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Domestication de l'espace et des hommes : réseau routier et régime des prestations

Encadrement de l'espace et contrôle des populations sur les chantiers routiers du Sénégal

1. Domestication de l'espace et des hommes : réseau routier et régime des prestations

Après s'être intéressé à la signification et aux usages que se faisaient le pouvoir colonial de la route, il conviendra d'analyser dans le détail la mise en place progressive du régime des prestations et sa justification, à plusieurs niveaux, par les autorités.

1.1 L'importance du réseau routier : significations et usages

Les routes étaient de véritables axes stratégiques pour l'expansion économique et politique du colonisateur. Il est à noter que la construction des routes sur le territoire sénégalais, et plus généralement en AOF, apparaît assez tardivement par rapport à la pénétration coloniale. On peut suggérer, comme le fait Babacar Fall, que la mise en place du réseau routier a été retardée pour éviter toute concurrence avec le chemin de fer qui vivait alors son âge d'or à la fin du XIXème siècle397. Dans un contexte de second boom ferroviaire en France à la fin du XIXème siècle lancé par le plan Freycinet398, le chemin de fer constituait en quelque sorte le symbole d'une modernité industrielle, censé favoriser le développement économique et désenclaver les régions reculées. Considéré comme plus rapide et moins susceptible de subir les aléas climatiques (en particulier la pluie), la priorité politique et budgétaire fut alors, en AOF, accordée principalement, dès le début du processus colonial, au développement du rail.

L'implantation du rail dans les territoires coloniaux était censée répondre, pour les autorités, aux impératifs coloniaux de civilisation à moindre coût : « nos chemins de fer ont été conçus au lendemain de la conquête avec le souci d'aller le plus loin possible avec le minimum de frais. Il y avait, en effet, un intérêt évident à pousser le rail, c'est-à-dire pour la civilisation, vers l'intérieur aussi tôt et aussi profondément que possible »399. La première ligne de chemin de fer sur le territoire sénégalais fut achevée en 1885, reliant les deux capitales politiques Dakar et Saint louis. La ligne Dakar-Niger, longue de plus de 1250 km, fut quant à elle inaugurée en 1924400 et reliait le Sénégal au Soudan français, de Dakar en passant par Thiès, Bamako et Koulikoro.

Avec le développement de l'automobile et l'extension du commerce – et donc du transport – de l'arachide au Sénégal, les autorités coloniales se décidèrent à lancer un programme de développement des routes, considérées au final plus souple que le chemin de fer, car elles permettaient de connecter des régions souvent très reculées401. Un ensemble de routes carrossables fut mis ainsi en place, suivant un réseau de sentiers et de pistes préexistantes, afin d'assurer la

397 Fall Babacar, Le travail forcé..., op. cit., p. 202.

398 Le plan Freycinet était un programme de travaux publics, lancé en 1878 par le ministre des Travaux Publics Charles de Freycinet, pour la construction de chemins de fer, mais aussi de canaux et d'installations portuaires.

399 ANS, 13G81, Directives pour un programme d'équipement administratif et économique de l'AOF par Pierre Boisson, 15 Janvier 1942.

400 Il est intéressant de noter par que pour le chemins de fer du Baol (entre Diourbel et Touba), l'administration coloniale eut recours à l'influence de personnalités mourides pour le recrutement de légions entières de travailleurs. L'administration coloniale n'intervenait donc pas dans le recrutement mais fournissait en contrepartie une somme de 4 francs pour les travailleurs. Pour plus d'informations sur les conditions de recrutement et de travail sur le chemin de fer du Baol par l'intermédiaire de chefs mourides, voir ANS, 11D1/46, Incidents survenus à Diourbel, Construction de la mosquée de Touba, divers 1928-1935. Cette situation est particulière au Sénégal. Dans d'autres colonies, comme le Congo par exemple, c'est l'administration coloniale et certaines compagnies privés qui s'occupèrent de la construction du chemin de fer Congo-Océan, avec les brutalités et nombreux décès que l'on connaît. Voir pour une analyse large, l'ouvrage de Chaléard Jean-Louis, Chanson-Jabeur Chantal (dir.), Le chemin

de fer en Afrique, Paris, Karthala, 2006, 401 p.

liaison entre les différents centres politiques et économiques du territoire402.

