches.

A. Les bases théoriques.

L’appui conceptuel du rôle de tuteur est à rechercher dans plusieurs courants de pensée. De nombreuses approches peuvent être assimilées au courant social qui prend naissance avec les travaux d’Elton Mayo (1949) et de « l’Ecole des relations humaines » en 1924.

Le paradigme essentiel de ce courant est que le changement des conditions de travail permet d’accroître l’efficacité des acteurs individuels. Il s’agit de « l’effet Hawthorne », qui peut se résumer en trois points :

‰ L’individu essaie de se comporter comme il pense qu’on l’attend de lui ;

‰ Les normes informelles du groupe influencent chacun dans sa manière de travailler ;

‰ Les tensions avec les membres du groupe ou avec le hiérarchique amoindrissent l’efficacité.

Par un tel paradigme, on peut comprendre tout l’intérêt de mettre en place un encadrement de proximité qui sache veiller et améliorer le climat professionnel et relationnel avec ses collaborateurs. Les expériences menées par Mayo soulignent en effet l’influence que peuvent avoir les supérieurs, les collègues, ou les subordonnés d’une personne sur la vision personnelle qu’elle a de son rôle, et partant sur sa manière d’agir et sur son efficacité.

D’autres chercheurs préfèrent s’intéresser aux besoins et aux motivations individuels, comme Abraham Maslow (1910) ou Frederick Herzberg (1987). Ils concluent que chacun prend en compte ses besoins personnels, des plus élémentaires aux plus complexes, et s’efforce d’enrichir le contenu de son travail pour les satisfaire.

Là encore, l’action du manager intermédiaire peut aboutir à une meilleure efficacité des agents en jouant sur l’amélioration du contenu et de l’organisation du travail des commerciaux. Il doit pour ce faire tenir compte des facteurs motivant ou au contraire décourageant ces derniers. Notons cependant que les auteurs précités proposent une hiérarchisation très rigide des besoins. Or, des problèmes psychologiques ne se transforment pas nécessairement en enjeux sociaux, par exemple.

Sous un autre angle, l’Ecole « socio-technique » du Tavistock Institute of Human Relations de Londres décrit l’entreprise comme un système socio-technique, fonctionnant grâce aux interactions des relations sociales et techniques. Cette approche évitant de favoriser le système taylorien ou celui des ressources humaines, le rôle de tuteur du cadre peut se positionner à l’interface de ces systèmes. Il joue à la fois du contrôle des résultats et des actions et de la relation humaine avec ses équipiers. Dans certains cas, des groupes semi-autonomes de l’entreprise peuvent s’autoréguler par eux-mêmes.

Si l’on suit l’approche contractuelle, dont Herbert Simon est l’un des principaux auteurs, les modèles classiques ne peuvent convenir, en raison des limites rationnelles de chaque individu. Sous cette contrainte, le manager recueille et traite des informations imparfaites voire subjectives, provenant du marché, des subordonnés, de la hiérarchie, ou encore des fonctionnels. Ce sont par conséquent autant de sources de biais informationnel qui tendent à conduire à des erreurs de jugement et de management.

Le rôle de l’encadrement est important mais doit montrer sa valeur ajoutée. L’un des coûts, qu’il faut à présent envisager de gérer et de réduire, tient dans les « déviances » éventuelles

propres à la nature humaine, qui amoindrissent l’efficacité du personnel. On parle d’opportunisme ou de tricherie cachée, selon les auteurs285. Chaque salarié est tenu a priori d’optimiser ses choix mais il a tendance, comme ses semblables, à prendre le premier choix acceptable. C’est pourquoi une structure hiérarchique assez serrée est nécessaire pour éviter le maximum de déviances. Le tutorat du manager intermédiaire vient ici optimiser la manière de travailler des subordonnés dont il a la charge, et réduire les pertes d’efficacité et les coûts qui s’en suivent.

Par ailleurs, chaque acteur de l’entreprise apporte son concours à l’activité commune moyennant une rétribution. Mais la motivation est indispensable pour que sa contribution soit durable. C’est pourquoi elle doit être suscitée, maintenue, pérennisée. L’entreprise confie ces tâches au cadre commercial intermédiaire en ce qui concerne les commerciaux. Il doit maintenir la coalition des acteurs dont il a la charge et leur loyauté envers ceux dont il dépend, ainsi que leur capacité à servir efficacement la clientèle.

Son rôle clé est donc, dans cette optique, de préserver et d’améliorer la relation de l’entreprise avec le marché. Il est responsable du concours collectif des membres de la force de vente et de l’articulation de leurs actes collectifs dans ce but286. Un modèle contractuel et comportemental de chacun peut être défini dans toute entreprise performante.

