• Aucun résultat trouvé

3   CADRAGE THEORIQUE 17

3.3  L A PERIODE DE TRANSITION DE LA FORMATION A L ’ EMPLOI 52 

3.3.4   L’insertion professionnelle comme espace privilégié pour interroger la formation initiale 61

3.3.4.2  De la rencontre entre les savoirs de la recherche et les savoirs de l’expérience 62 

Selon Perrenoud et al. (2008), « une partie des professionnels ne se sert guère des savoirs théoriques qu’ils ont accumulés durant leurs études », soit parce qu’ils les ont oubliés voire jamais intégrés, soit parce que ceux-ci leur apparaissent comme opaques, peu clairs, et induisent « plus de complexité que le praticien ne peut en supporter lorsqu’il est en action » (p. 13). L’enseignant – et certainement plus encore l’enseignant débutant – se retrouve

fréquemment en situation d’urgence et l’enjeu est avant tout pragmatique : il s’agit d’interpréter les situations sur le vif et de prendre les bonnes décisions dans le but de réussir à gérer les situations de terrain. Selon Durand (2008), il importe pour les enseignants débutants de réussir avant tout dans les aspects liés à la gestion de la discipline, à la mise en activité des élèves et au respect des planifications de leçons, ceci dans le but premier de faire leurs preuves et de montrer leurs aptitudes. Or, selon Durand (2008), l’accord existant entre les enseignants et les formateurs sur la manière d’enseigner en général n’est ni total ni totalement explicite. C’est pour cette raison que « les enseignants débutants sont souvent confrontés à des contradictions ou inconsistances tenant à la nature de ce qu’il convient de faire en classe et aux modes de justification de ces actions » (p. 40). Dans ces conditions, les jeunes enseignants en viennent fréquemment à accorder du crédit à certaines personnes selon des critères personnels parfois éloignés des critères de formation, à s’accommoder de raisonnements auxquels ils n’adhèrent que partiellement ou à ignorer ce qui les déstabilise pour préserver leur identité dans la phase délicate de l’insertion professionnelle. Ainsi, même si certains jeunes enseignants cherchent à aboutir à une action unifiée et censée dans le cadre de cette confrontation à des savoirs de nature multiple, « les plus nombreux ne recherchent pas une unité d’ensemble, s’accommodent de cohérences locales ou momentanées et construisent des îlots d’efficacité et de consistance à partir desquels ils se développent » (Durand, 2008, p. 40).

Altet (2008) montre également dans ses travaux la diversité, la multiplicité ainsi que l’aspect hétérogène voire hétéroclite des différents savoirs avec lesquels les jeunes enseignants sont mis en contact, savoirs provenant qui plus est de sources également diverses et variées. Dans ce cadre-là, le fait que des formateurs tentent d’invalider certains savoirs ou pratiques, par exemple dans le cadre de dispositifs formels d’introduction à la profession, est souvent voué à l’échec : les jeunes enseignants perçoivent des contradictions avec ce qui se passe réellement sur le terrain et la nature du changement à envisager leur semble souvent trop importante. Selon Durand (2008), il arrive alors fréquemment que les jeunes enseignants résolvent cette contradiction en décrétant que la formation est à la base de principes, d’idées générales, voire d’une vision idéale du métier, ce qui contribue à entretenir l’implicite largement répandu selon lequel « il y a deux registres de vérité : l’un théorique et l’autre pratique ». (p. 40). Selon Rayou (2008), il arrive aussi régulièrement, surtout dans des établissements réputés comme « difficiles », que des collègues de l’établissement soient porteurs de tels messages et confortent les nouveaux enseignants dans l’idée que ce qui est vu en institut de formation a finalement fort peu à voir avec ce qui est nécessaire pour exercer le métier. Existe-t-il alors des conditions d’intégration, de métissage ou de « reconfiguration » des différents savoirs en présence, selon le terme utilisé par Altet (2008, p. 92) ? Faut-il des espaces intermédiaires expressément dédiés à cette fonction, en formation initiale puis dans l’exercice de la profession ? Les stages permettent-ils le dialogue entre ces différents types de savoirs ? L’ensemble de ces questions renvoie d’une part à la cohabitation de différents types de savoirs provenant de sources variées et d’autre part aux modalités de leur appropriation dans le cadre du développement professionnel de l’enseignant. La nature et la provenance des savoirs en jeu étant multiples et complexes, je m’en tiendrai pour la clarté de cette partie à une distinction entre « savoirs issus de la recherche », au sens de savoirs de l’ordre du discours, et « savoirs issus de l’expérience », au sens de savoirs de l’ordre de l’action. Cette distinction est bien entendu trop binaire, ainsi que le soulignent Perrenoud et al. (2008) dans l’introduction de leur ouvrage, du moment que les savoirs issus de la recherche proviennent pour la plupart bel et bien du terrain et que les

