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Économie de la contrainte et pratiques locales : conditions de travail sur les chantiers de prestataires

Encadrement de l'espace et contrôle des populations sur les chantiers routiers du Sénégal

2. Économie de la contrainte et pratiques locales : conditions de travail sur les chantiers de prestataires

La réglementation du système des prestations, pensé à l'échelle de la fédération aofienne et des territoires, se révéla difficilement applicable au niveau local. L'adaptation de la réglementation et les abus permanents dans l'exécution des prestations rappellent le large fossé qui existait entre les prescriptions théoriques des circulaires et les réalités du terrain Ce fossé suggère par ailleurs le gaspillage et l'inefficacité de ce système qui fut réformé sous le Front populaire.

2.1 « Summum jus, summa injuria »472 : la perversion d'un système inefficace

Avant de détailler les nombreux abus de ce système, il convient de soulever quelques pistes pour comprendre comment un régime, pourtant si réglementé, a pu générer autant d'abus. La question peut paraître naïve, mais elle rend compte du fossé qui a existé entre une réglementation théorique et son application pratique sur le terrain.

La question du commandant de cercle d'Abomey, au Dahomey (Bénin actuel), en 1937, semble tomber sous le sens : « la vraie raison de [l'impopularité des prestations] ne doit-elle pas être plutôt recherchée dans la manière dont, dans la pratique, nous les faisons exécuter ? »473. Le manque de moyens chroniques et la demande pressante de résultats concrets ont été générateurs d'un arbitraire généralisé dans l'application du régime des prestations. En effet, doté de budgets locaux minimes pour la construction et l'entretien des routes, pistes d'atterrissage et autres bâtiments administratifs, le commandant de cercle en charge de ces travaux a le plus souvent compensé l'absence de moyens par un surcroît de travail prestataire. Rappelons à cet égard que les travaux publics étaient l'une des premières tâches incombant à l'administrateur local, dont la carrière et la promotion dans le cursus honorum colonial dépendaient en grande partie des résultats qu'il

471 ANS, 2G34/27, Rapport annuel de l'inspection du travail, 1934. Voir aussi ANS, K143(26), Arrêté type portant réglementation des prestations en AOF, 1930. Article 8.

472 Locution latine qu'on pourrait traduire par « justice excessive devient injustice ».

473 ANS, K46(2), Commandant du cercle d'Abomey (Dahomey – Bénin actuel) au gouverneur de l'AOF, régime des prestations, 20 mai 1937.

produisait474. Il n'était donc pas surprenant de voir certains commandants de cercle user d'une contrainte excessive en soumettant des contingents entiers de prestataires pour la réalisation du réseau routier.

Par ailleurs, l'exécution des prestations n'était soumise à aucune vérification, laissant la porte ouverte à tous les abus. Il n'était pas rare de lire, dans les débats au conseil colonial du Sénégal, des propos dénonçant le manque de contrôle des prestations en nature, qui ne donnaient « lieu à aucune remise de la moindre constatation du travail effectué »475. À ce titre, les rapports d'inspection administrative regorgent d'exemples intéressants, pointant du doigt les dysfonctionnements du système. Un rapport d’inspection du cercle de Ziguinchor indique par exemple, en 1937, qu'aucune comptabilité des prestations en nature n'était tenue et que les prestataires qui s'étaient libérés par leur travail ne pouvaient justifier qu'ils étaient exemptés pour le reste de l'année476.

Il était dans les faits souvent impossible pour l’administrateur colonial de contrôler effectivement l'exécution des journées de prestations. La surveillance des prestations était ainsi laissée à l'arbitraire des chefs de canton. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le chapitre 5 consacré à la chefferie coloniale mais il est important de noter dès maintenant la position de juge et partie de la chefferie en charge à la fois du recrutement des prestataires, de la surveillance du travail sur les chantiers, et du contrôle des abus. Autant dire qu'il leur était laissé une large marge de manœuvre, source d'arbitraire et d'exactions. Abdou Karim Tandjigora, dans son tout récent ouvrage sur l'évolution comparée des régions du Boundou et du Gadiaga au Sénégal, montre comment certains chefs avaient tendance à désigner les mêmes personnes pour les prestations, descendants de familles serviles ou habitants en conflit ouvert avec le chef477. Le conseiller colonial du Sine Saloum Alioune Badara Guèye, dénonça vivement, en 1927, le fait que certaines populations « [étaient] livrées à l'arbitraire et aux caprices du chef de canton qui les [obligeaient] à travailler, malgré qu'ils [aient déclaré] vouloir racheter la prestation »478. Un cas similaire se produisit dans le cercle de Bignona, un télégramme du commandant de cercle indiquant que « le nommé Lamine Sonko de Cagnobon [...] ayant racheté ses prestations, a été désigné par son chef de village pour travailler, et, ayant refusé, se serait vu infliger cinq jours de prison à Bignona »479.

