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3   CADRAGE THEORIQUE 17

3.3  L A PERIODE DE TRANSITION DE LA FORMATION A L ’ EMPLOI 52 

3.3.2   D’une approche centrée sur l’individu vers une vision contextualisée de l’insertion 55

Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on se penche de manière plus approfondie sur les études et la littérature consacrées à la période transitionnelle entre la formation et l’emploi d’enseignant sont les expressions utilisées pour en rendre compte depuis maintenant une quarantaine d’années. Celle-ci est tour à tour qualifiée de « période d’inquiétudes liées à soi en tant qu’enseignant » (Fuller, 1969), de « stade de la survivance » (Katz, 1972), de « période de survie » (Huberman, 1989), de « période de tension et d’ambivalence » (Hétu, 1999) ou encore de « période de doute et d’épreuves » (Delahu, 2008). Suite à leur revue de la littérature, Martineau et al. (2008) considèrent pour leur part que les phases les plus fréquemment citées dans les écrits sont, dans l’ordre d’apparition : l’idéalisation, le choc de la réalité et la survie. Le dénominateur commun pour les jeunes enseignants entrant dans la profession consisterait donc en la présence d’une crise engageant un important travail d’ajustement identitaire – peut-être propre à toute transition – qu’il s’agirait de résoudre essentiellement individuellement pour aller de l’avant. Si cette crise ne trouve pas d’issue positive, le risque de « décrochage », à savoir le fait de quitter la profession et de chercher à se réorienter relativement rapidement, semble important (Blanchard-Laville, 2003).

Dans le cadre des études citées ci-dessus, la vision de l’insertion professionnelle adoptée consiste en une vision principalement centrée sur l’individu, dans une perspective « développementale » qui tire ses origines de la description piagétienne des stades du développement cognitif de l’enfant (Uwamariya & Mukamurera, 2005). Dans cette optique, chaque étape est caractérisée par de nouveaux acquis qui permettent à l’enseignant d’acquérir au fil du temps « les possibilités d’analyser et de comprendre autrement les événements qui lui arrivent » (Uwamariya & Mukamurera, 2005, p. 136). L’approche développementale est construite sur une logique linéaire de stades qui se succèdent pour former au final le cycle de la carrière professionnelle. Cette vision s’est petit à petit imposée dès les années 1980, plus particulièrement en Europe francophone, à tel point que, de l’avis de Boutin (1999), certains formateurs ont tendance à prendre ceci à la lettre, comme si tous les individus devaient forcément traverser la période de l’insertion professionnelle de la manière décrite. Ainsi, de l’avis de Levin, Hammer et Coffey (2009), la préparation proposée

dans le cadre des formations initiales demeure souvent trop largement centrée sur la personne de l’enseignant en référence à cet héritage développemental.

A la suite de Boutin (1999), je suis également d’avis que ces approches ont le mérite d’avoir permis d’attirer l’attention sur la personne enseignante et son développement. Cependant, j’estime tout comme lui qu’elles ont tendance à occulter l’importance des facteurs contextuels sur la construction de l’identité professionnelle du jeune enseignant. Ainsi, de l’avis de Boutin (1999), « la part du milieu d’accueil apparaît comme déterminante dans la prise de fonction du métier » et le processus d’insertion professionnelle du jeune enseignant doit être considéré comme « une entreprise collective qui exige la collaboration de tous les agents de l’éducation » (p. 54). Ceci ne signifie pas pour autant que la dimension individuelle doive être évacuée, mais cela implique de considérer que le développement de l’identité professionnelle du nouvel enseignant relève également du contexte dans lequel celui-ci intervient.

Le fait d’avoir pu mettre en évidence une certaine régularité dans les étapes critiques propres à la transition a certainement été salutaire : cela a permis de conscientiser de réels défis, risques et difficultés pour les jeunes enseignants entrant dans la profession. De cette prise de conscience ont notamment découlé la progressive mise sur pied et l’officialisation, dans de nombreux endroits, de dispositifs dits « d’introduction à la profession » destinés à offrir un soutien aux jeunes enseignants durant cette période particulière (Lamontagne et al., 2008 ; Martineau & Vallerand, 2008 ; Portelance, Mukamurera, Martineau, & Gervais, 2008b). L’ensemble de ces dispositifs d’introduction à la profession et les recherches qui s’y rapportent peuvent être considérés comme les témoins d’un passage progressif d’une vision de la transition en tant que processus essentiellement individuel vers un processus impliquant également le collectif.

