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Rendre compte pour ne pas avoir à rendre des comptes : le rapport politique comme objet ethnographique

Requalifier l'autorité en situation coloniale

1. Rendre compte pour ne pas avoir à rendre des comptes : le rapport politique comme objet ethnographique

Au cœur de la hiérarchie coloniale, le rapport politique constituait le lien essentiel qui rattachait l'échelon le plus local du commandement colonial européen (commandant de cercle et parfois chef de subdivision) avec le gouverneur du territoire. Le rapport rendait compte des missions de l'administrateur et pouvait être résumé par la fameuse maxime d'Hubert Lyautey, célèbre administrateur colonial au Maroc : « Savoir - Savoir faire - Savoir faire faire - Faire savoir »673.

En prenant le cadre du rapport politique comme objet d'analyse, il convient de sentir, à plusieurs échelles, le fossé qui existait entre les normes imposées par le haut et les pratiques informelles des agents sur le terrain674. L'écriture du rapport permettait pour les autorités de rendre réel, tangible, car couché sur le papier, la réalité – une réalité – du pouvoir des administrateurs sur le terrain. Dans une lecture against et along the grain, pour reprendre respectivement Carlo Guinzburg et Ann Stoler675, il convient d'interroger les dits et les non-dits, les contractions nombreuses et l'anxiété qui transpirent de ces rapports, et qui en disent long sur le travail quotidien des administrateurs.

L'écriture n'était pas un exercice monolithique, homogène ou neutre et il convient aussi de s'intéresser au type d'écriture, au registre de langage utilisé, par qui, pour qui et pourquoi, afin de rendre compte de la dimension rituelle de l'écriture administrative et des rapports de force au sein de l’administration coloniale. Plus largement, s'intéresser à l'écriture administrative c'est analyser comment les agents coloniaux, à travers le rapport envoyé à leur hiérarchie, ont contribué à mettre en scène le pouvoir colonial.

Crawford, The African colonial state in comparative perspective, New Haven, Yale University Press, 1994, p. 154.

673 Cité par Labouret Henri, Colonisation..., op. cit., p. 179.

674 Comme nous l'avons vu pour le système des prestations dans le chapitre 2.

1.1 Réseau routier au Sénégal : le squelette fragile du pouvoir colonial

Un article du journal Paris-Dakar, proche du pouvoir colonial, dresse en 1938 une comparaison entre les routes du Maroc et celles du Sénégal. Alors que le journaliste décrit le réseau du Maroc comme autant de routes où l'on pouvait rouler à vive allure, « ou que les survolant, on voit s'allonger leurs longues lignes droites ou se dessiner leurs courbes harmonieuses »676, il dépeigne le réseau sénégalais en ces termes : « maigres pistes du Sénégal, routes de sable, ponts provisoires […]. Le triste état où vous vous trouvez est la protestation la plus éloquente »677. L'auteur termine sa description en établissant un lien direct entre développement politique et économique, et qualité des routes : « de belles voies de communication, cela reste le signe d'une civilisation avancée : la marque du progrès matériel d'un pays, le signe de sa prospérité économique »678.

Comme nous l'avons analysé dans le chapitre 2, les routes permettaient à l'autorité coloniale de pénétrer physiquement des territoires jusqu'alors inconnus, et contribuaient à la « lisibilité »679 du pouvoir, c'est-à-dire un moyen de faciliter l'organisation administrative de l'espace et le contrôle des populations. L'analyse de Jeffrey Herbst dans son ouvrage States and Power in Africa680 va dans ce sens puisque l'auteur analyse la route, à l'instar d'auteurs comme Christopher Gray ou Roland Pourtier681, dans sa relation entre pouvoir et espace. Herbst montre ainsi comment les différences de densités des réseaux routiers en Afrique peuvent refléter la disparité des niveaux de puissance de l'autorité politique682. Dès lors, en s'intéressant à la viabilité du réseau routier sénégalais, il est possible de questionner l'efficacité des travaux menés par les commandants de cercle, véritables « agents voyers de la colonie »683, et plus largement, la réalité du pouvoir économique et politique des autorités sur le terrain.

