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L’ÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT DE LA GÉOMÉTRIE AU SECONDAIRE

2.2 La géométrie dans les programmes d’enseigne ment et les difficultés soulevées dans l’enseigne-

2.2.1 Avant la réforme des maths modernes

Les Éléments d’Euclide sont le plus ancien exemple connu d’un traitement axio- matique et systématique de la géométrie et son influence sur le développement de la logique et de la science occidentale est fondamentale. Il s’agit probablement du re- cueil qui a rencontré le plus de succès au cours de l’histoire car, pendant des siècles, il a fait partie du cursus universitaire standard.

Dans le but de simplifier les Éléments d’Euclide, il existe certaines adaptions et versions pédagogiques des Eléments et l’un des plus grands succès de l’édition sco- laire est les “Eléments de géométrie” écrit par Adrien-Marie Legendre. Legendre modifia le style des Eléments d’Euclide en remplaçant la langue formelle du géo- mètre grec par un français très vivant. Ses “Eléments de géométrie” ont servi de support ou de modèle à l’enseignement de la géométrie élémentaire en France, en Belgique, en Espagne et aux Etats-Unis, jusqu’à la réforme dite des “mathéma- tiques modernes”. Cependant, pour concurrencer vraiment les “Eléments de géo- métrie”de Legendre dans les pays francophones, il faut attendre la publication en 1866 de la “Géométrie élémentaire” d’Eugène Rouché et Charles de Comberousse et la publication en 1898 et 1902 de deux tomes des “Leçons de géométrie élémen- taire”de Jaques Hadamard. Les ouvrages de Rouché-Comberousse et de Hadamard inspirèrent à leur tour en Belgique, avec un contenu moins ambitieux, la Géométrie plane et Éléments de topographie et la Géométrie dans l’espace avec compléments (Namur : Wesmael-Charlier) d’Antoine Dalle et C. de Waele qui ont connu pendant un demi-siècle, jusqu’à la réforme dite des mathématiques modernes, plus de vingt éditions et suscité auprès de générations d’élèves belges, les sentiments les plus divers, hormis l’indifférence.

Voyons ici, en guise d’exemple, la sixième édition du livre “Géométrie plane et éléments de topographie” de Ant. Dalle et C. De Waele. Dans les préliminaires, les auteurs présentent des définitions générales, les notions de droite, de plan et la coïncidence des figures. Ils donnent aussi des axiomes utilisés en géométrie. Voici

le détail :

28. Les corps sont des figures à trois dimensions : longueur, largeur et profondeur.

Les surfaces en ont deux : longueur et largeur.

Les lignes n’en ont qu’une, la longueur ; et le point n’en a pas.

29. Un segment de droite est une portion de droite comprise entre deux points.

Deux segments sont égaux lorsqu’ils peuvent coïncider.

33. Deux figures sont égales, lorsqu’elles peuvent coïncider par super- position.

Comme analysé plus haut, ces définitions servent essentiellement de référence pour savoir de quoi on parle, sans aucun caractère opératoire, l’idée de grandeurs superposables étant exactement l’idée de la géométrie d’Euclide. Comme Ruhal Floris54l’a identifié, l’exposé du livre se poursuit dans une veine euclidienne, struc- turé déductivement, avec l’étude des segments et des droites, de la perpendicularité, des triangles avec les cas d’égalité, du parallélisme, des quadrilatères. Les formules d’aires et de volumes s’établissent géométriquement, c’est-à-dire sans utilisation du concept de fonction et avec un emploi plutôt intuitif de la notion de limite. L’objectif principal est de construire des figures géométriques, en n’utilisant que les proprié- tés admises ou démontrées précédemment. Comme a dit Ant. Dalle et C. De Waele dans la préface :

En résumé, nos efforts se sont concentrés vers le but d’une importance capitale : Écarter du tracé des figures et de l’exposé de la démons- tration, tous les éléments parasites qui empêcheraient la vérité géomé- trique de pénétrer simple et lumineuse dans l’intelligence de l’élève.

On peut donc constater que le contenu du livre et de celui d’Euclide sont très similaires, les preuves sont liés aux figures, beaucoup d’imprécision dans le travail d’Euclide reste dans ce livre.

Concernant les vecteurs, dans le livre, les vecteurs sont définis comme des seg- ments de droite orientés comme suit :

458. Soit la portion de droite définie par les deux pointsA et B ; si l’on suppose cette portion de droite parcourue deA vers B, on a le segment AB ; A en est l’origine et B l’extrémité ; si, au contraire, cette portion de droite est parcourue deB vers A, on a le segment BA.

Le sens d’un segment est le sens du déplacement d’un mobile qui va de l’origine à l’extrémité.

Une droite peut être parcourue dans deux sens différents : l’un deux choisi arbitrairement est pris pour le sens positif ; l’autre est le sens négatif.

FIGURE2.1

Si l’on considère plusieurs segments situés sur une même droite, on re- garde comme positifs tous ceux qui sont dirigés dans un même sens convenu, à partir de leurs origines ; et comme négatifs tous ceux qui sont dirigés dans le sens contraire. On attribue ensuite au nombre qui mesure la longueur de chaque segment les signes+ ou − suivant que le segment considéré est décrit dans le sens positif ou dans le sens né- gatif. Ce nombre, ainsi affecté d’un signe, est la valeur algébrique du segment.

On peut voir que les définitions sont ici liées aussi aux figures. Il n’existe pas d’axiomes de l’ordre et donc, comme le travail d’Euclide, c’est vague et intuitif quand on doit considérer l’ordre des points sur une droite. On peut voir la démons- tration de Chasles (de “vecteur alignés”) comme un exemple :

Relation de Chasles. Quelles que soient les positions respectives des trois pointsA, B, C sur une droite, on a

AB + BC + CA = 0

Supposons qu’en parcourant la droite X0X dans un sens positif, on rencontre les points donnés dans l’ordreA, B, C.

FIGURE2.2

On a évidemment

AB + BC = AC [...]

En résumé, avant la réforme des mathématiques modernes, la géométrie ensei- gnée au secondaire est effectivement celle d’Euclide et les manuels scolaires pâ- tissent des mêmes faiblesses que celles dénoncées à propos des Eléments, en gros

une absence de fondements suffisants pour des preuves rigoureuses, sur base d’une axiomatique permettant de s’affranchir de ce que les figures apportent comme infor- mations. Autrement dit, la géométrie au secondaire relève du paradigme de l’“axi- omatique naturelle” au sens donné par Houdement et Kuzniak (2006) dans leurs analyses de pratiques d’enseignement. De ce fait, outre qu’il est un outil pour cher- cher et conjecturer des propriétés, le dessin reste le support d’objets construits sur le sensible et va jouer un rôle effectif dans les preuves où l’on se dispense, par exemple, de prouver l’existence de certains points dont il atteste. Pour cette rai- son, au début des années 50, en Belgique et surtout en France, les mathématiciens commencent à trouver l’enseignement de la géométrie un peu poussiéreux et en- couragent une refonte de son enseignement.