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Le concept de représentation : éléments de définition

4. Les modèles neuronaux

Visant d’une manière globale à comprendre comment le cerveau élabore des solutions, McCulloch et Pitts supposent en 1943 que toute situation peut être représentée par une suite de propositions logiques60. Dans la même veine, Von Neumann qui, en toute modestie, sait n’être « ni neurologue ni psychiatre », a aussi contribué à cette « tentative pour comprendre le

système nerveux61. » Il postule que « tout ce qui peut être décrit de manière exhaustive et sans ambiguïté (...) peut être conçu comme un réseau neuronal fini approprié. » Il donne ce faisant

les limites des approches « imitatives » du cerveau : l’exhaustivité et la non ambiguïté de la chose à reproduire.

Malgré le talent du mathématicien concepteur du premier ordinateur, le projet de reproduire le cerveau à l’aide d’un réseau de processeurs élémentaires interconnectés fait face à des problèmes d’une extrême complexité62. Ces difficultés ont contribué à l’abandon des recherches sur les réseaux neuronaux dans les années 60, reprises néanmoins une vingtaine d’années plus tard avec d’autres objectifs. L’analyse neuronale dans son ensemble concerne souvent un niveau de représentation élémentaire. Sans entrer dans ce débat qui n’est pas le nôtre, précisons que certains tentent de montrer qu’elle peut simuler des représentations complexes, tandis que d’autres pensent qu’il s’agit d’une approche peu propice à les manipuler63.

Cette revue succincte des courants des sciences cognitives souligne ce que les cogniticiens ont cherché à comprendre des représentations mentales. Postulant pour la plupart que le cerveau produit des représentations, ils ont notamment tenté de savoir comment il les crée et les emploie. Cependant, aucun modèle n’y parvient de manière totalement convaincante.

58 VIGNAUX G., op. cit., 1992, p. 222

59 Des recherches actuelles portent sur des programmes prototypes utilisant la structure de l’ADN et permettant de constituer des tracés de circulation optimisés ; des processeurs moléculaires ou organiques sont mis au point.

60 VIGNAUX G., op. cit., 1992

61 VON NEUMANN J., op. cit., 1996, p. 13

62 Tels que des phénomènes « d’explosion combinatoire » par exemple

Puisqu’il n’est pas encore possible de transcrire le « programme » des pensées qui commandent aux comportements humains, leur observation semble rester l’un des meilleurs moyens d’approcher les représentations mentales.

Après les questions de forme orientées sur le mode de fonctionnement du cerveau, nous allons nous recentrer sur le fond, autrement dit sur les représentations qu’il génère, en définissant ce concept.

II. La définition de la représentation mentale.

Pour les cogniticiens, il semble établi que la manipulation de structures de symboles guide l’apprentissage, la compréhension et l’action. Pour percevoir et construire une représentation personnelle de l’existence corrélée à ses motivations et à ses actes, l’être humain mémorise des connaissances dès sa prime enfance. Un cycle permanent se met dès lors en place : des représentations passagères génèrent des connaissances qui engendrent elles-mêmes d’autres représentations, et ainsi de suite64.

Il importe toutefois de distinguer les connaissances des représentations mentales. En interprétant une situation, un acte ou un objet, nous en faisons une « image » mentale intégrée aux connaissances déjà acquises. Le terme d’ « image » est commode car immédiatement compris : on peut imaginer un dessin ou une photographie se fabriquer dans une cellule du cerveau, et qui comporte l’ensemble des détails permettant de décrire l’objet représenté. La similitude est d’autant plus intéressante que, si l’on décrit une photo après l’avoir observée un instant, nous parvenons en fait à retranscrire les éléments les plus frappants, ceux qui nous interpellent ou qui nous attirent le plus, ou simplement ceux que l’œil a pu capter. Une représentation procède d’une manière identique : elle rassemble des informations essentielles telles que la perception les a reçues et telles que le cerveau les a interprétées.

