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Entre contrôle de la main-d'œuvre et ordre social

2. Institutionnalisation de la contrainte et loi du travail

Le travail forcé en situation coloniale apparaît comme un type spécifique de gouvernementalité, encadré et institutionnalisé par une législation sur le travail qui se mit progressivement en place à partir des années 1920. Ce cadre réglementaire fut reformulé au fil des années, dans un contexte international de plus en plus critique vis-à-vis de l'utilisation du travail non libre dans les Empires coloniaux.

2.1 Gouvernementalité coloniale et système du travail forcé

Comme nous l'avons vu précédemment, les autorités coloniales ont mis en place un système économique particulier, exigeant et imposant aux populations un certain type de comportements, de pratiques et de dispositions économiques. C'est dans ce cadre que le régime du travail a progressivement été formulée comme la pierre angulaire de l'économie politique coloniale. Dès lors, le travail, en tant qu’institution sociale, peut être analysé comme un « fait social total »255,

254 On remarque l'usage du verbe « inciter » et pas « forcer » dans cette citation. ANS, K290(26), A/S main-d'œuvre nécessaire à la traite des arachides 1944 au Sénégal et à Dakar, Direction des affaires politiques, 4 février 1944.

255 Pour reprendre la notion de Marcel Mauss dans son célèbre Essai sur le don : forme et raison de l'échange dans les

c'est-à-dire un mode d’existence imposé de l'extérieur (par le colonisateur) et qui porte sur l'ensemble des éléments qui structurent le rapport au monde du travailleur (les populations colonisées)256. C'est dans cette optique qu'a été mis en place un système de contrainte dans le recrutement, le drainage et la fixation de la main-d'œuvre sur les chantiers publics et privés de la fédération. Légitimé, puis progressivement institutionnalisé par la mise en place – tardive – d'une législation sur le travail, le travail forcé peut ainsi être envisagé comme un système particulier de contrôle des populations, comme un type spécifique de gouvernementalité coloniale.

Le terme de gouvernementalité est souvent utilisé à tort et à travers dans les études historiques257. Nous souhaitons revenir sur l'origine du terme pour mieux en comprendre les conditions de sa formulation et sa potentielle valeur heuristique pour notre sujet. Nous en ferons néanmoins une utilisation nuancée et adaptée à notre cadre géographique et chronologique. Théorisé par Michel Foucault, ce néologisme « barbare mais inévitable»258, décrit l'essence du gouvernement, c'est-à-dire le processus idéologique par lequel le gouvernement se place à l'origine de toutes relations sociales. Il est néanmoins difficile d'élaborer une définition propre du terme en sachant que Michel Foucault lui-même reste assez flou sur cette notion. Ce concept, prononcé pour la première fois par le philosophe dans le cours Sécurité, territoire et population, qu'il donna au Collège de France en 1978, est analysé en trois temps :

« Par ce mot de « gouvernementalité », je veux dire trois choses. Par gouvernementalité, j'entends l'ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d'exercer cette forme bien spécifique, bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir, l'économie politique, pour instrument technique essentiel les dispositifs de sécurité. Deuxièmement, par « gouvernementalité », j'entends la tendance, la ligne de force qui, dans tout l'Occident, n'a pas cessé de conduire, et depuis fort longtemps, vers la prééminence de ce type de pouvoir qu'on peut appeler le « gouvernement » sur tous les autres : souveraineté, discipline ; ce qui a amené, d'une part, le développement de toute une série d'appareils spécifiques de gouvernement et, d'autre part, le développement de toute une série de savoirs. Enfin, par gouvernementalité, je crois qu'il faudrait entendre le processus ou, plutôt, le résultat du processus par lequel l'État de justice du Moyen Âge, devenu aux XVe et XVIe siècles

256 Pierre Bourdieu, dans son ouvrage sur les structures économiques de l'Algérie, montre en quoi les travailleurs en situation coloniale furent arrachés à leur situation « traditionnelle » de l'économie (rapport au temps, à l'honneur, à la domination domestique légitime, bref à la vision d'ensemble de ce qui établit le style de vie) pour affronter un nouveau rapport au monde construit autour du travail comme valeur. Cet ouvrage laisse néanmoins peu de place à l'agency, aux comportements des acteurs, et est à certain égards trop structuraliste. Bourdieu Pierre, Algérie 60:

structures économiques et structures temporelles, Paris, Éd. de Minuit, 1977, 123 p.