La hiérarchie coloniale se composait du gouverneur général à la tête de la fédération, d'un gouverneur pour chaque territoire et de commandants de cercle, cœur de l'administration coloniale. Ces derniers exerçaient leur pouvoir sur le cercle, division administrative de base dans les territoires684. L'arrêté du 22 janvier 1862 leur attribuait des fonctions administratives, judiciaires et de police. Il y avait une véritable ambivalence dans les fonctions même du commandant qui

676 Anonyme, « Ces belles routes », Paris-Dakar, 9 juillet 1938.

677 Ibid.

678 Ibid.

679 Scott James C., Seeing like a state..., op. cit., p. 2.

680 Herbst Jeffrey, States and power in Africa..., op. cit.

681 Voir le chapitre 2.

682 La critique que l'on pourrait adressé à Herbst est qu'il analyse la route comme un tout, sans prendre en compte la diversité des types de routes, du simple chemin inutilisable avec une automobile à la route définitive que l'on retrouve en ville.

683 ANS, 10D4/18, Organisation des travaux d'entretien, d'amélioration et de réfection du réseau routier du Sénégal, 1929.

incarnait à la fois le « Roi de la brousse » cher à Hubert Deschamps685 mais aussi la « Bonne à tout faire », selon l'expression du gouverneur général Van Vollenhoven686. Le commandant de cercle maintenait l'ordre dans sa circonscription – parfois aussi grande qu'un département métropolitain – et administrait la justice. L'omnipotence de l'administrateur était en particulier symbolisée par l'usage que ce dernier faisait du régime de l'indigénat. Il avait en effet le pouvoir d'accuser, de condamner et de sanctionner de manière arbitraire l'ensemble de la population687.

Par ailleurs, le quotidien du commandant de cercle était rythmé par un ensemble de fonctions administratives diverses : recensement, nomination des chefs de villages, organisation des élections locales, organisation de la collecte des impôts et des prestations de travail. Il ne faut pas non plus oublier l'ouverture et l'entretien des routes du cercle, quintessence du métier et de l'autorité du commandant. Ce n'était d'ailleurs pas sans créer certains conflits d’attribution avec le service technique des travaux publics, comme le déploraient certains rapports :

« En ce qui concerne le tracé et l’entretien des routes, les travaux publics accusent l’administration de faire des routes à tort et à travers, selon la fantaisie des commandants de cercles, ce qui rend impossible la création de plans d'ensemble. »688

La question d'un plan d'ensemble était d'autant plus importante que le réseau routier sénégalais était le plus important de l'AOF avec plus de 80 000 km de routes (du simple chemin à la route goudronnée)689. Au niveau de la densité du réseau sénégalais, on note néanmoins une grande disparité entre Dakar et sa circonscription, et le reste du pays. Vitrine de la colonie, la région de Dakar comptait, à la fin des années 1930, près de 43 600 km de routes alors qu'elle ne représentait que 0,3 % de la superficie totale du pays690. Le reste du territoire comptait quant à lui 37 000 km de routes691. Par ailleurs, c'était avant tout les chemins et les pistes – c'est-à-dire des routes non définitives, souvent préexistantes à la conquête coloniale – qui prédominaient sur le territoire, à hauteur de 12 120 km dans le pays, contre seulement 18 km dans la région de Dakar692. Le réseau routier était donc beaucoup plus intense et développé dans le cœur politique et économique du territoire.

Au niveau de la qualité du réseau, que ce soit les rapports politiques, les articles de presse ou les observateurs extérieurs, tous s'accordaient à dire que le réseau routier sénégalais était en

685 Deschamps Hubert, Roi de la brousse : mémoire d'autres mondes, Paris, Berger-Levrault, 1975, 359 p.

686 Cité par Labouret Henri, Colonisation..., op. cit., p. 176.

687 Voir le chapitre 1.

688 ANOM, GUERNUT, Carton 13, Rapport II, Travaux publics et Office du Niger.

689 ANOM, AGEFOM, Carton 374, Dossier Routes, ponts, bacs : Sénégal avant 1950, Routes au Sénégal, non daté (années 1930).