Figure n° 2 : Carte routière du Sénégal en 1936

Source : reproduit à partir de Fall Babacar, Le travail forcé..., op. cit., p. 206.

402 Jeffrey Herbst note que l'AOF a reçu plus de crédit que l'AEF en terme de développement du réseau routier. En 1935, le ratio de kilomètres de routes par rapport à la taille des territoires était de 0,007 pour l'AEF et de 0,01 pour l'AOF. Herbst Jeffrey, States and power in Africa: comparative lessons in authority and control, Princeton, Princeton University Press, 2000, p. 86.

Les routes considérées comme « praticables toute l'année » étaient pour la plupart des routes empierrées, contrairement aux pistes qui subissaient les aléas des pluies403. Le réseau de routes au Sénégal s'est principalement développé dans des régions dynamiques politiquement (région de Dakar, Louga, Saint-Louis) et économiquement (région côtière, Sine-Saloum et axe du Dakar-Niger). Ce réseau s'est inscrit dans le processus de civilisation et de « mise en valeur » lancée par les autorités coloniales et a durablement modelé l'espace politique, économique et socio-culturel du territoire. Le maire de Dakar Alfred Goux qualifiait, par exemple, les routes, dans les années 1930, de « meilleurs agents de pacification, de civilisation et de mise en valeur »404. Les routes et pistes des colonies ont ainsi permis de créer de véritables « zones de contact »405, lieux d’interactions sociales et culturelles entre le colonisateur et les populations colonisées, mais aussi lieux de connexions entre des espaces stratégiques tant au niveau économique que politique. Le développement du réseau routier participa ainsi à la mise en place d'un schéma de distribution de l'espace colonial permettant à la fois la circulation des hommes et des marchandises tout en connectant les centres de production et les marchés.

La route revêtait aussi une signification éminemment politique. Un petit détour par l'histoire de France nous renseigne par ailleurs sur l'importance politique que revêtait le réseau routier dans la métropole et les colonies. Les routes métropolitaines, construites dans la première moitié du XIXème siècle, faisait la fierté du gouvernement central français. Ces routes avaient été pensées et édifiées comme de véritables « routes administratives » pour reprendre le terme d'Eugen Weber406. Elles avaient pour fonction principale le déplacement de l'armée, la récolte de l'impôt et le désenclavement des populations rurales. Véritable système tentaculaire, elles étaient le reflet de la vision jacobine du pouvoir qui cherchait avant tout l'unité nationale et le rayonnement de son autorité partout sur son territoire. Ainsi, le développement et l'extension du réseau routier dans les colonies participaient de la même philosophie. Les routes permettaient de pénétrer physiquement des territoires jusqu'alors inconnus, et contribuaient à ce que James Scott qualifie de « lisibilité »407

403 Georges Péter indique qu'au Sénégal, au 31 Décembre 1930, 33.894 km de routes étaient empierrées (seulement 1 km bitumé), 56 km de chaussées en dur, 35 km de chaussées non empierrées, 5693 km de pistes débroussaillées et aménagées et près de 3700 km de routes tracées pour le passage des véhicules. Péter Georges, L'effort français...,

op. cit., p. 134.

404 Goux Alfred (maire de Dakar), « Aurons-nous des routes au Sénégal », Le Sénégal, n° 81, non daté.

405 Le concept de contact zone fut élaboré et défini ainsi par Mary Louise Pratt : « social spaces where cultures meet, clash, and grapple with each other, often in contexts of highly asymmetrical relations of power, such as colonialism, slavery [...] » [Des espaces sociales où les cultures se rencontrent, s'entrechoquent, souvent dans des contextes de relations de pouvoir complètement asymétriques, comme la colonisation ou l'esclavage] (traduction personnelle). Pratt Mary Louise, « The art of the contact zone », Profession 91, 1991, p. 34.