257 Pour un aperçu des études sur la gouvernementalité voir Lemke Thomas, « Foucault, governmentality, and critique », Rethinking marxism, vol. 14, n° 3, 2002, pp. 49-64 ; Lascoumes Pierre, « La Gouvernementalité : de la critique de l’État aux technologies du pouvoir », Le Portique. Revue de philosophie et de sciences humaines, n° 13-14, 2004. Disponible en libre accès à l'adresse suivante :http://leportique.revues.org/625 (consulté le 10 décembre 2014).

258 Roland Barthes fut le premier a utiliser le terme de gouvernementalité. Barthes Roland, Mythologies, Paris, Éd. Points, 1957, p. 203.

État administratif, s'est trouvé petit à petit « gouvernementalisé ». »259

On peut ainsi entendre la notion de gouvernementalité comme le processus par lequel un type particulier de pouvoir (première acception) devint, dans le monde occidental, la forme prééminente de pouvoir, qualifié de gouvernement par Foucault (deuxième acception) et dont la prédominance a impacté la conceptualisation de l'État. En d'autres termes, les modes de gouvernementalité peuvent être définis comme l’ensemble des technologies de pouvoir exercées par un gouvernement, dirigeant ainsi la conduite d’individus ou de groupes, et structurant leur champ d'action.

Depuis les années 1990, de nombreux chercheurs se sont inspirés des analyses de Michel Foucault pour réfléchir aux relations de pouvoir dans le cadre colonial260. La question centrale d'un tel emprunt est de savoir dans quelle mesure le concept de gouvernementalité, qualifié par Foucault comme caractéristique de l'État moderne européen, peut apparaître comme une grille de lecture pertinente pour analyser des systèmes de pouvoir qui incluent métropole et territoires colonisés261.

Une critique adressée à l'emploi de gouvernementalité dans les études sur le fait colonial porte sur le caractère eurocentriste de la notion. Michel Foucault, qui ne s'est jamais intéressé au moment colonial, a ainsi développé et formulé des concepts tels que la discipline, la biopolitique ou la gouvernementalité en rapport avec une histoire strictement occidentale262. Le risque d'un emprunt sans nuances de ce concept reviendrait ainsi à « faire de la perruque », pour reprendre l'expression de Michel de Certeau263, c'est-à-dire en faire une utilisation sauvage, sans aucune problématisation et sans prise en compte du fait que ces concepts aient été élaborés dans un contexte différent, avec des objectifs différents.

Nous faisons ainsi le choix de l'emprunt critique, de l'utilisation amendée de ce concept. Au lieu d'appliquer sans distorsion et contextualisation le concept de gouvernementalité à l’intégralité de l'expérience coloniale, il convient de l'envisager dans un sens plus restreint, à savoir, comme une technologie de pouvoir spécifique avec ses limites264. En effet, gouvernementalité renvoie à l'idée de

259 Foucault Michel, Dits et écrits, 1954-1988. III, 1976-1979, Paris, Gallimard, 1994, p. 655.

260 On peut citer, entre autres, Scott David, « Colonial Governmentality », Social Text, n° 43, 1995, pp. 191-220 ; Stoler Ann Laura, Race and the education of desisre: Foucault's history of sexuality and the colonial order of things, Durham, Duke University Press, 1995, 237 p. Pour une analyse très critique, voir Vaughan Megan, Curing their ills:

colonial power and African illness, Cambridge, Polity Press, 1991, 224 p. ; Brown Mark, Penal power and colonial rule, New York, Routledge, 2014, 212 p.

261 Cooper Frederick, Colonialism in question: theory, knowledge, history, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 48.

262 Comme le note Willaert Thijs : « much like the histories of discipline and biopower, the history of governmentality, understood as a specific and historical rationale of power is a self-contained history of the West ». [Comme la plupart des histoires sur la discipline et le biopouvoir, l'histoire de la gouvernementalité, entendu comme une rationalité historique spécifique de pouvoir, est contenu dans l'histoire du monde occidental] (traduction personnelle). Willaert Thijs, Postcolonial studies after Foucault: discourse, discipline, biopower, and

governmentality as travelling concepts, Thèse de doctorat en Philosophie, Justus-Liebig-Universität, 2013, p. 163.

