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Les déterminants des représentations élaborées par les cadres commerciaux intermédiaires au sujet de leur

2. Des prérogatives amoindries

Les cadres sont-ils des privilégiés parmi les salariés ? C’est une image traditionnelle qui les accompagne et qui leur accorde des avantages vis à vis des autres salariés. Mais elle est particulièrement relativisée de nos jours, et elle participe du sentiment de malaise que ressentent les cadres d’une manière générale. Des contreparties sont assorties à ces acquis, qui eux-mêmes ont changé dans le temps.

a. Des droits limités.

Depuis la création en 1979 du collège Encadrement au Conseil des Prud’Hommes, une forme de reconnaissance de la particularité de leurs intérêts leur est acquise. Leur situation se révèle en effet souvent complexe et coûteuse lorsqu’il s’agit de résoudre des conflits opposant un cadre et son employeur. Pour exemple, un litige intervenu entre un inspecteur commercial et une compagnie d’assurances a nécessité l’intervention d’une commission d’expertise auprès du Conseil de Prud’hommes devant laquelle l’affaire était jugée, afin d’entendre divers témoins et d’étudier de nombreuses pièces, pour des sommes demandées par le plaignant salarié dépassant deux millions de francs335. Sans être fréquent, ce niveau de demande pour un conflit social n’est pas rare dans cette section. Les conséquences ne peuvent être neutres quant au comportement possible du cadre ou de l’entreprise en cas de litige.

Les élections du Comité d’Entreprise ou d’Établissement prévoient, par l’article 433-2 alinéa 3 du Code du Travail, des dispositions spécifiques concernant l’encadrement. Ils forment un collège particulier dès lors qu’ingénieurs, cadres administratifs, commerciaux,

techniques ou assimilés sont au moins au nombre de 25 dans l’entreprise. Dans les sociétés de plus de 500 salariés, ils élisent au moins un délégué titulaire.

En cas de licenciement, leur régime juridique est également spécifique. Le délai de préavis prévu par les conventions collectives sectorielles est généralement de trois mois, sous condition d’une ancienneté d’au moins deux ans, alors qu’il est d’un mois pour les ouvriers et employés, de deux mois pour les techniciens spécialisés. Il peut être de six mois pour un cadre supérieur ou un cadre dirigeant. La notification de licenciement doit être adressée, en cas de licenciement individuel, au minimum quinze jours après l’entretien préalable de licenciement, tandis que ce délai est d’au moins sept jours pour un salarié non cadre. L’indemnité légale de licenciement est supérieure au minimum requis, en fonction de l’ancienneté et de l’échelon le plus souvent. Enfin, pour les cadres supérieurs et les dirigeants, des clauses de reprise d’ancienneté autorisent le cumul d’ancienneté lors d’un changement d’employeur, ainsi que des indemnités majorées, dénommées « golden parachutes » par la presse.

Une croyance tenace est celle du non paiement des heures supplémentaires pour les cadres. Or, à l’exception des cadres dirigeants, les heures supplémentaires leur sont dues au même titre que pour tout salarié. Si le travail requiert régulièrement des heures supplémentaires, un convention de forfait peut être passée entre le cadre et l’employeur, moyennant une rétribution adaptée qui ne peut être moins avantageuse que le régime normal de paiement majoré du temps de travail, selon une jurisprudence constante. L’astreinte doit également être rémunérée, quel que soit le niveau de responsabilité du salarié concerné336.

b. Des obligations conséquentes.

En contrepartie de ces droits spécifiques au statut de cadre, des obligations leur échoient. Il s’agit tout d’abord de clauses insérées dans le contrat de travail, en raison de la hauteur de l’investissement que représente souvent l’embauche d’un cadre, et de son rôle supposé ou effectif dans l’organisation. De telles clauses concernent d’ailleurs de plus en plus de salariés non cadres. Les principales sont :

‰ La clause de non concurrence, qui interdit au salarié de se mettre au service d’un

concurrent direct, sous conditions de temps, de limites géographiques et d’activité de l’entreprise. La preuve de la concurrence déloyale revient à l’employeur trompé, et elle est en général difficile à apporter.

‰ La clause de mobilité par laquelle le salarié accepte une mutation géographique ou

professionnelle, sous contrainte de définition précise de la clause et de procédures particulières incluses dans les accords collectifs.