406 Weber Eugen, Peasants into frenchmen: the modernization of rural France, 1870-1914, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. 195.

407 James Scott définit le terme de légibilité comme « a state's attempt to make a society legible, to arrange the population in ways that simplified the classic state functions of taxation, conscription, and prevention of rebellion ». [une tentative par l'État de rendre la société « légible », c'est-à-dire d'organiser les populations dans un sens qui vise à simplifier les fonctions classique de l'État telles que les impôts, le recrutement militaire ou la prévention de tentatives de rébellion] (traduction personnelle). Scott James C., Seeing like a state: how certain schemes to improve

du pouvoir, c'est-à-dire, un moyen de faciliter l'organisation administrative de l'espace et le contrôle des populations408.

En AOF, on estimait dans le milieu des années 1930, à près de 46 000 km de voies carrossables, c'est-à-dire de voies circulables par automobiles, soit toute l'année, soit en saison sèche409. Si on prête attention au détail des différents réseaux routiers par territoires de la fédération, on remarque que le Sénégal fait office de parent pauvre. On compte en effet sur la colonie, 5 900 km de routes « automobilisables » mais seulement 100 km de routes définitives (c'est-à-dire empierrées et circulable toute l'année). Il faut noter que le sol sénégalais était à grande majorité sablonneux et la latérite, très usitée pour les fameuses routes de « tôle ondulée », était rare sur le territoire. La construction de routes définitives était rendue plus difficile410, contrairement à des colonies comme la Haute-Volta qui jouissait dans les années 1930 de 3 200 km de routes définitives et 9 000 km de routes automobiles, ou encore le Soudan français qui détenait 2 600 km de routes définitives et 7 500 km de routes carrossables411.

Les routes en AOF furent classées en quatre catégories fixant la priorité donnée à l'exécution du programme routier : les routes intercoloniales, les routes d'intérêt général, les routes d'intérêt local et les pistes secondaires. Au niveau du budget alloué à « l'entretien des routes et ponts »412

certains cercles se voyaient attribuer des crédits très importants afin de développer et d'entretenir les « routes d'intérêts économiques primordiales »413. Ainsi, dans la colonie du Sénégal, des cercles comme celui de Thiès, de Louga ou du Bas-Senegal, ont vu leur crédit doubler entre 1929 et 1930, comparativement à des cercles comme celui de Bakel ou de Matam, délaissés par les autorités coloniales414.

Contrairement au puissant service des Ponts et Chaussées qui fut largement sollicité en France pour le développement du réseau routier au XIXème siècle, les services locaux des travaux publics – quand ils existaient – n'étaient, pour la plupart, pas chargés de l'exécution du programme routier. Un rapport de mission du service des travaux publics en AOF indiquait ainsi en 1933 que « les routes ont été faites à peu près partout par les commandants de cercle avec l'aide de gardes cercles, des prestataires, et de quelques manœuvres rémunérés qui sont plus ou moins spécialisés, le

408 Au travers, entre autres, du recouvrement de l'impôt, du recrutement militaire et de la réquisition de travailleurs. On verra dans le chapitre 3 que ce rayonnement du pouvoir est en fait limité et que la médiocrité du réseau routier sénégalais révèle aussi les déconvenues d'un pouvoir colonial à l'hégémonie incomplète.

409 ANOM, AGEFOM, Carton 374, Dossier routes d'AOF, le réseau routier de l'AOF, 1930.

410 L'absence de pierres ne permet pas de faire des revêtements solides pour les routes. Par exemple, pour la région de Saint-Louis, il fallait faire venir la pierre par voie d'eau sur près de 100 km avant d'arriver sur les chantiers routiers. Péter Georges, L'effort français..., op. cit., pp. 131-132.

411 Pour le détail par territoire, voir le dossier entier. ANOM, AGEFOM, Carton 374, Dossier routes d'AOF.

412 Titre du chapitre dans le budget local de chaque colonie.

413 ANS, 10D4/18, Organisation des travaux d'entretien, d'amélioration et de réfection du réseau routier du Sénégal, 1929.

service technique [étant] presque toujours absent »415.