263 Dans le sens de récupérer à son profit, d'utiliser ce concept à son compte. De Certeau Michel, L'invention du

quotidien, op. cit., pp. 43-45.

264 La principale critique est de savoir dans quelle mesure ce concept, appliqué à la situation coloniale, est à même de permettre de comprendre comment les populations colonisées arrivent à s'approprier et à reformuler les systèmes de pouvoirs coloniaux. Voir à ce titre Cooper Frederick, « Grandeur, décadence... », op. cit., pp. 38-39.

gouvernement, c'est-à-dire à la définition foucaldienne du pouvoir et à la façon dont il s'exerce :

« [L'exercice du pouvoir] est un ensemble d'actions sur des actions possibles. [...] Il est bien toujours une manière d'agir sur un ou des sujets agissants, et ce tant qu'ils agissent ou qu'ils sont susceptibles d'agir. [...] Gouverner en ce sens, c'est structurer le champ éventuel des autres. »265

En ce sens, si l'on privilégie cette définition de l'exercice du pouvoir, nous considérons que le terme de gouvernementalité peut être emprunté, ou en quelque sorte, annexé, dans le cadre de notre étude. Nous analysons ainsi le système de travail forcé comme un mode de gouvernementalité imposé par le pouvoir colonial pour le contrôle économique et social des populations.

Cependant, nous ne décrivons pas ce type de gouvernementalité comme un « dispositif univoque et binaire de domination, d'accumulation et de « discipline » »266, mais plutôt comme une méthode spécifique de gouvernement, appliquée dans un cadre et une société donnés, et qui rencontra dans son application, échecs, reformulations, adaptations et résistances267

En conclusion, le système du travail forcé s'est construit autour d'un discours prônant la civilisation par le travail tout en s'établissant, en parallèle, comme une technique de pouvoir institutionnalisée et réglementée instaurant dans les colonies la loi du travail268. La législation progressive qui se met en place au début milieu des années 1920 en témoigne.

2.2 Un camouflet réglementaire pour les entreprises privées

Le ministre des Colonies demanda en 1922 un état des lieux sur la législation du travail en AOF. Le gouverneur général de l'AOF lui répondit en ces termes : « j'ai l'honneur de vous faire connaître, qu'il n'existe en AOF aucune réglementation du travail. Seul l'usage et les conventions arrêtées entre employeurs et employés font la loi des parties [...]. »269. Au lendemain de la conquête,

265 Foucault Michel, Dits et écrits, 1954-1988. IV, 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 237. Cité par Bayart Jean-François, « Foucault au Congo », in Granjon Marie-Christine, Penser avec Michel Foucault..., op. cit., p. 186.

266 Bayart Jean-François, « Foucault au Congo », in Granjon Marie-Christine, Penser avec Michel Foucault..., op. cit., pp. 201-202.

267 Nous rejoignons ainsi l'analyse de James S. Duncan, qui dans son étude sur Ceylan au XIX ème siècle, analyse la gouvernementalité comme une stratégie de pouvoir, non pas qui supplante mais qui interagie avec d'autres. On entends donc le terme de gouvernementalité, et a fortiori le terme de gouvernementalité coloniale comme une technique de pouvoir parmi d'autres, qui rencontre à certains moment résistances et échecs. Voir Duncan James S.,

In the shadows of the tropics: climate, race and biopower in Nineteenth century Ceylon, Aldershot, Ashgate, 2007,

212 p. Voir aussi, dans la même veine, l'ouvrage récent de Mark Brown sur le système pénal dans l'Inde coloniale. L'auteur propose ce qu'il appelle une gouvernementalité coloniale libérale, c'est-à-dire une gouvernementalité coloniale qui reconnaît le pouvoir disséminé dans l'ordre social et pas seulement dans les stratégies du pouvoir colonial. Brown Mark, Penal Power..., op. cit.

