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Le concept de représentation : éléments de définition

1. Le processus cognitif et les représentations

Juger qu’une personne se comporte de manière irrationnelle sous-entend qu’elle n’a pas compris la situation et/ou qu’elle a réagi sans réfléchir, sous l’influence de réflexes ou de pulsions. Cela correspond à la mise en œuvre de représentations inadaptées au contexte, ou à l’inaccessibilité de représentations adéquates favorisant des représentations « d’urgence ». Pour être adaptée à la situation rencontrée, toute représentation passe par plusieurs phases successives, qui sont la compréhension, la mémorisation et l’action.

a. La compréhension.

Pour être utilisable par l’individu, l’information doit être transformée en connaissance. La construction de représentations mentales intervient pour ce faire aussitôt après la perception de l’information. Le processus se met en œuvre par « extraction de traits, détection de formes,

identification, connaissances activées, significations sélectionnées, interprétations construites70 ». Les représentations ainsi constituées correspondent plus ou moins aux préoccupations du moment ou à la tâche à réaliser71. Cela signifie que pour construire une

70 VIGNAUX G., op. cit., 1992, p. VII

représentation cohérente avec une situation donnée, de nombreuses conditions doivent être réunies. Quelques exemples courants montrent ainsi que :

‰ Les informations doivent être disponibles en quantité suffisante mais pas excessive. Un commercial sait généralement proposer un produit adapté à ses clients, dès lors qu’il les a visités un certain nombre de fois. Pourtant, on peut observer que, devant une base de données rassemblant l’ensemble de leur portefeuille de clientèle, de nombreux commerciaux ne savent pas quelles conclusions essentielles ils doivent tirer de l’analyse de tous ces chiffres.

‰ Elles doivent être explicites mais pas réductrices. Les pièces détachées d’une armoire étalées au sol n’expliquent pas au client qui vient de l’acquérir les étapes du montage comme le ferait un plan détaillé.

‰ Elles doivent avoir un sens pour celui qui les reçoit. Le jeune diplômé candidat à un poste d’encadrement sait rarement comment gérer les conflits dans une équipe, alors que le manager expérimenté a appris de telles techniques, et a vécu une quantité suffisante de situations conflictuelles pour savoir les anticiper, les appréhender et les résoudre.

‰ Le récepteur doit être dans un contexte lui permettant de bien les percevoir. Mémoriser un nouvel argumentaire de vente est plus facile pour un vendeur lors d’une séance de formation, le matin dans une salle agréable, qu’à la fin d’une réunion où le climat a été tendu et où les mauvais résultats du mois ont été abondamment commentés.

On voit combien il peut être facile de trouver de nombreux filtres à la bonne perception des informations utiles et à leur transformation en représentations utiles pour leur destinataire. De plus, il ne suffit pas d’avoir accumulé les connaissances pour savoir les employer, c’est-à-dire pour avoir pu développer les représentations les plus pertinentes. Par exemple, un client qui vient d’acheter son premier ordinateur connaît les caractéristiques du produit s’il lit la brochure, sans savoir ce qu’elles signifient et sans savoir le mettre en route. Un étudiant en informatique saura vraisemblablement leur donner un sens et utiliser immédiatement l’appareil, tandis qu’un ingénieur informaticien saura en déduire les modifications qu’il veut apporter dans la configuration de la machine afin d’accroître ses performances.

D’une part, cela signifie que les savoirs mémorisés et accessibles à propos d’un objet donné façonnent les représentations de cet objet. La formation, l’expérience, la situation dans laquelle on se trouve, la situation dans laquelle on doit agir, ou encore l’objectif visé sont autant de variables influençant la compréhension d’une tâche. Les représentations ont donc pour but de donner du sens à une réalité complexe afin d’agir en conséquence. Elles relient les parcelles d’information entre elles sous forme d’agrégats personnalisés, qui ne sont pas des

connaissances avérées, partagées et reconnues par tous. D’autre part, la pertinence et l’usage des représentations dépendent des processus d’interprétation et de compréhension. Pour illustrer ce point, prenons le cas d’un commercial en systèmes informatiques qui se verrait demander d’installer son logiciel sur une plateforme Linux, ce qui ne lui est pas habituel. Il peut mobiliser plusieurs représentations pour répondre à cette demande avec succès :

‰ Ses souvenirs : « la dernière fois que j’ai eu cette demande, c’était pour le client X.

Cela avait été complexe à installer. Je vais me faire aider par un de nos techniciens… ».