savoirs dispensés en formation ne sont pas toujours des savoirs issus de la recherche. Cependant, je fais ce choix vu que je m’intéresse moins au fait de clarifier ou mettre en évidence des typologies de savoirs qu’à celui de l’interaction et de l’intégration de ces différents types de savoirs par le jeune enseignant.

Selon Rayou (2008), les jeunes enseignants peinent certes à être satisfaits et à voir le sens des savoirs issus de la recherche, mais ils ne trouvent pas non plus une entière satisfaction dans les savoirs plus proches du vécu et de l’expérience transmis par les praticiens. Confrontés simultanément à ces deux types de savoirs, leur préférence va cependant généralement plutôt aux savoirs issus de la pratique qui, « s’ils n’engagent pas sur la voie de l’alternance, permettent au moins de tenir le choc » (p. 86). Rayou (2008) estime ainsi que les savoirs issus de la recherche ne sont pas rejetés pour eux-mêmes par les nouveaux enseignants, mais parce qu’ils ne leur permettent pas d’être en possession de schèmes d’action à la fois décontextualisés et disponibles pour les situations de terrain. Selon lui, c’est comme s’il manquait un « espace intermédiaire » permettant aux jeunes enseignants qu’une réelle rencontre se produise entre les savoirs issus de la recherche et les savoirs issus de la pratique. Dans ce débat, Mayen (2008) apporte des éléments intéressants. En se fondant sur la description du développement des concepts « scientifiques » et « quotidiens » par Vygotzky (1997), Mayen (2008) montre la dimension personnalisée du processus d’intégration des savoirs issus de la recherche à ceux provenant de l’action. Ainsi, pour qu’une action posée soit considérée comme valide par un professionnel, il n’est pas suffisant que ce dernier possède des capacités d’expertise selon des critères externes et posés a priori ; il est aussi nécessaire qu’il soit capable d’agir « en fonction des attentes, des pratiques, des capacités des autres, par exemple, ou en fonction des ressources matérielles et organisationnelles de la situation » (p. 44). L’organisation de l’action étant fortement dépendante du contexte, les savoirs « proposés de l’extérieur » doivent alors souvent être revus en fonction de critères liés à l’efficience pratique réelle. Au-delà de la dimension effective et contextualisée de l’action, Mayen (2008) montre que les savoirs provenant de la recherche, et transmis par exemple dans le cadre de la formation, doivent faire l’objet d’une appropriation personnelle afin de devenir disponibles dans l’action. Cependant, selon lui, cette appropriation est « presque toujours partielle, déformée, simplifiée » en raison de l’aspect toujours situé de ces savoirs externes, mais aussi en raison du nécessaire processus d’assimilation-accommodation décrit par Piaget impliquant une « réélaboration pragmatique des acquis externes » par le sujet lui-même (p. 51). Cette réélaboration implique à son tour une restructuration des éléments organisateurs de l’action : l’ensemble du système est ébranlé et s’en trouve modifié. Cependant, ceci ne se produit pas toujours et il arrive qu’un nouveau composant ne puisse trouver sa place dans un système de pensée existant, la personne ne pouvant tout simplement pas envisager sa validité. Il arrive aussi qu’on assiste uniquement à une déstabilisation, le concept restant étranger au système d’organisation de l’action (Mayen, 2008). Si je reviens à la notion d’espace intermédiaire proposée par Rayou (2008), cela pourrait vouloir dire que cet intermédiaire ne va pas de soi, ne se met pas en place d’emblée et qu’il dépend entre autres de la compatibilité des savoirs issus de la recherche et des savoirs issus de l’expérience pour la personne ainsi que des modalités des ruptures, conflits ou rapprochements de savoirs qui se produisent ou non. L’aspect selon lequel une appropriation, une transformation voire une reconstruction des différents savoirs en présence doit se produire chez un individu semble en tout cas faire l’unanimité parmi les auteurs.