Dans l’optique d'un développement rapide et à moindre coût des routes coloniales, c'est donc aux commandants de cercle, « véritable agents voyers de la colonie »416 que revenait la charge de l’ouverture et de l'entretien des routes et pistes du territoire. Raphaël Touze, administrateur de Bignona en Casamance tenait ces propos vis-à-vis des travaux routiers : « [ils] devaient être, parmi tant d'autres, [ceux] qui [devaient] le plus accaparer mon séjour »417. La route, d'essence avant tout locale, devint rapidement le symbole du métier de commandant de cercle qui devait rendre compte des travaux effectués. Au vu des sommes modiques qui étaient la plupart du temps allouées à l'entretien de plusieurs centaines de kilomètres de routes, l'administration locale se reposait essentiellement sur le travail des populations locales qui étaient employées gratuitement sur les chantiers routiers au titre du système des prestations et du travail pénal.

1.2 Le régime des prestations : devoir civique ou retour à la corvée royale ?

Comme nous l'avons évoqué dans le chapitre premier, dans le contexte particulier de la préparation de la conférence de Genève, les officiels français tentèrent de mettre en place une ligne de défense solide afin de légitimer l'emploi, à titre gratuit, de populations non volontaires, sur les chantiers routiers des colonies. L'analyse de ces justifications permet de rendre compte de l'esprit même du système des prestations, régime ségrégatif directement inspiré de la corvée féodale française.

Premièrement, un argument soulevé par les autorités tendait à définir le régime des prestations comme un devoir moral, à la charge des populations qui pouvaient jouir des travaux réalisés. C'est en tout cas la justification que donna le gouverneur général de l'AOF Jules Carde en 1928, en considérant « qu'il [était] juste que ce soient les bénéficiaires futurs de l'entreprise, qui assument la charge de la mener à bien »418. En d'autres termes, les travaux des routes devaient être réalisés par ceux qui allaient les utiliser. Cette argumentation permettait par là même de démontrer l'intérêt de la « mise en valeur » des territoires, en s'inscrivant dans une vision civilisatrice de la colonisation, source de développement économique pour les populations. Cette justification semble cependant pour le moins limitée. En effet, les prestataires devaient aussi s'occuper de l'entretien des terrains d'aviation419. Un rapport politique de 1929 en Casamance indiquait qu'il était très difficile de mettre les prestataires au travail sur les pistes d'atterrissage car les villageois ne voyaient pas

415 ANOM, Fond travaux publics (TP), Carton 34, Dossier 8, Rapport de mission effectuée sur les routes de l'AOF du 26 avril au 12 juillet 1933, p. 4.

416 ANS, 10D4/18, Organisation des travaux d'entretien, d'amélioration et de réfection du réseau routier du Sénégal, 1929.

417 Touze Raphaël, Bignona en Casamance, Dakar, Éd. SEPA, 1963, p. 169.

418 Cité par Perrier Jean-François, Essai de contribution à l'étude du problème de la main-d'œuvre en AOF et AEF entre

1930 et 1932, Mémoire de maîtrise en Histoire, Paris Panthéon Sorbonne, 1971, p. 98.

l'utilité de débroussailler un tarmac qu'ils n'utilisaient jamais. Le même rapport proposa alors une solution quelque peu ubuesque pour montrer l'utilité de l'entretien de la piste, suggérant que « chaque terrain [soit] visité par un avion, au moins une fois par an »420.

Deuxièmement, on peut noter les propos tenus par l'inspecteur fédéral du travail Tap, qui, lors d'un rapport de tournée au Sénégal en 1938, écrivit que ce système était « un service civique, ni plus ni moins attentatoire à la dignité des populations que le service militaire obligatoire »421. Les mots sont importants et révélateurs. L'utilisation du terme de « service civique » induirait que la participation en travail serait une sorte de devoir civique, de devoir citoyen. Or, et c'est bien là l'essence même de ce système de corvée, le régime des prestations n'était réservé qu'à une catégorie particulière de populations, les sujets indigènes.