‰ Un résumé : « je sais que c’est au début de l’installation que je dois faire le plus

attention. Après, je suivrai les instruction habituelles ».

‰ Une anticipation : « pour ne pas avoir de problème, je lui recommanderai un de nos

techniciens ; c’est lui qui viendra installer le programme ».

Sélectionner une représentation parmi plusieurs est donc souvent possible. De plus, les représentations changent de sens sous l’influence de choix personnels voire arbitraires, modelant leur contenu, leur structure et leur valeur « utilitaire ». Interpréter l’information en représentations correspond en effet à lui donner du sens et à induire un comportement à tenir. Richard dit à ce titre que l’individu « a une tâche avec des enjeux, il se donne des objectifs,

prend des décisions, en contrôle l’exécution, évalue le résultat de ses actions et modifie en conséquence ses représentations72. »

Pour résumer, comprendre c’est se représenter ce que les sens perçoivent puis élaborer une solution en codant et en décodant de l’information selon des consignes, des modes opératoires et des stratégies personnalisés. Richard précise le rôle clé de la représentation mentale dans l’acte de compréhension : « comprendre, c'est construire une représentation, c'est-à-dire

élaborer une interprétation (...) compatible à la fois avec les données de la situation, symbolique (énoncés, textes, dessins) ou matérielle (objets physiques), avec la tâche à réaliser, et avec les connaissances qui sont en mémoire73. »

Ce contexte d’action, d’ordinaire très implicite, conduit l’individu à développer une vision et des buts personnels selon sa propre « visée pragmatique » plutôt que selon un sens général d’analyse. Avant de se singulariser par ses actes, il se distingue par le contenu de sa mémoire.

72 RICHARD J.-F., op. cit., 1990, p. XVII

b. La mémorisation.

Lorsqu’une représentation nous semble pertinente et constitutive d’une connaissance réutilisable, nous la mémorisons : « certaines représentations peuvent (…) s’intégrer à la

mémoire à long terme, sous forme de connaissances, de croyances, de stéréotypes, de la même façon que certains traitements peuvent être stockés sous forme de procédures74. »

Elles sont stockées dans une mémoire « opérationnelle » qui les ramène « tout de suite à

l’esprit », et ce bien plus rapidement qu’un raisonnement fondé. La mémoire réactive ainsi le

passé et « permet constamment l’apprentissage » en produisant des représentations. Les recherches sur la mémoire ont en effet presque toutes adopté le paradigme selon lequel l’information perçue est d’abord encodée en représentations mentales. Celles-ci sont ensuite associées à d’autres lors de la mémorisation. Elles seront réactivées plus tard si l’individu le juge utile75. Ce processus justifie en partie l’intérêt des représentations : elles peuvent devancer les connaissances fondamentales acquises pour guider l’action. En se combinant entre elles, elles serviraient essentiellement à agir. Selon les auteurs, elles prendraient alors différentes formes :

‰ Des schémas causaux, tissant des liens de cause à effet pertinents pour l’individu,

‰ Des théories causales naïves, que le néophyte construit en lieu et place de l’expérience,

‰ Des stéréotypes, qui représentent des séquences d'actions ou des événements familiers pour une personne,

‰ Ou des plans, qui organisent les actions vers un but.

Quelle que soit la façon dont elles sont décrites, les représentations sont cohérentes d’un point de vue personnel. Ce serait d'autant plus vrai que l’on parviendrait à définir des liens de causalité facilitant l’atteinte de nos buts. D’après les spécialistes de la mémoire, elle organise les représentations sous deux formes complémentaires :

‰ En réseaux relationnels : les concepts (nœuds) mémorisés sont associés en réseaux et

liés par des relations porteuses de sens (arcs).

‰ En schémas (cadres ou « Mops ») : des blocs de connaissances autonomes et plus

complexes regroupent des concepts et forment des « structures générales et abstraites

applicables à (…) des situations concrètes76. » Ces schémas peuvent prendre la forme

74 RICHARD J.-F., op. cit., 1990, p. VII

75 VIGNAUX G., op. cit., 1992, p. 211

de savoirs déclaratifs sur un domaine spécialisé – un cours sur le droit commercial, par exemple – ou de procédures complexes – comment remplir correctement un bon de commande.