Dans une définition plus formelle, les représentations mentales sont « des connaissances

associées à des interprétations », ou « des états provisoires de connaissances, résultant de nos activités de construction de sens et d'interprétation des situations ou des événements65. »

Les connaissances sont généralement considérées comme stables dans le temps et constituent notre « savoir de base pour l’action et pour la compréhension des messages et des

situations. » Certains chercheurs définissent alors les représentations mentales

comme occasionnelles et précaires : ce sont des « constructions circonstancielles faites dans

64 CAVERNI J.-P. et alii, op. cit., 1989

un contexte particulier et à des fins spécifiques, élaborées dans une situation donnée et pour faire face aux exigences de la tâche en cours66. »

Pour illustrer ce point, prenons le cas d’un cadre commercial appartenant à une entreprise de vente directe. Quelles sont ses connaissances et ses représentations concernant le droit commercial ? Ses connaissances sont celles qu’il a mémorisées, mais pas nécessairement l’ensemble exhaustif des règles juridiques. Ses représentations du droit sont celles qu’il peut expliquer et appliquer à un moment donné. On comprend qu’entre la réalité et ses connaissances, puis entre ses connaissances et ses représentations peuvent se glisser des erreurs, des déformations ou des oublis. Ainsi, il a probablement appris quelles sont les obligations de l’entreprise au sujet du délai de rétractation du client. Mais se souvient-il qu’elles interdisent d’encaisser le paiement de sa commande avant l’expiration d’un délai de sept jours ? Cela peut lui sembler évident, c'est-à-dire qu’il en a une représentation claire. Il se peut aussi qu’il l’ait oublié, ou bien qu’il ne sache pas relier cette information au texte de loi qui la fonde.

Les représentations sont donc des « arrangements » particuliers d’informations, dont le but est de se préparer à agir, dans l’immédiat ou au cas où les circonstances s’y prêteraient. Ce sont « des schémas hiérarchisés et emboîtés qui façonnent nos anticipations67. » Trois types

de représentations existent68 :

‰ La représentation propositionnelle, qui est une structure prédicative du langage

utilisée pour parler et écrire,

‰ La représentation imagée, qui exprime les formes perçues par la vue,

‰ La représentation enactive, qui traduit la transformation d’un état ou d’une situation

et contrôle directement nos actes.

Des formes mixtes combinent ces trois formes de représentations, mais la représentation propositionnelle est la plus étudiée car elle est liée au langage et à la communication. Jean-François Richard la considère avec d’autres chercheurs comme la source de la compréhension et du raisonnement69. Représentations mentales et connaissances sont indissociables, ainsi que le montre l’étude des processus qui président à leur usage par la pensée.

66 RICHARD J.-F., op. cit., 1990, pp. 35-36

67 TIBERGHIEN G., in CAVERNI J.-P. et alii, op. cit., 1989

68 RICHARD J.-F., op. cit., 1990, p. 37

III. Le processus cognitif et la notion de modèle mental.

Après avoir défini ce qu’est la représentation mentale, nous souhaitons savoir comment procéder si l’on souhaite faire évoluer certains raisonnements intuitifs ou empiriques ou certaines représentations. Nous pourrions ainsi être à même de les améliorer et de les rendre plus opérationnelles, notamment lorsque ces raisonnements ou ces représentations sont devenus obsolètes au regard d’une situation donnée. De tels éléments cognitifs sont identifiables dans des remarques du type « cela a toujours fonctionné comme ça. »

Les travaux des psychologues cognitivistes, outre d’avoir défini ce que sont les représentations mentales, expliquent leur formation et leur usage. Pour eux, les représentations entrent dans le processus cognitif à plusieurs stades. Elles servent à comprendre, à mémoriser et à agir, fonctions que nous abordons dans le paragraphe suivant, avant de parler de la notion de modèle mental, qui est en quelque sorte une stratégie individuelle pour constituer un ensemble cohérent de représentations en vue d’agir dans un domaine donné.