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5   METHODOLOGIE 74

5.2  C ONSIDERATIONS METHODOLOGIQUES ET TECHNIQUES 81 

5.2.4   Analyse des données 94

De même que je ne peux m’extraire du monde social auquel je participe, je ne peux uniquement décrire ou explorer comment cela se passe effectivement. Le travail du chercheur qui analyse ses données implique automatiquement la sélection et donc l’interprétation (Mason, 2002). La plupart du temps, plusieurs interprétations sont possibles, mais je me rattache aux propos de Miles et Huberman (2003) qui soutiennent l’importance de la méthode pour l’analyse. Ainsi, les conclusions ne sont pas tirées aux hasards des pérégrinations du chercheur dans la multitude de ses données, mais elles tirent leur force de la raison théorique et de la validité interne de la recherche.

De l’avis de Laperrière (1997b), les procédures d’analyse des données qualitatives proposées par Miles et Huberman (2003) se rapprochent des grandes étapes itératives de la théorisation ancrée de Glaser et Strauss (1967). Vu que j’ai choisi de m’appuyer essentiellement sur leur méthode pour ma recherche, il me paraît important d’en décrire les principales étapes et de les mettre en lien avec ma propre recherche.

5.2.4.1 Condensation des données

Toute activité de recherche implique selon Miles et Huberman (2003) de sélectionner et de transformer les « données brutes ». Dans le cas de cette recherche, on pourrait dire qu’il s’agit de choisir certains éléments, en effectuant par exemple un codage systématique ou en rédigeant des mémos, dans les transcriptions intégrales des entretiens. Cependant, Miles et Huberman (2003) rendent attentif au fait que cette sélection intervient déjà dans les toutes premières phases de la recherche, lorsque le chercheur choisit son terrain d’étude et délimite ses cas ou ses questions de recherche. Par la suite, lorsque le chercheur sélectionne, choisit, trie ou transforme ses données, il continue de faire des choix analytiques. Il est alors important d’être conscient qu’un tiers aurait peut-être pris d’autres décisions et fait d’autres choix. Pour Miles et Huberman (2003), ce qui importe au final c’est que l’on puisse vérifier que les conclusions formulées soient bel et bien fondées empiriquement.

Lorsque l’on travaille avec des entretiens, la phase de codage revêt une importance capitale : c’est le moment de découper le réel en unités de sens construites par le chercheur, en fonction du cadre théorique et interprétatif qu’il se donne. Ceci doit être fait de façon systématique et minutieuse. A la suite de Miles et Huberman (2003), j’ai opté pour un système mixte de création des catégories de codage : certaines proviennent des lectures et du cadre théorique que j’utilise et d’autres se sont révélées de manière inductive, au fur et à mesure de la progression de la recherche, à la manière de la théorie enracinée de Glaser et Strauss (1967). Durant tout ce processus, respecter le sens qu’ont voulu donner les acteurs doit demeurer un défi et un souci constants (St-Cyr Tribble & Saintonge, 1999).

S’agissant de cette recherche, j’ai par exemple assez rapidement créé des catégories et analysé mes données à la lumière du continuum de l’intégration scolaire proposé par Beauregard et Trépanier (2010). J’ai par contre pris le parti d’utiliser le carré dialectique de la différence culturelle proposé par Ogay et Edelmann (2011) au fur et à mesure que je découvrais certaines contradictions dans les discours, contradictions qui m’ont ramenée à la nécessaire tension entre égalité et diversité lorsqu’il s’agit de penser et gérer la différence,

qu’elle soit culturelle ou d’une autre nature. Un tel processus d’analyse est itératif et demande rigueur, persévérance et souplesse au chercheur : je suis passée de nombreuses fois à travers l’ensemble des entretiens en me centrant sur des aspects particuliers successifs qui se sont éclairés progressivement à mes yeux ou suite à des lectures théoriques porteuses.

Bien entendu, j’avais toujours pour guide d’analyse les questions de recherche que j’avais formulées au départ. Cependant, certaines d’entre elles ont subi des modifications, comme je l’ai spécifié dans le chapitre 4 de ce travail. Ainsi, la question n° 3 consacrée aux compétences jugées nécessaires pour travailler avec des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers s’est petit à petit imposée sous un autre jour au fil de l’analyse : le fait de comprendre les facteurs influençant le développement des compétences à prendre en charge une classe comprenant des élèves ayant des besoins éducatifs particuliers m’est apparu nécessaire à traiter en parallèle du recensement des compétences jugées nécessaires en soi. J’ai alors choisi d’aller également dans cette direction car je disposais de suffisamment d’éléments pour ce faire dans les entretiens.

5.2.4.2 Présentation des données

La deuxième activité proposée par Miles et Huberman (2003) dans leur modèle itératif des composantes de l’analyse des données consiste en la présentation des données. Il s’agit alors d’organiser les informations sélectionnées et de les mettre en forme de façon à ce que l’on puisse se les représenter clairement. Plutôt que de longues pages de texte où s’intègrent de multiples citations, Miles et Huberman montrent l’intérêt de la création et de l’utilisation de graphiques, tableaux ou matrices afin de représenter clairement les données traitées. Ceci permet d’exprimer de manière visuelle les liens mis au jour. A nouveau, le chercheur qui réalise un diagramme ou un tableau à partir de ses données est en plein processus d’analyse : il choisit une forme de matrice particulière, il y agence les éléments selon un ordre qu’il définit, il sélectionne certains concepts en fonction de critères théoriques ou empiriques.