Notons cependant qu’il s’agit d’une vision tournée uniquement vers le fonctionnement humain de l’organisation, a contrario de la vision classique. Or le management ne peut pas être cantonné à l’art de prévenir les détournements et l’opportunisme des collaborateurs, ni à la seule maîtrise des coûts structurels.

La théorie des systèmes sociaux souligne elle aussi le poids déterminant des relations humaines. L’entité collective « entreprise » dépend des interactions existant entre ses acteurs. Elle est un ensemble d’entités humaines interreliées, « a set of unities with relationship

among them287 », et doit par conséquent maîtriser sa propre « logique collective et conjecturale » pour parvenir à réaliser ses buts288. L’équilibre organisationnel va de pair avec la qualité des relations entre les acteurs, individus et groupes, et avec leur capacité à assurer le commerce et le service au client de façon durable289.

C’est pourquoi, si l’on suit cette voie, l’acteur-entreprise dépend notamment de la réussite de ses vendeurs, donc du management de ceux-ci par ses acteurs-cadres. Grâce à eux, elle peut s’imposer sur son marché. Cela met en avant le rôle de tuteur du cadre commercial

285 Par exemple WILLIAMSON O. E., 1994

286 MARCH J.G. et SIMON H. A., 1974

287 VON BERTANLAFFY L., 1968

288 MONTMORILLON B. de, 1998, p. 19

intermédiaire et de son équipe, d’autant plus dans une économie de services, où les échanges sont de plus en plus relationnels, et où il importe de gérer au plus près du marché de nombreuses transactions spécifiques avec chaque vendeur.

Dans son ensemble, le courant social accentue finalement le rôle charnière attendu du management intermédiaire moderne : « les individus interagissent dans des

organisations qui interagissent entre eux au travers des interactions entre les acteurs-individus qui les composent290. » Mais cette vision du management reste une « one best way »,

une représentation optimale et forcément partagée par tous. Cela a pu inciter d’autres approches à voir le jour.

B. Les contributions récentes.

Les spécialistes du management commercial qui ont réfléchi à la définition du rôle des cadres en soulignant son aspect social se rejoignent sur les activités essentielles que cela implique. Pour certains, il s’agit d’ailleurs d’un « nouveau rôle », voire d’un « vrai rôle » enfin donné aux cadres par la redéfinition de leur missions291. Cela signifierait donc qu’auparavant, dans l’optique classique, l’encadrement n’avait pas un rôle réel. Nous pensons plutôt qu’il en avait un, qui consistait principalement à mener à bien les activités qui lui étaient assignées, dans une logique de tâches, où le statut était finalement devenu très important, peut-être pour contrebalancer le peu d’initiatives sociales demandées au cadre.

Ce rôle d’animateur ou de tuteur est pourtant évoqué dans un passé plus reculé, à l’adresse des ingénieurs et des cadres d’une manière générale, et bien qu’il ait été éclipsé par les impératifs de performance ensuite. La nouveauté de l’approche sociale est donc toute relative.

Leur rôle social est en effet mis en avant à la fin du XIXe siècle, car il leur incombe de

« mettre en œuvre des institutions dans l’entreprise afin d’intégrer les ouvriers à la vie de la compagnie292. » Cependant, il s’agit dans ce contexte d’un rôle lié à l’action sociale en faveur

des classes les moins favorisées de l’entreprise et de la société, plutôt que d’une fonction de nature socio-professionnelle.

Celle-ci est précisée par exemple dans les écrits de Henry Mintzberg. Pour lui, le rôle des cadres peut être découpé en trois facettes, elles-mêmes composées de trois « sous-rôles » :

290 MONTMORILLON B. de, op. cit.,1998, p. 20

291 BELLENGER L., 1993, pp. 26-27

‰ Les rôles interpersonnels :

Un rôle symbolique (action de représentation), Un rôle de leader (action de motivation),

Un rôle d’agent de liaison (action au sein du réseau).

‰ Les rôles informationnels :

Un rôle d’observateur actif (captation de l’information), Un rôle de diffuseur d’information,

Un rôle de porte-parole.

‰ Les rôles décisionnels :

Un rôle d’entrepreneur (captation des opportunités), Un rôle de régulateur (réaction aux événements), Un rôle de négociateur (représente l’organisation)293.

D’autres études mettent ainsi en avant les aspects relationnels du « nouveau » rôle des managers et des cadres. On peut les considérer comme des « cadres-tampons », qui doivent en particulier développer des compétences d’écoute empathique, de suggestion de solutions, d’action « en coulisses » bénéfique pour la réussite collective, d’attraction des confidences, ou encore de recadrage des messages294. D’autres affirment l’importance de la communication basée sur la culture de l’entreprise et du « coaching » des hommes, amenant à se comporter en

« modèle » pour ses subordonnés295.

