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Représentation sémiotique et registres chez Duval

QUESTIONS DE SÉMIOTICITÉ ET D’INSTRUMENTALITÉ DU CALCUL BIPOINT

4.1.2 Représentation sémiotique et registres chez Duval

Comme l’explique Duval (1993)103, une écriture, une notation, un symbole repré- sentent un objet mathématique : un nombre, une fonction, un vecteur,... De même les tracés et les figures représentent des objets mathématiques : un segment, un point, un cercle... Cela veut dire que les objets mathématiques ne doivent jamais être confondus avec la représentation qui en est faite. Par conséquent, la distinction entre un objet et sa représentation est donc un point stratégique pour la compréhension des mathématiques.

De plus, selon cet auteur, le seul moyen d’avoir accès aux objets mathématiques est celui des représentations sémiotiques :

Les diverses représentations sémiotiques d’un objet mathématique sont absolument nécessaires. En effet, les objets mathématiques ne sont pas directement accessibles dans la perception, ou dans une expérience in- tuitive immédiate, comme le sont les objets communément dit “réels” ou “physiques” ! Il faut donc pouvoir en donner des représentants. Et, en outre, la possibilité d’effectuer des traitements sur les objets ma- thématiques dépend directement du système de représentation sémio- tique utilisé. Il suffit de considérer le cas du calcul numérique pour s’en convaincre : les procédures, et leur coût, dépendent du système d’écri- ture choisi. Les représentations sémiotiques jouent un rôle fondamental dans l’activité mathématique. [...] c’est seulement par le moyen de re- présentations sémiotiques qu’une activité sur des objets mathématiques est possible104.

Concernant la définition de représentations sémiotiques, Duval a dit : Les représentations sémiotiques sont des productions constituées par l’emploi de signes appartenant à un système de représentation qui a

103. DUVAL1993. 104. Ibid., p. 38.

ses propres contraintes de signifiance et de fonctionnement. Une fi- gure géométrique, un énoncé en langue naturelle, une formule algé- brique, un graphe sont des représentations sémiotiques qui relèvent de systèmes sémiotiques différents. On considère généralement les repré- sentations sémiotiques comme un simple moyen d’extériorisation des représentations mentales pour des fins de communication, c’est-à-dire pour les rendre visibles ou accessibles à autrui105.

De plus, Duval a expliqué aussi le paradoxe cognitif de la pensée mathématique dans l’enseignement dont la raison est qu’on accorde beaucoup plus d’importance aux représentations mentales qu’aux représentations sémiotiques. En effet, comme l’explique Duval, on ne peut pas faire comme si les représentations sémiotiques étaient simplement subordonnées aux représentations mentales, puisque que le dé- veloppement des secondes dépend d’une intériorisation des premières et que seules les représentations sémiotiques permettent de remplir certaines fonctions cognitives essentielles, comme celle liée au traitement des objets mathématiques :

Le fonctionnement cognitif de la pensée humaine se révèle inséparable de l’existence d’une diversité de registres sémiotiques de représenta- tion. Si on appelle sémiosis l’appréhension, ou la production, d’une représentation sémiotique, etnoésis l’appréhension conceptuelle d’un objet, il faut affirmer que la noésis est inséparable de la sémiosis.

Par conséquent, “il n’y a pas de noésis sans sémiosis” ou, en d’autres mots, “pour appréhender un concept il est nécessaire de disposer de plusieurs représen- tations sémiotiquement hétérogènes de ce concept et de les coordonner et la com- préhension nécessite cette différenciation entre représentants et représenté(Duval cité par Lebeau, Ib., pp. 57).

Duval parle ensuite de trois activités cognitives fondamentales liées à la sémiosis : – La formation d’une représentation identifiable comme une représentation

d’un registre donné.

– Le traitement d’une représentation qui est la transformation de cette repré- sentation dans le registre même où elle a été formée.

– La conversion d’une représentation qui est la transformation de cette repré- sentation en une représentation d’un autre registre en conservant la totalité ou une partie seulement du contenu de la représentation initiale.

En ce qui concerne les difficultés de conversion, Duval épingle la notion de congruence (ou non congruence) des représentations sémiotiques qui détermine les conditions de réussite dans la conversion entre deux registres sémiotiques différents. Pour mieux comprendre cela, donnons ici deux exemples de Duval commentés par Lebeau :

1. Si l’on considère une représentation dans le registre de la langue naturelle, soit “l’ordonnée est supérieure à l’abscisse”, il est pos- sible de la traduire dans le registre algébrique, soit “y ≥ x”. Une correspondance terme à terme entre les unités signifiantes res- pectives de chacun des registres est suffisante pour effectuer la tra- duction. Dans ce cas, la conversion inverse permet de retrouver l’expression initiale du registre de départ.

FIGURE4.1

Duval parle alors de congruence des représentations.

2. Si l’on considère la représentation en langage naturel, soit “l’en- semble des points dont l’abscisse et l’ordonnée ont le même signe” et son expression algébrique “x.y > 000, il n’y a plus de corres- pondance terme à terme entre les unités signifiantes respectives des deux registres. En effet, une réorganisation de l’expression donnée du registre de départ est nécessaire pour obtenir l’expression cor- respondante dans le registre d’arrivée. En outre “> 0” regroupe deux unités signifiantes. La conversion inverse ne permet pas de trouver l’expression initiale : “x.y > 000 se traduit naturellement par “le produit de l’abscisse et l’ordonnée est supérieure à 0” et non par “l’ensemble des points dont l’abscisse et l’ordonnée sont de même signe”.

Duval parle alors de non congruence des représentations. Dans ce cas, selon lui, non seulement le temps de traitement augmente mais la conversion peut se révéler impossible à effectuer, ou même à comprendre s’il n’y a pas eu un apprentissage préalable concer- nant les spécificités sémiotiques de formation, de traitement et de conversion de représentations qui sont propres à chacun des re- gistres en présence.

Dans notre travail, on va expliquer qu’on peut parler de non congruence non seulement entre les signes mais aussi entre les stratégies de démonstration d’un formalisme et celles d’un autre dans divers registres. Nous y reviendrons plus loin.

La théorie de Duval est à mettre en lien avec la dialectique ostensifs/non ostensifs de Bosch et Chevallard (1999), bien que le focus et les perspectives diffèrent de l’une à l’autre. C’est ce que nous expliquons à la section suivante.