La réglementation des prestations, élaborée à l’échelle de la fédération et adaptée au niveau des territoires, ne prenait aucunement compte des situations locales. Dès lors, les commandants de

474 Voir le chapitre 3.

475 Propos de monsieur Henry Larrieu. Conseil colonial du Sénégal, Session extraordinaire de Novembre 1926, p. 107.

476 ANS, 13G13, Rapport d'inspection administrative du cercle de Ziguinchor, 1937

477 Tandjigora Abdou Karim, L'évolution économique et sociale comparée de deux régions sénégalaises dans le

processus de colonisation, décolonisation et développement : le Boundou et le Gadiaga, 1885-1980, Thèse de

Doctorat en Sciences économiques, Université Montesquieu Bordeaux IV, 2012, p. 371. Nous n'avons eu accès qu'à la thèse de l'auteur mais un ouvrage a été récemment publié : Colonisation et inégalités au Sénégal : le Boundou et

le Gadiaga, 1885-1980, Paris, L'Harmattan, 2015, 696 p.

478 Conseil colonial du Sénégal, Session de Juin 1927. Cité par Sow Abdoul, Ibrahima Seydou Ndaw 1890-1969: Essai d'histoire politique du Sénégal, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 65.

cercles se retrouvaient à adapter continuellement une législation inapplicable sur le terrain. Alors que certains cercles du Sénégal pouvaient fournir assez de prestataires pour les travaux de routes à effectuer, d'autres régions, du fait d'une faible densité de population, utilisaient de manière intensive le travail prestataire. Les populations étaient employées pour des durées plus longues que celles établies dans chaque territoire, et sur des distances bien supérieures à celles indiquées dans la législation. La liste des abus est longue et les interprétations personnelles de la réglementation par les commandants de cercles étaient légions. Ainsi, pour l'administrateur colonial du Sine-Saloum, les quatre journées de travail réglementaires devaient être des journées réelles de travail, c'est-à-dire « devant commencer à 6h du matin et finir à 18h [...] »480. Or selon lui, les prestataires perdaient du temps à venir sur des chantiers éloignés et travaillaient souvent moins que les horaires indiqués. Dès lors l'administrateur mit en place un système de travaux à la tâche entraînant la plupart du temps un dépassement des quatre journées de travail.

Comme s'en émeuvent les membres du conseil colonial du Sénégal, nombre d'entorses à la législation pouvaient être constatées :

« Beaucoup de prestataires [...] ont à faire 5 km pour se rendre à leur travail [et] ne perçoivent pas la ration à laquelle ils ont droit. D'autre part, on a exigé de certains indigènes jusqu'à un mois de travail, alors que le nombre de journées de prestations est fixé à quatre. »481

« Lorsque les prestataires travaillent à plus de 5 km de leur village on doit les nourrir. En réalité le règlement n'est pas appliqué, et quand des indigènes se réclament de la loi, on les menace de la corde au cou, de la prison et des menottes. »482

La ration se trouvait souvent à la charge des familles qui étaient alors détournées de leur culture. Les femmes ou les parents devaient apporter le ravitaillement sur des chantiers parfois éloignés à plus de deux jours de marche, entraînant une désorganisation de toute la vie du village483.

Les conditions de travail et d'hygiène des prestataires étaient si préoccupantes que le service de santé de l'AOF réfléchit à un certain nombre de mesures « destinées à améliorer les conditions de vie des indigènes, notamment en ce qui concerne l'alimentation insuffisante et les fatigues excessives occasionnées par des travaux de prestations souvent mal rémunérées »484.