Altet (2008) s’appuie sur les recherches antérieures de Tardif et Lessard (1999) et postule à son tour que « la pratique joue un rôle clé dans la reconstruction des différents savoirs professionnels » (p. 91). Tout comme Mayen (2008), Altet (2008) insiste sur l’ajustement nécessaire des savoirs issus de la recherche aux aspects contextuels issus du terrain. Elle postule que « c’est bien à partir de l’expérience que ces savoirs sont utilisés ou non » (p. 94). Selon une telle perspective, les savoirs d’expérience servent à quelque part de base pour cimenter d’autres savoirs, l’ensemble des savoirs étant alors reconstruits « dans et par le travail » (p. 94). Dans ce sens, toujours selon Altet (2008), le rapport à la pratique qui se construit durant la formation initiale est prépondérant. Altet distingue alors deux manières différentes d’aborder et de considérer la pratique. La première correspond au fait de voir la pratique essentiellement comme une « réponse déterminée » à des situations elles aussi plus ou moins déterminées, ce qui implique la découverte ou transmission de pistes d’action, de procédures et d’astuces toutes faites. La deuxième façon de concevoir la pratique l’envisage plutôt comme « une réponse créative et problématisée de l’enseignant à une situation professionnelle, elle-même conçue comme une situation-problème à résoudre en inventant les solutions pertinentes » (p. 92). Pour Altet, ce deuxième type de rapport à la pratique, s’il sous-tend clairement et de manière cohérente l’ensemble de la formation, aura plus de chance de permettre, de susciter et de produire un rapport de dialogue entre les savoirs issus de la pratique et les savoirs issus de la recherche. Concrètement, Altet (2008) plaide pour la mise en place de dispositifs d’alternance permettant de prendre en compte les pratiques issues du terrain et de mener à partir de là un véritable travail réflexif impliquant les savoirs de la recherche. Rappelons ici que le principe d’alternance s’est vu rénové dans le cadre du mouvement de professionnalisation du métier enseignant centré désormais sur la construction de compétences professionnelles avec une référence centrale à la notion de « praticien réflexif ». Altet (2008) caractérise l’alternance en formation par deux processus complémentaires : le premier consiste à problématiser une pratique vécue au moyen de concepts issus de la recherche, ce qui permet une réorganisation des schèmes d’action, et le second permet un retour à la pratique dans le cadre d’une mise en œuvre de ce qui a été réélaboré précédemment. Pour Altet (2008), « l’alternance entre pratique sur le terrain et moments de réflexion et de théorisation en institut de formation est le principe nécessaire à la construction d’une pratique réfléchie en formation » (p. 92-93). Une telle posture donne un rôle capital aux formateurs d’enseignants : celui de référents théoriques se posant en médiateurs qui aident les stagiaires ou les enseignants débutants à construire un espace de médiation et d’intégration des différents types de savoirs en présence. Sa posture correspond selon Altet (2008) à celle d’un « tiers-passeur » (p. 104) qui se refuse à donner des modèles tout prêts, mais aide à l’analyse sans la prendre à son compte, apporte des pistes d’interprétation tout en laissant le formé construire lui-même une vision réflexive des éléments en présence et facilite le dialogue entre les savoirs issus de la recherche et ceux qui proviennent de l’expérience. Les conditions propres aux modalités de formation ainsi que les postures privilégiées par les formateurs constituent alors les leviers – ou les freins – essentiels à une restructuration des différents types de savoirs par le futur et le jeune enseignant.