268 « [La] mise en valeur des colonies [...] exige la collaboration de l'indigène, et notamment sous cette forme première qu'est l'apport de ses bras... Mais... on ne trouve souvent qu'une population indolente, apathique, réfractaire à tout effort physique. Un seul moyen apparaît capable, dans certains cas, de résoudre cette antinomie et de vaincre l'inertie des indigènes : l'emploi de la contrainte, le travail obligatoire. [...] Son but plus ou moins lointain, mais à ne point perdre de vue, est de hâter le jour où l'indigène, ayant compris son véritable intérêt, se pliera spontanément à la loi du travail ». Mercier René, Le travail obligatoire..., op. cit., pp. 8-10.

consécutivement à la mise en place du système colonial et à l'effort de guerre demandé par le premier conflit mondial, le début du XXème siècle fut marqué par une relative absence de législation sur le travail, laissant ainsi le champ libre à l'administration pour recruter, par voie de réquisition, une main-d'œuvre indigène corvéable à merci.

Il faudra attendre 1925 pour qu'une réglementation du travail dans les entreprises privées voie enfin le jour. La dépêche coloniale consacra un article à cette législation naissante : « comment concevoir une réglementation du travail ? » titrait le journal, « comment les recruter ? Comment inciter les indigènes en âge de travailler à louer leurs bras aux exploitants européens ? [...] »270. L'article résume les objectifs du décret du 22 octobre 1925 réglementant le travail indigène en AOF et de l'arrêté du 29 mars 1926 fixant les conditions d'exécution du dit arrêté :

« Du côté des travailleurs, la réglementation à intervenir (sic) doit leur assurer toute une série de garanties concernant les salaires, la nourriture, les soins médicaux, etc. ; il serait désirable qu'ils conservent de leur engagement le souvenir, non d'une corvée imposée et mal rétribuée, mais d'un labeur suffisamment rémunérateur pour les engager à passer un nouveau contrat. Tels sont les buts à atteindre. »271

Ce projet ne fut appliqué qu'en 1929272 au Sénégal et eut des effets assez limités sur le territoire. Le gouverneur Tap alors en mission pour l'inspection du travail dans la colonie en 1938, considérait en effet que les réglementations en vigueur n'avaient « jamais reçu au Sénégal le moindre commencement d'application »273. Moins catégorique, le gouverneur général de l'AOF Maillet estimait, quant à lui, qu'« en l'état actuel de son développement, et en raison de circonstances spéciales, le Sénégal [n'offrait] qu'un champ d'application assez restreint à cette réglementation du travail [...] »274. Le territoire du Sénégal ne comptait en effet que très peu de grosses entreprises agricoles privées employant de nombreux travailleurs275. De plus, l'économie arachidière sénégalaise étant essentiellement basée sur l'unité familiale, ce régime de production économique ne rentrait pas dans le cadre de la réglementation en vigueur276.

Le but n'est pas d'analyser point par point cette réglementation très générale mais plutôt de souligner certains aspects particuliers de la législation et d'en confronter les principes avec une réalité locale bien différente. Nous souhaitons ainsi montrer comment cette règlementation, sous couvert initial d'encadrer le régime du travail, a plutôt servi de moyen légal pour rationaliser le

270 ANOM, Affpol, Carton 2808, Dossier Activités économique et main-d'œuvre, Article de La dépêche coloniale « Comment concevoir une réglementation du travail », 18 juin 1925.

271 Ibid.

272 ANS, K87(26), Arrêté fixant au Sénégal certaines modalités d'application du décret du 12 octobre 1925 et de l'arrêté général du 29 mars 1926 réglementant le travail indigène en AOF, 12 avril 1929.

273 ANS, K217(26), Rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du Travail dans la vallée du Sénégal, décembre-janvier 1938.

274 ANS, K60(19), Application de la réglementation sur le travail indigène, 4 août 1930.

275 Comparativement à la Côte d'Ivoire par exemple, qui fait figure d'exception.

recrutement de travailleurs contraints sur les chantiers privés des colonies.

Cette réglementation peut être divisée en trois parties : un ensemble de mesures fixant les modalités de l'engagement entre employeur et travailleurs, les conditions de travail et d'hygiène à respecter, et la mise en place d'organes de contrôle veillant à l'application stricte des mesures édictées.