A ce propos, si je me réfère aux directives officielles de la CDIP (2004), l’appellation « Introduction à la profession » désigne à la fois la période correspondant à l’entrée dans le métier et les dispositifs mis en place pour accompagner et soutenir le développement professionnel du jeune enseignant durant cette période. Voilà la raison qui pousse la COHEP (2007) à envisager avant tout l’introduction à la profession comme une interface entre la formation initiale et la formation continue, interface qui doit garantir que « les enseignantes et enseignants reçoivent aide et soutien au cours de cette étape fondamentale de leur développement professionnel et qu’ils apprennent ainsi à exécuter leur mandat de manière compétente et responsable » (p. 3). L’introduction à la profession se veut une mesure de professionnalisation participant au développement personnel et professionnel du jeune enseignant. Pour qu’elle soit optimale, il s’agit de connaître les besoins propres aux jeunes enseignants, de réfléchir à la manière dont les établissements scolaires peuvent soutenir ces enseignants débutants dans ces besoins et de penser des offres supplémentaires ou complémentaires susceptibles d’aider les jeunes enseignants entrant dans le métier (cours, espaces structurés pour des échanges ou des analyses de pratiques, attribution d’un mentor ou d’un conseiller pédagogique, etc.).

Selon Akkari et Tardif (2005), l’intérêt des chercheurs sur l’insertion professionnelle des enseignants s’est progressivement déplacé de la problématique des « phases » vers celle de la « professionnalisation » dès les années 1990. Face au développement de l’identité professionnelle des jeunes enseignants, les auteurs adoptent alors différents

positionnements : certains privilégient une vision mettant davantage l’accent sur le rapport actif du sujet à son environnement, alors que d’autres insistent davantage sur le poids des situations passées et présentes. Selon Beckers (2007), adopter une position intermédiaire – qu’elle qualifie d’interactionniste – permet d’exprimer « l’interaction entre le sujet, qui se construit, qui donne sens et valeur aux opportunités offertes, aux expériences vécues, et son environnement qui lui offre des expériences plus ou moins riches, plus ou moins marquantes, qui contraint ou limite ou qui pousse au dépassement » (p. 143).

Ce point de vue s’appuie entre autres sur les travaux de Dubar (1996). Pour Dubar, la construction de l’identité d’un individu est à envisager comme le produit de « socialisations successives » donnant lieu à un ensemble de transactions entre l’individu et les instances sociales qui l’entourent. Dubar (1996) s’appuie lui-même sur la distinction faite par Berger et Luckmann (1986) entre « socialisation primaire » et « socialisation secondaire ». Selon ces auteurs, « la socialisation primaire est la première socialisation que l’individu subit dans son enfance, et grâce à laquelle il devient membre de la société. La socialisation secondaire consiste en tout processus postérieur qui permet d’incorporer un individu déjà socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de la société » (p. 179). Dans le cadre de sa socialisation secondaire, l’individu est par conséquent confronté à différents milieux et groupes sociaux. Du fait de la diversité voire des contradictions que ces différents milieux imposent, l’individu est régulièrement amené à réaménager, recomposer et reconstruire son identité. Ainsi, la formation initiale et surtout l’insertion professionnelle constituent « une des socialisations secondaires aux conséquences importantes sur la construction de l’identité sociale » (Beckers, 2007, p. 148). Je reviendrai sur cet aspect dans la partie consacrée à l’influence de l’espace social dans lequel s’inscrit le nouvel enseignant sur ses apprentissages et son développement professionnel.

Pour l’heure, adopter une vision interactionniste entre le sujet qui se construit et l’environnement qui offre des possibilités diverses d’expériences implique de considérer la pratique comme une activité située. Dans ce cadre-là, « la pratique n’est réductible ni à l’application d’une méthode, ni à la réalisation d’un plan préalablement établi, mais se construit dans l’action, au gré des événements, des interactions, des négociations, qui sont par définition imprévisibles » (Altet, 2008, p. 100). Ceci permet d’inscrire la transition dans un processus de poursuite de l’apprentissage initié en formation initiale et de développer les dimensions expérientielles et sociales qui y contribuent.

3.3.3

L’insertion professionnelle en tant que période de poursuite d’apprentissage