690 Fall Babacar, Le travail forcé..., op. cit., p. 149.

691 Le Sénégal avait néanmoins le réseau le plus dense de l'AOF. ANOM, AGEFOM, Carton 374, Dossier Routes, ponts, bacs : Sénégal avant 1950, Routes au Sénégal, non daté (années 1930).

mauvais état. Alors qu'à Dakar, 22 000 km de routes étaient empierrées et utilisables toute l'année693, sur le reste du territoire, seuls 4 405 km des 37 000 km que comptait le réseau étaient automobilisables, et ce, seulement en bonne saison, excluant donc la saison des pluies lors de laquelle les conditions de circulation étaient rendues encore plus difficiles694.

Il est vrai que contrairement à d'autres territoires comme le Soudan français, riche en latérite, le Sénégal était essentiellement sablonneux et rendait ardu la construction de routes définitives. Un rapport des travaux publics jugeait en effet la situation de la colonie « très difficile »695 au point de vue routier car l'ensemble du réseau était construit sur du sable, se tassant ou s'effondrant à chaque hivernage. Les difficultés étaient d'autant plus fortes dans les années 1930, dans un contexte de développement accru de l'automobile696. Il n'était donc par rare de trouver, au détour de certains rapports politiques, des plaintes récurrentes sur la qualité des routes :

« Le travail de réfection de la route considérée [route Kolda limite Vélingara] est de longue haleine. Par une aberration inconcevable, cette voie d'une importance capitale a été construite en opposition avec les procédés d'établissement normaux et logiques. En saison des pluies, la route devient rivière ou marigot. »697

Des améliorations auraient été possibles mais nécessitaient un budget colossal que les autorités, dans leur obsession de minimisation des coûts, n'étaient pas prêtes à engager. Dès lors, la plupart des routes devaient être reconstruites chaque année et accaparaient le temps des populations, forcées, au titre des prestations, de rénover le réseau routier. Chaque année, après la saison des pluies qui avait englouti des milliers de kilomètres de routes, le « travail de Pénélope recommençait. Les populations étaient réquisitionnées pour reconstruire des centaines de ponts et rénover des milliers de kilomètres de pistes.

À ce titre, à la lecture des décisions prises par le conseil des notables de Kédougou entre 1938 et 1955, on remarque que, chaque année, les tronçons de pistes ou les ouvrages à reconstruire étaient les mêmes. Par exemple, en 1938, le conseil des notables vota la « construction de ponts près des villages de Massamassa, Sakhodofi, Wadamba, Mandankholi, Kobake, Ouayanga, Makhonoko, Sékhoto et Bamboulanda »698. On retrouve cette mention – exactement dans les mêmes termes –, d'année en année, et ce jusqu'en 1955, dans chaque procès-verbal du conseil des notables de Kédougou. Ce n'était donc pas la construction d'un nouvel ouvrage mais plutôt l'entretien et la rénovation de ponts déjà existants qui avaient été votés par le conseil des notables.

693 Ibid.

694 ANOM, AGEFOM, Carton 374, Dossier Routes, ponts, bacs : Sénégal avant 1950, Réseau routier de l'AOF, Colonie du Sénégal, non daté (années 1930).

695 ANOM, TP, Carton 34, Dossier 8, Rapport de mission effectuée sur les routes de l'AOF du 26 avril au 12 juillet 1933.

696 Voir la thèse de Freed Libbie, Conduits of culture and control..., op. cit.

697 ANS, 2G44/99, Rapport politique du cercle de Kolda, 1944.

Dès lors, la route, tel le rocher de Sisyphe, était le lieu d'un entretien constant et répété de la part de milliers de prestataires forcés. Ce système s'avéra au final contre-productif puisque les chantiers de construction du réseau routier sénégalais, lieu de calvaire pour les populations, produisaient l'inverse de l'objectif initialement fixé. On note par exemple que de nombreux villages à proximité des routes furent abandonnés pour éviter d'être soumis au travail forcé, éloignant dès lors les populations « d'une surveillance effective »699 des autorités.