Cette structuration des représentations explique que deux personnes peuvent analyser sous un angle différent une situation ou une information, comme si chacun montait le film de son choix à partir de la même collection d’images. Par ailleurs, comme toute connaissance, les représentations peuvent s’oublier. Plusieurs théories indiquent que des défaillances d’attention, que le nombre, la similitude ou les interrelations des représentations, ou encore que des difficultés de compréhension favorisent l’oubli77. On en vient parfois à croire que l’action est guidée par le hasard tant il est vrai que les représentations qui la soutiennent sont incompréhensibles, pour l’observateur comme pour l’acteur.

c. L’action.

Dans un grand nombre de situations, les comportements deviennent automatiques par la sélection inconsciente et répétée des représentations mémorisées78. Ces représentations « énactives » sont souvent peu conceptualisées et difficiles à expliquer. C’est ainsi qu’enseigner des savoir-faire nécessite généralement de faire agir l’apprenant : faire et refaire est la meilleure façon d’apprendre, pense-t-on79.

Pourtant, expliquer des procédures est maintes fois nécessaire, en particulier pour que l’action d’un groupe soit cohérente et harmonieuse, sur la base de connaissances collectives ou par la description des procédures de travail à appliquer. Même un débutant possède ses propres représentations d’un savoir ou d’une procédure. Mais comment parvenir à ce qu’elles soient cohérentes et partagées par tous les acteurs concernés ? Chacun développe en effet des stratégies cognitives personnelles qui « dépendent d’une part des connaissances du sujet, de

la représentation qu’il a de la situation et des modes de raisonnement qu’il est capable de mettre en œuvre, d’autre part des contraintes de stockage et de récupération de l’information, des contraintes attentionnelles et de la durée d’exécution des opérations élémentaires80. »

Tout particulièrement dans le contexte professionnel, les grandes organisations tentent de faire face à ces comportements individualisés en diffusant quantité d’instructions écrites : consignes, notes de services, modes d’emploi, définitions de postes, etc. Les chercheurs ont montré que ce ne sont pas les meilleures réponses en raison de la manière dont elles sont

77 VIGNAUX G., op. cit., 1992, p. 218

78 ANDERSON J.R., op. cit., 1983

79 RICHARD J.-F., op. cit., 1990, p. 41

réalisées. Elles comportent des biais d’interprétation et de représentation fréquents bien que non souhaités :

‰ Elles sont peu explicites : présentées sur un mode synthétique, elles font appel à trop

d’inférences et de connaissances supposées acquises. Elles décrivent l’action fragmentée en actes élémentaires. Le lecteur doit construire seul des représentations de l’information reçue et des buts intermédiaires nécessaires selon lui pour atteindre l’objectif. De plus, une situation inhabituelle qui interrompt l’action (une note de service, un ordre de dernière minute, etc.) en fait aisément perdre le « fil » et rompt le lien avec les représentations que l’acteur en a.

‰ L’information est inadaptée : l’objectif à atteindre prime sur l’explication de la

procédure. Le destinataire s’en remet à lui seul pour comprendre comment réaliser la tâche et comment affronter les situations imprévues. Il se représente ainsi ce qu’il

devrait faire, pas nécessairement ce qu’on lui a demandé de faire pour atteindre

l’objectif. Il agit souvent par habitude même si la situation ne s’y prête pas. En cas d’échec il met en cause l’instruction. Il a du mal à expliquer l’incident : comment décrire « comment » il s’est produit ? Les instructions écrites privilégient souvent la logique de l’observateur et de son analyse alors qu’elles devraient être rédigées en fonction de l’utilisateur et de son action.

‰ L’information est mal présentée : des techniques de communication verbale peuvent

aider sensiblement à comprendre les instructions écrites, telles que des phrases courtes, le mode actif, des mots familiers, ou écrire dans l’ordre chronologique de l’action. L’action et sa planification par le destinataire sont souvent mal présentées. La mémoire n’est pas simplement un « entrepôt d’information passif81 ». Elle est plus puissante que

des bases de données informatiques mais on ne lui présente pas l’information sous des formes permettant son meilleur usage. L’écrit s’adresse en général à la mémoire

sémantique à l’aide de mots, de concepts abstraits, ou de lois de manipulation des

symboles. Or l’instruction devrait s’adresser à la mémoire épisodique par des situations présentées chronologiquement ou par des événements observables ou vécus par le destinataire82. Ces représentations sont parfois difficiles à décrire par des phrases bien qu’elles soient plus compréhensibles pour agir.

81 CRAIRK F. et LOCKART R.S., 1972, in VIGNAUX G., op. cit., 1992

Finalement, la cohérence d’un message dépend tout particulièrement de la représentation du domaine de connaissances qui lui correspond. Cela nous conduit à parler de la notion de

modèle mental.