La réglementation sur les prestations indiquait qu'un certain nombre de personnes étaient exemptées du système : la chefferie de canton et de province, chargée de la surveillance et de l'exécution des corvées, les militaires ou agents de l'ordre en service, les élèves des écoles officielles, ainsi que les mutilés et réformés de guerre et les infirmes422. La réglementation stipulait par ailleurs que les fonctionnaires d’administrations publiques, les magistrats et les membres des conseils administratifs devaient s'acquitter de la prestation mais exclusivement en argent423. Il en allait de même pour la population flottante qui était difficilement mobilisable dans une région donnée du fait de sa mobilité. Pour des raisons économiques, les navétanes, ces migrants affluants au Sénégal pour la culture de l'arachide, n'étaient, elles non plus pas soumises aux prestations424. Enfin, les citoyens français (européens et citoyens des quatre communes) n'y étaient, dans les faits, pas soumis425. Au final, cette charge incombait essentiellement aux simples sujets indigènes dans la société coloniale. Dans les faits, cette contribution « purement indigène »426, selon les termes même du gouverneur de l'AOF, reposait sur un système ségrégatif qui renforçait la distinction entre sujet et citoyen.

Il est important de rappeler, par ailleurs, le coté répressif d'un tel système. En cas de refus d'exécution des prestations, les populations pouvaient être emprisonnées au titre de l’indigénat et étaient soumises au travail pénal, souvent réalisé sur les routes des territoires coloniaux. Le refus d'exécution des prestations était d'ailleurs la peine d'indigénat la plus infligée par les autorités427. Ainsi, en 1933, dans le cercle de Ziguinchor, sur 57 peines d'indigénat, 24 concernaient un refus du

420 ANS, Affpol, Carton 598, Dossier 3, Rapport politique annuel du Sénégal, 1928-1929, p. 27.

421 ANS, K217(26), Rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans le sud du Sénégal, Mars-avril 1938, p. 12.

422 Article 2. ANS, K143(26), Arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930.

423 Article 7. Ibid.

424 Ni même aux impôts. ANS, 2G33/04, Rapport économique annuel du Sénégal, 1933.

425 Marcel de Coppet indique ainsi que « [...] les habitants évolués du Sénégal et du Dahomey ne font pas de prestations et ne les rachètent point car ils savent que le contrôle en est impossible [...] ». ANS, K8(1), Gouverneur général de l'AOF au ministre des Colonies, Compte rendu tournée prestations, 25 janvier 1937.

426 ANS, K186(26), Circulaire sur le régime des prestations, 12 septembre 1930.

travail prestataire428. La situation était similaire dans le cercle de Kédougou où, en 1934, 24 peines d'emprisonnement furent prononcées sur 48 peines au total, au titre d'un refus de travail sur les chantiers routiers429.

Enfin, le dernier argument utilisé par les défenseurs du système des prestations consistait à montrer que ce régime de corvée n'était en rien original au contexte colonial, mais qu'il avait été longtemps mis en œuvre en France. Le directeur de la puissante Ligue maritime et coloniale, Maurice Rondet-Saint, adressa une longue réponse au questionnaire sur le travail forcé envoyé par les autorités coloniales à la veille des débats organisés à Genève par le BIT en 1929. Il tint ces propos sur les prestations : « lorsqu'on demande aux Noirs, sous forme de prestations, un certain nombre de journées de travail, on ne fait que leur appliquer une règle à laquelle sont assujettis tous les ressortissants du fisc, quels qu'ils soient »430.

On peut retrouver cette justification dans de nombreux rapports et articles de presse coloniale. Ainsi, dans un article intitulé « Le travail forcé aux colonies », le journaliste considérait les prestations comme une « forme d'impôt si normale que nous-mêmes, métropolitains, y sommes astreints et que les prestations, non plus en nature mais compensées par un versement d'argent, figurent dans nos contribution annuelles »431. Ces deux exemples font référence à la contribution en travail, imposée aux populations rurales françaises au milieu du XIXème siècle et qui perdura jusqu'à l'introduction d'une taxe vicinale en 1903432. Cette « prestation en nature » n'était que la