La législation instituait en premier lieu les modalités de l'engagement du travail et consacrait deux types de contrat. Le premier type, dit contrat libre, était celui acté par les deux parties (travailleur et employeur) en dehors de tout contrôle administratif, « selon les usages locaux, soit par conventions verbales ou écrites »277. Le deuxième type de contrat concernait quant à lui les contrats soumis au visa de l’administration278. Cette distinction, nous le verrons, ne fut que formelle et les travailleurs étaient la plupart du temps recrutés de manière forcée par pression administrative279. La signature du contrat de travail était loin d'être la norme et la majorité des travailleurs passait des conventions verbales. Comme le montre le rapport de l'inspection du travail de l'AOF de 1935, dans les entreprises privées, 22 785 travailleurs étaient régis par un contrat de travail alors que 117 803 ne l'étaient pas (soit un ratio de 16% avec contrat et 84% sans contrat). Le fossé était encore plus prégnant pour le Sénégal où moins de 1% des travailleurs étaient régis par contrat dans les entreprises privées (175 travailleurs avaient un contrat contre 26 794 sans)280.

Dans un second temps, tout un ensemble de mesures tendait à codifier les conditions de travail et les mesures d'hygiène à respecter dans les entreprises privées. Ces modalités dépendaient des arrêtés locaux institués dans chaque territoire. Au Sénégal, l'âge minimum des travailleurs était fixé à 18 ans281 pour une durée de travail ne devant pas excéder neuf heures par jour avec deux heures de repos quotidien en milieu de journée, et des jours de repos obligatoires282. Le salaire était fixé à 3 francs journaliers283 avec l'obligation pour les employeurs de fournir une ration quotidienne aux travailleurs, fixée à hauteur de 2,50 cinquante en nature284. La réalité était moins glorieuse et de nombreux travailleurs, comme certains agents administratifs, se plaignaient du non respect du taux

277 Article 1. ANOM, Affpol, Carton 2808, Dossier Activités économique et main-d'œuvre, BIT Séries Législatives, Décret du ministère des Colonies du 22 octobre 1925 règlementant le travail indigène en AOF.

278 « Seuls les contrats peuvent bénéficier du visa administratif ». Article 1. Ibid. Un contrat de travail n'était valable que si la durée de travail était comprise entre trois mois et deux ans avec un minimum de quinze jours de travail effectué par mois (Article 5. Ibid.). Dans les faits, les visas de l'administration n'étaient pas obligatoire. On privait ainsi le droit de regard systématique sur la validé du contrat que devait avoir l'autorité centrale pour garantir les droits des travailleurs et assurer leur protection. Voir Annexe 1 pour un exemplaire type de contrat.

279 Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur les modalités des contrats dans le chapitre 6 consacré aux plantations privés de sisal.

280 ANS, K21(1), Rapport de l'inspection du travail de l'AOF sur le régime de la main-d'œuvre, 1935.

281 Article 2. ANS, K87(26), Arrêté fixant au Sénégal certaines modalités d'application du décret du 12 octobre 1925 et de l'arrêté général du 29 mars 1926 réglementant le travail indigène en AOF, 12 avril 1929.

282 Article 3. Ibid. L'arrêté fixait par ailleurs des jours de repos obligatoires : dimanche, fête légales et « fêtes indigènes ». Article 4. Ibid.

283 Article 9. Ibid.

de salaire ou de rations insuffisantes285. Un point important de cette réglementation fut la mise en place du pécule, une retenue mensuelle sur salaire, qui constituait une véritable épargne forcée286. Le salaire gagné chaque mois était divisé en deux, une partie remise au travailleur et l'autre transformée en « timbres-pécules » apposés sur un livret prévu à cet effet.

Figure n° 1 : Carnet de pécule

Source : ANS, K60(1), Carnet de pécule, années 1930

La mise en place de ce pécule répondait à deux objectifs : le premier était avant tout de lutter contre les désertions massives de travailleurs et la constitution de populations flottantes, crainte quotidienne des autorités coloniales. Le pécule étant délivré à la fin du contrat, les autorités coloniales pensaient ainsi pouvoir retenir la main-d'œuvre jusqu'à expiration de leur engagement287. La deuxième fonction du pécule s'inscrivait plus largement dans l'idéologie coloniale d’éducation par le travail, en inculquant aux travailleurs les notions de prévoyance et d'épargne obligatoire afin de lutter contre « l'imprévoyance supposée des indigènes »288.