De plus, du fait de la mauvaise qualité des routes, certains rapports notaient que « depuis de bien longues années, aucun des petits villages situés en dehors de la route automobile [n'avaient] été visité par les commandants de cercles »700. Pire, alors même que le réseau routier laissait à désirer, il était aussi le théâtre d'un effarant gaspillage de main-d'œuvre. C'est en tout cas le propos tenu par Christian Laigret, alors commandant de cercle de Matam en 1933 :

« Le Ferlo m'est apparu comme étant un pays tenu absolument à l'écart de la vie économique du cercle. J'ose déclarer que, jusqu'à ce jour, l'habitant de cette région n'a connu de nos bienfaits (en dehors de quelques puits que nous avons percés) que […] l'impôt, la prestation et le recrutement. J'estime que c'est peu lui donner [...] ou trop lui demander. Si notre action au Ferlo doit se borner à cela, je n'hésite pas à déclarer, me rangeant au vœu exprimé par les populations intéressées, que nous nous devons de ne pas continuer à demander à ces gens, sous forme de prestations, des travaux dont l'inutilité est flagrante. Je veux spécialement parler de l'entretien (je devrais dire la réfection totale chaque année, après l'hivernage) de la route Matam-Tambacounda, sur le tronçon Fété-Bové-N'Ghar particulièrement ; si cette route ne doit servir qu'au passage (une ou deux fois par an) de la voiture du commandant de cercle, je n'hésite pas à estimer qu'il est abusif de demander pareil travail à la main-d'œuvre prestataire des villages environnants. »701

Cette longue citation soulève l’inefficacité du système des prestations, raison pour laquelle les autorités coloniales, sous le Front populaire, décidèrent de réformer la corvée dans un triple but : la libération des populations qui pouvaient retourner à leurs cultures sans être accaparées par les travaux routiers, le soulagement administratif des commandants de cercles qui passaient un temps important à organiser les chantiers de prestataires, et au final, l'amélioration du réseau routier702. Les propos de Laigret sont d'autant plus surprenants qu'une telle liberté de ton était plutôt rare dans les rapports coloniaux envoyés à la hiérarchie. En effet, le rapport que les commandants de cercle étaient censés fournir au gouverneur, à intervalles mensuel, trimestriel et annuel, constituait le support principal sur lequel les administrateurs étaient jugés par leur hiérarchie.

Dès lors, au regard du mauvais état des voies de communication sur le territoire, comment

699 ANS, K8(1), Gouverneur général de l'AOF au ministre des Colonies, Compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

700 ANS, 2G28/62, Rapport politique du cercle de Kédougou, 1928.

701 ANS, 10D6/17, Rapport de tournée du cercle de Matam, Juin 1933.

les commandants de cercle, principaux responsables du réseau routier à l'échelon local, rendaient-ils compte de leurs actions alors même qu'ils étaient notés principalement sur leur capacité à ouvrir et entretenir les routes de leur circonscription ? Les rapports, politiques ou économiques, se révèlent être une source de premier choix pour approcher le décalage qu'il y avait entre ce qu'était tenu de faire le commandant de cercle, ce qu'il écrivait avoir fait, et ce qu'il avait véritablement réalisé sur le terrain.

1.2 Normes pratiques et pratique de la norme : le « règne du bluff » à l'échelon local

« J'administre ainsi au petit bonheur. Parfois il se trouve que par une heureuse coïncidence j'ai pris la décision qu'il fallait prendre. Le plus souvent j'en ai pris une qu'aucun texte récent ou ancien n'aurait pu justifier : alors mon erreur passe généralement inaperçue ou bien, plus rarement, je reçois de l'autorité supérieure, quelques mois après, une lettre me signalant, sans aménité comme sans surprise, que j'ai contrevenu à l'article 77 du décret du 5 octobre 1913, modifié en ses paragraphes sixième et neuvième par l'article 122, alinéa D, du décret du 6 octobre de la même année. J'accuse réception de la lettre en déplorant mon erreur et je fais comme mes noirs administrés, je continue. »703