Voilà une vision exigeante mais prometteuse pour une véritable rencontre et intégration des différents types de savoirs. Cependant, comme je l’ai relevé dans la section consacrée à la formation professionnalisante, force est de constater que, malgré une adhésion assez généralisée aux idées qui la sous-tendent, la pensée réflexive peine encore à trouver sa place dans les dispositifs et à être réellement mise en œuvre dans le sens préconisé par

Altet (2008). C’est par exemple ce que montrent Hensler et Dezutter (2008) en contexte québécois. Dans le cadre de leur étude, ils ont analysé des dispositifs d’échanges en dyades impliquant à chaque fois un formateur et un étudiant en formation initiale. Selon ces chercheurs, les savoirs codifiés issus de la recherche en sciences de l’éducation ne sont que rarement convoqués dans ce type d’échanges : « Tout se passe comme si ces activités réflexives se développaient en parallèle, sans cadre de référence autre que la pratique » (p. 110). Un tel constat remet assez fortement en question la croyance relativement ancrée selon laquelle ce type de dispositif – du type mentorat – constitue un lieu privilégié de liaison entre la formation dite théorique et la formation pratique en facilitant la mobilisation conjointe des différents types de savoirs auxquels est confronté l’étudiant dans une formation qui prône l’alternance.

Ria et Chaliès (2003) apportent une autre dimension dans ce débat. Selon eux, la « dynamique émotionnelle » des enseignants débutants influence leur rapport aux savoirs issus de la recherche. Par dynamique émotionnelle, Ria et Chaliès (2003) entendent le développement d’états affectifs, de sentiments et d’émotions-types qui émergent en fonction de la manière dont une personne appréhende le monde qui l’environne et interagit avec lui. Au moyen d’entretiens en auto-confrontation croisée, ces chercheurs montrent que la manière dont de jeunes enseignants français éprouvent et interprètent les connaissances mobilisées dans l’action participe à la manière dont ils jugent de la pertinence même des théories qui les sous-tendent. Ainsi, si l’on considère les connaissances relatives à la notion de différenciation pédagogique pour faire face à l’hétérogénéité des élèves, il est possible que cette notion perde peu à peu de sa pertinence au regard du jeune enseignant s’il se sent indécis, partagé, insatisfait voire agacé chaque fois qu’il tente de mettre en place des activités différenciées au sein de sa classe. Ria et Chaliès (2003) insistent sur le fait que la dynamique émotionnelle n’est pas détachée ou consécutive aux activités, mais qu’elle se déploie au cœur même de l’action et contribue de ce fait à influencer positivement ou négativement l’activité du jeune enseignant, et par là son développement professionnel. Pour cette raison, Ria et Chaliès (2003) plaident pour un accompagnement structuré qui prenne en compte cet aspect dans le cadre de l’introduction à la profession.

Si je reviens maintenant à l’ensemble des critiques formulées par les jeunes enseignants envers la formation initiale ainsi qu’aux insatisfactions fréquemment exprimées, une question se doit d’être posée : ces critiques sont-elles justifiées ou reflètent-elles une sorte de réflexe normal d’autoprotection des jeunes enseignants fraîchement diplômés en proie à la complexité de l’entrée dans le métier ? Actuellement, comme le soulignent Martineau et Presseau (2007), les auteurs divergent sur la question : certains d’entre eux estiment que les formations initiales sont à réviser, alors que d’autres jugent ces critiques comme inhérentes à la situation même du jeune enseignant qui débute et a plus facilement tendance à attribuer de manière externe les difficultés rencontrées, ceci afin de protéger son estime de lui. Mon but n’est pas de trancher dans ce débat, mais je souhaite exposer ici certaines pistes, hypothèses ou propositions que j’ai pu relever dans la littérature.