‰ La clause d’exclusivité interdisant d’exercer en même temps une autre activité

rémunérée, ce qui s’est assoupli notamment au profit des professions de conseil, de formation et d’ingénierie.

‰ La clause de fidélité, garantissant la présence du cadre dans l’entreprise pour un temps

minimal.

‰ La clause de stabilité d’emploi, qui est en fait le pendant de la précédente au bénéfice

du cadre.

‰ La clause de dédit-formation, qui astreint le salarié à rester un temps minimal

prédéfini pour « amortir » le coût de sa formation.

Dans l’exercice de ses fonctions, le cadre se soumet à des obligations plus rigoureuses qu’un autre salarié. Sa période d’essai est, à l’instar du préavis de licenciement, plus longue : trois mois renouvelable une fois, voire six mois pour un cadre supérieur ou dirigeant. La démission suit les mêmes contraintes de délai de préavis que le licenciement.

Le devoir de réserve et de discrétion d’un cadre est important. Ainsi que l’affirme la chambre sociale de la Cour de Cassation, « pour les cadres notamment, la diffusion

d’informations confidentielles dans le personnel, de façon tendancieuse ou prématurée, peut caractériser la faute grave, en tant qu’elles nuisent à l’entreprise337. » A titre d’exemple qui

fait jurisprudence constante, le cas de ce cadre supérieur « responsable de la comptabilité » qui, ayant divulgué des « renseignements sur les difficultés financières de l’entreprise

caractérise la faute lourde » à son encontre338.

Le comportement des cadres est par conséquent plus durement sanctionné. Cela tient au fait qu’en tant que délégataire d’une part du pouvoir et de l’image de l’entreprise, le cadre l’atteint dans son ensemble en cas de conduite répréhensible. Ainsi, un vol constaté mais non encore jugé au plan pénal, ou un comportement d’ébriété entraînant des troubles sur la voie publique, peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave. La perte de confiance est une autre cause possible pour se séparer d’un cadre, à condition qu’elle soit justifiée par des faits objectifs et vérifiables.

Enfin, la responsabilité civile et pénale d’un cadre dépasse celle du salarié du rang. S’il dirige une unité de l’entreprise, il peut détenir une responsabilité autonome, qui l’engagera seul dans certains cas, tels que les conditions d’hygiène et de sécurité au travail. Par

337 Cassation Sociale, 11 octobre 1978

délégation, si le cadre est bien pourvu de l’autorité nécessaire et des moyens de l’assumer, il détient également cette responsabilité devant les juridictions compétentes.

Il apparaît ainsi qu’être cadre ne signifie plus, si cela a été le cas durant les Trente Glorieuses, être privilégié dans la société civile. Les contraintes légales et comportementales qui délimitent leur statut sont une explication de ce constat. La croissance démographique de l’effectif cadre en est une autre.

II. L’explosion démographique des cadres339.

Les études statistiques montrent combien l’encadrement s’est accru durant la seconde moitié du XXe siècle. Les établissements Renault comptaient par exemple cinq chefs d’ateliers pour 1000 ouvriers en 1900. Ils étaient 1800 pour 4000 ouvriers en 1960, soit 90 fois plus en six décennies340. En effet, la proportion de cadres n’a fait que croître dans la population active341 :

Année 1952 1961 1965 1975

Nombre de cadres et techniciens

pour 1000 employés 85 90 135 170

Proportion (%) 8.5 % 9 % 13.5 % 17 %

Tableau 2.18. Proportion de cadres de 1952 à 1975. (D’après Fourastié J., 1975)

L’encadrement représente aujourd’hui plus de trois millions d’actifs en France, mêlant les secteurs public et privé et les différents statuts et assimilés. Les cadres du secteur privé étaient en 1999 plus de 1,360 million en France, et plus de huit millions en Europe. L’année 2000 a connu la plus forte progression de recrutement depuis 1994, soit de + 4,9 % avec 100 600 nouveaux postes. Dans le même temps, le nombre de cadres quittant leur entreprise a baissé de 3,5%, dans une tendance de forte mobilité des candidats et de besoins élevés des employeurs.

339 Sauf indication, les données présentées ici proviennent des statistiques APEC, 2004

340 SARTIN P., in DOUBLET J. et PASSELECQ O., op. cit., 1973