Le Broussard de Delafosse exprime ici l'idée qu'il existe un écart entre les réglementations et les normes officielles édictées par un État ou une administration supérieure d'une part, et les comportements quotidiens des agents en charge de leur application sur le terrain, d'autre part. Les exemples qui traduisent ce fossé sont pléthoriques dans les archives, en témoigne par exemple cette mention dans un rapport d'inspection du cercle de Vélingara en Casamance en 1943 :

« Le chef de subdivision de Vélingara sait comment on procède à Kolda. Si il a jugé nécessaire d'appliquer une autre méthode c'est certainement parce que c'était le seul moyen possible et efficace. Sitôt que les circonstances le permettront il ne manquera pas de se conformer strictement aux règlements. »704

La fonction principale du commandement local européen en situation coloniale (commandant de cercle ou chef de subdivision) était d'expérimenter sur le terrain des normes et des réglementations pensées dans un bureau métropolitain, et d'adapter ces directives aux conditions et contingences locales. De manière ironique, on pourrait reprendre une phrase du Broussard et dire que l'administrateur local devait « concilier ce que lui [dictait] son bon sens avec la lettre ou tout au moins l'esprit de règlements qui [semblaient] n'avoir prévu exactement aucun des cas qui se [présentaient] »705. En effet, le système reposait avant tout sur les pratiques locales des

703 Delafosse Maurice, Broussard..., op. cit., p. 109.

704 ANS, 11D1/218, Rapport d'inspection administrative des subdivisions de Kolda et Velingara, 1943.

commandants de cercle ou chefs de subdivision plutôt que sur les normes édictées à l'échelon du commandement supérieur706.

Jean-Pierre Olivier de Sardan, dans ses travaux sur la bureaucratie en Afrique de l'Ouest, a été un des premiers à analyser ce dédoublement institutionnel de la personnalité des agents, cette « schizophrénie structurelle »707 en parlant de « normes pratiques »708. Partant du principe que les normes formelles étaient incapables de rendre compte des pratiques réelles des agents, il développa l'idée de « normes pratiques » pour décrire tous les usages établis, tous les codes et pratiques informelles qui étaient au cœur du fonctionnement institutionnel, loin des normes officielles édictées, et qui étaient mieux à même de rendre compte de la complexité, de la variété, et surtout de l'ambiguïté des comportements des agents709.

Pour suivre la terminologie de Sardan, nous souhaitons, pour notre part, interroger ce que l'on pourrait qualifier de « pratique de la norme ». Nous entendons par « pratique de la norme » la façon par laquelle les commandants de cercle expriment et rendent compte de leur activité dans le respect supposé des normes imposées par leur hiérarchie mais aussi, et surtout, la façon dont ils arrivent à ne pas exprimer, à ne pas rendre compte des pratiques informelles auxquelles ils ont quotidiennement recours. En d'autres termes, nous souhaitons nous intéresser aux procédés de « mise en scène »710 de l'activité quotidienne des administrateurs coloniaux, utilisés par les administrateurs coloniaux eux-mêmes, afin de « faire croire » à leur hiérarchie à la conformité de leurs actions avec les réglementations, alors même que leurs pratiques réelles sur le terrain différaient.

Dans ce cadre, le rapport administratif envoyé par le commandant de cercle au gouverneur du territoire constitue un lieu d'observation pertinent où l'on peut sentir ce point de friction entre les réglementations auxquelles étaient soumis les administrateurs coloniaux, et leurs pratiques quotidiennes. Pour ce faire, nous adoptons une posture sceptique, c'est-à-dire que nous partons du principe que tout ce qui est écrit dans les rapports envoyés au gouverneur du Sénégal était faux ou

706 On verra qu'il en allait de même pour le rapports entretenus avec la chefferie. Voir le chapitre 5.

707 Olivier de Sardan Jean-Pierre, « État, bureaucratie et gouvernance en Afrique de l'Ouest francophone », Politique

africaine, n° 96, 2004, p. 149.

708 Voir à ce titre Olivier de Sardan Jean-Pierre, « À la recherche des normes pratiques de la gouvernance réelle en Afrique », Discussion paper, Programme « Afrique : pouvoir et politique », 2008, 23 p. ; Olivier de Sardan Jean-Pierre, « State bureucracy and governance in francophone West Africa: an empirical diagnosis and historical