La présence de femmes et d'enfants, pourtant interdits sur les chantiers, constituait, elle aussi, le signe du fossé existant entre les réglementations et l'organisation pratique des prestations. Le rapport de la commission Guernut sur le travail et la main-d'œuvre tenta d'expliquer la présence

480 ANS, 11D3/41, Extrait du rapport politique du cercle du Sine-saloum, 20 mai 1922.

481 Propos tenus par Alioune Badara Guèye, Conseiller colonial du Sine-Saloum. Conseil colonial du Sénégal, Session extraordinaire d'Octobre 1928, p. 94.

482 Propos tenus par Adama Lô. Conseil colonial du Sénégal, Session extraordinaire de novembre 1936, p. 61.

483 Cette crainte fut soulevée dans un article des Annales coloniales intitulée « la corvée ». ANS, K77(26), « la corvée » par P. Le Verbe, Annales coloniales, 31 janvier 1938.

de femmes sur les chantiers par le fait que « dans de nombreuses régions certains travaux manuels [étaient] réservés aux femmes et que le prestataire amené sur les chantiers [voyait] arriver, un instant après, son épouse ou une de ses épouses qui voulait prendre sa place »485.

Les femmes étaient en effet très présentes sur les routes, et leur travail consistait principalement à transporter de l'eau dans des paniers, damer la route en dansant au son du tam-tam des griots ou cuisiner pour les prestataires. Il est intéressant à ce titre de mettre en relief les rapports politiques des différents cercles, qui dans leur grande majorité, faisaient état d'un fonctionnement normal des prestations, et les rapports édictés par d'autre services, qui révèlent, sans doute sans le vouloir, la présence de femmes et d'enfants sur les chantiers. Un rapport des travaux publics sur le réseau routier en AOF est particulièrement intéressant car il publie tout un ensemble de photos afin d'illustrer la façon dont les routes étaient construites en AOF. Sur une grande majorité des clichés, pris dans toute l'AOF, force est de constater qu'il n'y avait pas que des hommes âgés entre 18 et 60 ans sur les routes.

Figure n° 3 : Photos de femmes et d'enfants sur les chantiers routiers en AOF

Source : ANOM, TP, Carton 34, Dossier 8, Rapport de mission effectuée sur les routes de l'AOF, 1933

Bien que la majorité des photo furent prises en Haute-Volta, de nombreuses sources sur le territoire sénégalais font état de la même situation. Ainsi, l'inspecteur fédéral du travail Tap indiqua, lors de sa tournée au Sénégal, que certains prestataires « [trouvaient] en effet plus commode d'envoyer les enfants et vieillards sur les routes faire semblant d'exécuter les prestations à leur place »486. Ces propos furent contredits pas l'inspecteur du travail au Sénégal Quinquaud, indiquant que « monsieur Tap serait peut être fort embarrassé de dire où il a vu des femmes, des vieillards et des enfants faire les prestations sur les routes ». Et de rajouter : « on peut parler de ces choses au passé depuis déjà longtemps, et je crois que monsieur Tap répète une légende »487. Légende ou pas, une enquête sur la gestion financière dans le cercle de Sédhiou réalisée en 1937 – soit à la même époque que le rapport d'inspection de Quinquaud – nous apprend que les prestataires accomplissaient en général deux semaines de prestations au lieu des quatre journées réglementaires et qu'il n'était pas rare de trouver des enfants à partir de dix ans à la place des hommes valides488. Cette situation fait en quelque sorte écho à l'observation sarcastique du Père Maurice Lelong489 qui,

486 ANS, K217(26), Rapport de mission du gouverneur Tap inspecteur du travail dans la vallée du Sénégal, décembre-janvier 1938.

487 ANS, K217(25), Analyse de l'inspecteur des affaires administratives et inspecteur du travail du Sénégal Quinquaud au gouverneur du Sénégal sur les rapports de l'inspecteur fédéral du travail Tap, 16 mars 1939.