Ces rôles restent très globaux et imprécis, et s’adressent à tous types de cadres, sans que l’on définisse concrètement les activités concernées. Pourtant, diverses sources du domaine de la formation continue, donnent des exemples pratiques de ce que peuvent être ces activités du

rôle de tuteur :

‰ Servir l’organisation en employant l’autorité formelle qu’elle délègue,

‰ Synchroniser les actions individuelles et les buts collectifs,

‰ Contrôler les tâches, leur cohésion, leur résultat et leur correction,

‰ Renseigner les divers acteurs de l’entreprise sur les situations rencontrées et l’adaptation des situations,

‰ Collecter, mettre en forme et transmettre l’information,

‰ Diffuser l’idée du client en interne,

293 MINTZBERG H., 1984, in THEVENET M., 1987, p. 496

294 FROST P. et ROBINSON S., 1999, pp. 27-36

‰ Évaluer les compétences commerciales,

‰ Mobiliser l’équipe, etc.

L’apport majeur de la vision sociale du rôle des cadres commerciaux intermédiaires est probablement de permettre de rééquilibrer celui-ci autour de fonctions primordiales. Un article récent en dénombre quatre :

‰ Le rôle organisationnel : c’est l’ensemble des comportements permettant d’assumer

les tâches de planification et de gestion,

‰ Le rôle social : il vise au développement de l’équipe par la formation, l’écoute et la

mobilisation,

‰ Le rôle opérationnel : il consiste en l’amélioration des processus, leur finalisation,

l’innovation éventuellement,

‰ Le rôle fonctionnel : il représente le pilotage et le développement stratégique296.

Tableau 2.11. Les fonctions essentielles du rôle de manager selon Kammoun H. (1999).

Ici encore, les fonctions décrites demeurent essentielles mais peuvent concerner tous types de manager. Trois niveaux d’action caractérisent plus spécifiquement le cadre commercial intermédiaire vis à vis des autres métiers du management :

‰ Avant l’action commerciale : Il doit s’informer, évaluer les besoins, et définir les

objectifs en terme de vente, de chiffre d’affaires, de volumes, etc.

‰ Pendant l’action commerciale : Il doit établir le contact avec le marché, déployer ses

moyens avec cohérence, et veiller à la réalisation des actions et des objectifs prédéfinis.

‰ Après l’action commerciale : Il doit enfin évaluer les actions et les résultats, corriger

/ modifier la stratégie et/ou les tactiques.

Tableau 2.12. Les niveaux d’action du manager commercial. (Source : auteur)

Afin de répondre aux exigences de ces trois niveaux d’action, certaines tâches apparaissent alors comme propres à la direction commerciale : la fonction stratégique, par exemple, échappe à l’encadrement intermédiaire. Nous recomposons par conséquent le rôle de celui-ci de la manière suivante297 :

296 KAMMMOUN H., 1999, p. 227

Gestion ‰ Piloter les objectifs,

‰ Traiter les budgets,

‰ Administrer les ressources humaines,

‰ Planifier et contrôler l’activité,

‰ Prévoir l’avenir.

Commerce ‰ Vendre,

‰ Acheter,

‰ Mettre en œuvre les actions commerciales,

‰ Utiliser et développer les techniques de vente.

Communication ‰ Montrer l’exemple à suivre,

‰ Animer, motiver, stimuler et évaluer,

‰ Récompenser, sanctionner et corriger,

‰ Ecouter et expliquer,

‰ Consacrer du temps au « relationnel » amont et aval,

‰ Informer et former ses collaborateurs,

‰ Responsabiliser et déléguer,

‰ Créer une ambiance positive,

‰ S’informer et se former en permanence.

Organisation ‰ Coordonner activités, hommes et ressources,

‰ Gérer et agir au présent, réfléchir au futur.

Tableau 2.13. Le rôle de tuteur du manager commercial. (D’après Camus B., 1991)

Il est donc fondé de voir le rôle des cadres commerciaux intermédiaires comme un ensemble d’actes interpersonnels guidés à la fois par des objectifs internes et externes, bien que les activités que cela suppose soient le plus souvent peu claires298. Elles le sont généralement beaucoup moins que ne le sont les tâches de gestion ou de contrôle, ce qui est peut-être la raison pour laquelle les dirigeants les délaissent au profit de ces dernières, plus faciles à définir, à prescrire et à vérifier.

Pourtant, le rôle de tuteur, qui s’agrège autour des fonctions d’animation, de coordination et de gestion des relations humaines, peut ne plus suffire au regard des contraintes environnementales modernes. Une quatrième représentation survient alors, que nous nommons le rôle de développeur.

4. La représentation proactive du rôle du manager