Dans le cadre de cette recherche, j’ai effectivement créé des figures et des tableaux pour rendre compte de certains aspects analysés dans les entretiens. L’élaboration de ces figures et tableaux a constitué pour moi des moments intenses de réflexions à partir des données codées. Leur élaboration progressive, les nombreuses esquisses sur papier, les essais non concluants et les nombreux coups de gomme ont favorisé une compréhension progressive et plus fine des phénomènes en présence. Les relations se dessinaient petit à petit, au sens littéral et conceptuel. Il m’est souvent arrivé de penser que j’avais « trouvé » quelque chose et que je pouvais le représenter clairement. Cependant, le retour aux données ne me donnait pas forcément raison. Un cas négatif infirmait par exemple une hypothèse, ou alors tous les cas de la recherche ne pouvaient trouver leur place dans la figure que j’avais imaginée. J’avais ainsi la preuve que mon idée n’était pas la bonne, méritait d’être modifiée à la lumière d’un nouvel examen de mes données ou d’être représentée et expliquée autrement. Ceci m’obligeait à un retour continuel aux données pour mieux les comprendre, parfois même à une reprise du codage en fonction d’une dimension supplémentaire ou trop peu explorée. L’élaboration de tableaux et figures a parfois engendré la décision d’abandonner certaines pistes qui m’étaient pourtant apparues comme prometteuses à un moment donné du processus d’analyse. Dans ce processus itératif, j’ai réellement pris conscience que la

vérification des « conclusions » ou « conclusions intermédiaires » constitue un moment-clé qui relance souvent l’analyse.

5.2.4.3 Elaboration et vérification des conclusions

Vu que le chercheur commence son analyse dès le début de la recherche et repère au fur et à mesure différents thèmes, invariants ou fils rouges, il est important qu’il garde sa vigilance et son ouverture face aux aspects qui pourraient apparaître en cours de recherche et qu’il ne se focalise pas d’emblée sur ses premières conjectures. Un autre principe de base cher à Miles et Huberman (2003) consiste à toujours tester la validité de ses affirmations et des fils rouges analytiques que l’on développe au fur et à mesure de la recherche : qu’est-ce qui me prouve que ce que je dis est conforme au sens qu’ont voulu donner les acteurs ? Qu’est-ce qui me prouve que ce que j’avance est fondé empiriquement, n’est pas une invention de ma part mais trouve ses fondements dans les propos des répondants ? Voilà des questions qui doivent rester omniprésentes dans l’esprit du chercheur, d’où l’importance de vérifier ses conclusions en retournant régulièrement à la source, donc aux données elles-mêmes, et en discutant avec des collègues avertis pour tendre vers ce que Miles et Huberman (2003) nomment « un consensus intersubjectif » (p. 29). Dans le cadre de cette recherche, je me suis toujours attelée à cette tâche, soit de manière individuelle en prenant de la distance sur ce que j’étais en train de produire et en retournant régulièrement aux sources, soit de manière partagée dans le cadre de discussions et d’échanges avec d’autres chercheurs ou collègues avertis.

5.2.4.4 La comparaison intra-cas et inter-cas

Pour Miles et Huberman (2003), un cas consiste en un « phénomène donné qui se produit dans un contexte délimité » (p. 55). Il s’agit d’une unité d’analyse en soi, qui peut être étudiée pour elle-même. Miles et Huberman (2003) préfèrent utiliser le mot « site » qui rappelle l’importance du contexte cher à la recherche qualitative. Dans une étude multi-cas à caractère longitudinal, les différents cas peuvent être comparés entre eux à chaque temps dans le cadre d’une analyse inter-cas qui permettra de mettre à jour des réseaux de relations communes au phénomène social étudié. La situation de comparaison peut alors se trouver en concurrence avec la prise en compte des particularités propres à chaque contexte. C’est pour cette raison que Miles et Huberman (2003) conseillent de construire un plan de recherche suffisamment sensible aux idiosyncrasies locales tout en restant très structuré pour permettre des comparaisons entre les cas sans avoir une masse de données ingérable. Dans le cadre de cette recherche, j’ai comparé les quinze cas ou sites entre eux aux trois temps de la recherche, en effectuant à chaque fois des analyses inter-cas. J’ai également examiné deux dimensions de manière longitudinale, dans leur évolution sur les trois temps de la recherche. J’ai pris le parti de ne pas présenter des analyses de cas pour elles-mêmes, mais j’ai veillé à ce que, dans le cadre des analyses inter-cas et longitudinales, la dimension propre à chaque cas apparaisse toujours explicitement, notamment à travers les illustrations des discours pour chaque cas de la recherche. La partie suivante présente les analyses effectuées.