488 ANS, 11D1/237, Enquête sur gestion financière dans le cercle de Sedhiou, 1937.

dans son ouvrage Ces hommes qu'on appelle anthropophages, invitait à « se méfier des appareils de photographie qui, sous je ne sais quel effet du soleil tropical, enregistrent des scènes qui n'ont jamais eu lieu, comme l'attestent les rapports officiels. Il est absolument inexact par exemple que des troupes d'enfants aient jamais été recrutées pour construire une route »490.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier un acteur important, incarnant à lui seul l'arbitraire de la corvée : le garde-cercle. Posté le long des chantiers routiers, il constituait, pour beaucoup de prestataires, le symbole de la violence du système. La position du garde-cercle était ambigüe car il incarnait une position d'autorité vis-à-vis des populations, usant de la violence que son pouvoir lui conférait, alors qu'il ne restait, dans la société coloniale, qu'un simple sujet indigène491.

Armé d'un mousqueton ou d'un nerf de bœuf, le garde-cercle était au cœur de la surveillance des chantiers, traquant les prestataires déserteurs et sommant les travailleurs d’accélérer la cadence si il jugeait le rythme trop faible. Certains drames se produisirent comme en témoigne cet incident sur un chantier dans le cercle de Kolda. Le garde Alassane Sow, en charge de la vérification des présences des travailleurs « reprocha [au chef d'équipe] son retard et l'absence de trois hommes sur une équipe de trente hommes »492. Une dispute éclata et le garde-cercle frappa le chef d'équipe « de plusieurs coups de poings à la mâchoire ou au cou »493. Quelques jours plus tard, l'homme décéda des suites de ses blessures. L'autopsie pratiquée par un médecin colonial révéla que la mort fut causée des suites d'un traumatisme à la gorge provoqué par les coups du garde-cercle.

Les conséquences de ces abus furent nombreuses et reflètent en quelque sorte l'ineptie d'un système aussi contraignant qu'inefficace. Le système des prestations créa chez les populations, une « peur de la route »494, un refus massif de cette contrainte, qui se traduisit par la fuite de villages entiers, surtout dans les régions frontalières de la colonie (Casamance en particulier)495. Alors même que l'une des justifications de l'extension du réseau routier était de pouvoir connecter et attirer des villages entiers près des nouvelles routes, l'usage des prestations a entraîné l'effet inverse, déplaçant de nombreuses populations loin des routes pour éviter cette corvée.

Bruno de Lestrange, dans son étude démographique de la région de Kédougou au Sénégal oriental, remarque que les prestations et les réquisitions pour le travail dans la sisaleraie installée dans le cercle voisin de Tambacounda, fut l'occasion d'une émigration importante de malinké et de bassari. Communément appelée le « temps de la force », cette période vit des villages entiers se

490 C'est sous une photographie montrant des enfants aux travail que le Père Maurice Lelong eut ce commentaire. Cité par Suret-Canale Jean, Afrique noire..., op. cit., pp. 266-267.

491 Bien qu'il ne soit pas soumis aux prestations comme le prévoyait la législation. Cette tension était encore plus présente dans les prisons coloniales avec l'exacerbation des hiérarchies sociales. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans les chapitres suivants.

492 ANS, 11D1/309, Rapport du commandant de cercle de Kolda au gouverneur du Sénégal, Incident garde-cercle, 25 Mars 1944.

493 Ibid.

494 ANS, K46(2), Commandant du cercle d'Abomey (Dahomey – Bénin actuel) au gouverneur de l'AOF, régime des prestations, 20 mai 1937.

déplacer à 15 ou 20 km de la route, dans la forêt, le but étant avant tout de s’éloigner de la route et de l'attention des agents de l'administration496. Le régime des prestations a créé en quelque sorte un cercle vicieux : la corvée, coercitive par essence, poussa de nombreux villages à la fuite. Cette situation n'a fait qu’accroître encore plus la violence et la contrainte inhérentes au conditions de recrutement et de travail des prestataires puisque les commandants de cercles devaient, coûte que coûte, réaliser les travaux de route.

