• Aucun résultat trouvé

Les notions de cadres et jeux de cadres chez Douady

QUESTIONS DE SÉMIOTICITÉ ET D’INSTRUMENTALITÉ DU CALCUL BIPOINT

4.1.1 Les notions de cadres et jeux de cadres chez Douady

On peut interpréter l’analyse faite à la section 3.8 à la lumière de la notion de cadre. Rappelons en effet que le formalisme bipoint est “justifié” dans notre MER, par des théorèmes de géométrie, tel le théorème de Thalès qui relève de la géométrie

synthétique au niveau des élèves concernés mais aussi par la bijection entre les réels et les points d’une droite graduée qui repose sur les axiomes de continuité de l’analyse mathématique. On constitue ainsi les prémisses d’un nouveau cadre à la croisée de cadres existants.

Comme nous le verrons ci-dessous, le “changement” de cadres peut ainsi faire évoluer les connaissances.

Dans son article publié en 1984102, Douady définit la notion de cadre comme suit :

Un cadre est constitué des objets d’une branche des mathématiques, des relations entre les objets, de leurs formulations éventuellement di- verses et des images mentales associées à ces objets et ces relations. Ces images jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement comme ou- tils, des objets du cadre. Deux cadres peuvent comporter les mêmes objets et différer par les images mentales et la problématique dévelop- pée.

L’analyse, par exemple, est un cadre lui-même partagé en sous-domaines qui sont, à leur tour, des cadres traitant d’objets plus spécifiques : l’analyse complexe qui étudie les fonctions de variables complexes, l’analyse fonctionnelle qui étudie les espaces de fonctions (de Banach et d’Hilbert),... Comme on le voit avec ce der- nier exemple, un cadre (ici l’analyse) peut être, à son tour, englobé dans un cadre plus vaste : par exemple, celui des espaces métriques ou encore celui des espaces topologiques. La géométrie conduit, elle aussi, à de multiples divisions, selon les objets étudiés ou les méthodes pour le faire : géométrie métrique, affine, ..., synthé- tique, analytique, ..., hyperbolique, ... Mais elle se prête aussi à des extensions et/ou recoupements avec d’autres cadres comme la géométrie différentielle à l’articula- tion de l’analyse, de la topologie et de l’algèbre linéaire.

On touche ici, à l’échelle des mathématiques, à ce que Douady appelle “jeux de cadres”, dans un contexte d’apprentissage, soit “des changements de cadres provoqués à l’initiative de l’enseignant, à l’occasion de problèmes convenablement choisis, pour faire avancer les phases de recherche et évoluer les conceptions des élèves.”

En effet, comme l’explique Rogalski (2001), les changements (ou jeux) de cadres sont féconds en mathématiques. Il en précise trois aspects :

• Le changement de cadres pour faciliter les résolutions d’exercices et de pro- blèmes : “Les jeux de cadres peuvent permettre un traitement qu’on ne sait pas faire ou qu’on pourrait mal faire dans le cadre de départ et qui est rendu plus aisé dans un autre cadre”. Ainsi, comme illustré dans Lebeau (2009) : “L’utilité d’un jeu de cadres intervient lorsque l’on souhaite résoudre une inégalité à deux variables telle quex−y > 0. Cette inégalité se situe dans le

cadre de l’algèbre mais sa résolution y est délicate. Il convient de changer de cadre et de traduire cette inégalité dans celui de la géométrie analytique : on dessinera la droite x − y = 0 qui sépare le plan Oxy en deux demi- plans, l’un comprenant l’ensemble des points de coordonnées (x, y) telles quex − y > 0 et l’autre comprenant l’ensemble des points de coordonnées (x, y) telles que x−y < 0. Ensuite, il suffit de considérer la zone adéquate”. • Le changement de cadres pour faire évoluer les connaissances : “Un chan- gement de cadres permet de rechercher dans un autre cadre un objet qui s’y trouve encore “implicitement” mais qui y est plus facilement repérable que dans le cadre où l’on travaille initialement”. Il est également possible de “si- tuer le cadre où l’on se pose un problème dans une théorie plus générale qui contient d’autres cadres, et d’aller chercher dans ceux-ci une idée, une analogie, pouvant être importée”. L’exemple donné par Rogalski est tiré du DEUG première année.

“On se propose de déterminer toutes les suites numériquesu = (un) véri-

fiant les relations

un+1 = aun+ b, ou un+1= aun+ bn, ou un+1 = anun+ bn,

les suitesa = (an) et b = (bn) étant données.

La première chose est de reconnaître, dans le cadre des suites numériques, qu’il s’agit d’un problème linéaire, et donc de reformuler le problème sous la forme canonique de l’équation linéaire générale du cadre plus théorique de l’algèbre linéaireT (u) = v (ici, u = (un), v = b et T est l’application li-

néaire de l’espace vectoriel des suites dans lui-même définie par la relation T (u) = (un+1 − anun)n. On a ainsi changé de “niveau de conceptualisa-

tion” par “formalisation”.

La théorie dit alors qu’il faut résoudre l’équation “sans second membre” : (un+1− anun) = 0, ce qui donne tout de suite un = C

Y

0≤p≤n−1

ap oùC est

une constante arbitraire. Il faut alors trouver une solution particulière, et le problème est de savoir comment. Mais la théorie générale de l’équation linéaire contient d’autres cadres, par exemple celui des équations différen- tielles linéaires, où on peut chercher une idée ou une analogie qu’on pourra peut-être importer dans le cadre des suites récurrentes linéaires. Et on ne peut pas ne pas penser à la méthode de variation des constantes... et cela marche ! On “fait varier” la constanteC de la solution de l’équation homo- gène (le noyauT ), en posant un= wn

Y

0≤p≤n−1

ap. La nouvelle suite inconnue

vérifiewn−1− wn= bn

Y

0≤p≤n

ap

!

, et le résultat s’en suit par sommation.” • La formation des énoncés en référence à un cadre : Selon Duval (2001),

“l’approche par changements de cadres attire l’attention sur le fait que la formation de l’énoncé est une composante essentielle du problème, dans la mesure où elle se fait en référence aux concepts d’un cadre mathématique”. Notre MER illustre évidemment cette évolution de connaissances en croisant, comme rappelé supra, deux cadres pour construire une caractérisation algébrique de configurations géométriques. Cependant, selon Lebeau (2009), le découpage en cadres semble trop grossier car, à l’intérieur de ces cadres, le changement d’une écriture à une autre, d’un dessin à un autre pose problème aux élèves. On touche là aux registres de Duval (1993) expliqués dans la section suivante.