Enfin, et c'est là un point important, les rapports coloniaux s'accordent tous sur le rendement médiocre de ces travaux, souvent réalisés avec un outillage rudimentaire. La réflexion tirée du rapport de la commission Guernut est à ce titre éloquente :

« C'est un spectacle émouvant que de voir de longues colonnes de jeunes gens et même des femmes portant sur la tête dans un panier de fibre ou de feuilles de palme la terre qu'ils répandent avec leurs mains sur la chaussée. Le temps perdu pour l'entretien des routes, la main-d'œuvre employée, sont considérables et il serait de la plus grande utilité pour la colonie de rendre à leurs travaux agricoles les prestataires. L'économie générale de l'AOF s'en ressentirait heureusement et la population indigène serait soulagée d'une charge écrasante. »497

La commission soulève l'idée d'un gaspillage de la main-d'œuvre, qui se voyait détournée du travail des champs, pourtant vital pour l'économie de la fédération. Avec l'avènement du Front populaire en AOF, les nouvelles autorités coloniales prirent acte de l’inefficacité de ce système, en tentant une réforme générale du régime des prestations.

2.2 De la prestation à la taxe vicinale, le « réformisme manqué »498 du Front populaire

De nombreuses études se sont intéressées aux réformes du Front populaire en AOF et plus particulièrement à sa volonté de suppression du régime des prestations499. Le but de cette sous-partie n'est pas de compiler les arguments de ces analyses mais plutôt de montrer en quoi la reforme des prestations en AOF, et plus particulièrement au Sénégal, a suscité de nombreux débats internes et a posé plusieurs problèmes pratiques, allant jusqu'à générer des abus d'un nouveau genre.

À la suite d'une longue tournée effectuée en AOF et au Togo après sa prise de poste en tant que gouverneur général de la fédération, Marcel de Coppet500 rendit compte, sur une douzaine de pages, de toutes les atteintes à la réglementation des prestations qu'il avait pu constater. Reprenant

496 Par exemple, Bruno de Lestrange, dans son étude démographique au Sénégal oriental, explique que de nombreux villages fuyaient en forêt, « loin de toute route, tout à fait isolé[s] pendant la saison des pluies » afin d'être à l'abri des corvées. Lestrange Bruno de, « Étude démographique et sociale d'un groupe poly-ethnique de villages du Sénégal oriental (département de Kedougou) : Sibikiling, Seguekho, Niéméniki » , Bulletins et Mémoires de la

Société d'anthropologie de Paris, vol. 5, n° 1, 1969, p. 33.

497 ANOM, GUERNUT, Carton 13, Rapport II, travaux publics et Office du Niger.

498 Liauzu Claude, Colonisation..., op. cit., p. 52.

499 Voir entre autres, Person Yves, « Le Front populaire... », op. cit. ; Bernard-Duquenet Nicole, Le Sénégal..., op. cit.

500 Pour une biographie détaillée de ce personnages, Couturier Alain, Le gouverneur et son miroir: Marcel de Coppet

en grande partie les griefs évoqués plus haut, il dénonça, entre autres, la présence de femmes et d'enfants sur les chantiers, le dépassement des journées de prestations, les migrations forcées de prestataires loin de leur foyer et l'absence de ration501. Il conclut son rapport par ces mots, devenus célèbres :

« Nous mentons en France, en Europe, dans le monde entier, à Genève et au BIT, lorsque les règlements et circulaires en main, nous parlons de l'organisation du travail aux colonies, sur les chantiers de travaux publics... nous déshonorons notre administration coloniale. »502

À la suite de ces critiques, le gouverneur proposa une réforme profonde du système par la mise en place d'une taxe additionnelle, visant à remplacer, à terme, les prestations en nature. Cette réforme et les débats qu'elle suscita doivent être entendus dans un contexte politique et économique particulier.

La suppression des prestations, lancée par le gouverneur général, s'inscrivait dans un premier temps dans une volonté de rupture politique et de réforme morale de la colonisation suscitée par l'accession du Front populaire au pouvoir. Quelques années après la Convention de Genève, que le Front populaire ratifia en 1937, cette réforme des prestations visait à rassurer une opinion internationale qui suivait de près les évolutions politiques et sociales des Empires coloniaux. Il est intéressant de noter la communication politique qui eut lieu autour de cette