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3   CADRAGE THEORIQUE 17

3.3  L A PERIODE DE TRANSITION DE LA FORMATION A L ’ EMPLOI 52 

3.3.4   L’insertion professionnelle comme espace privilégié pour interroger la formation initiale 61

3.3.4.3  La formation en question 66 

Parmi les chercheurs remettant fortement en question les approches de formation, on peut citer Ria, Leblanc, Serres et Dunand (2006). Ces chercheurs se fondent essentiellement sur les théories de la cognition située (voir point 3.3.3.1) pour qui les actions enseignantes

possèdent un caractère foncièrement imprévisible, ce qui empêche une réelle anticipation des situations. Pour cette raison, à l’image de Leblanc (2007), ils exhortent à adopter une « approche développementale et située de l’activité » qui permette de mieux comprendre et prendre en compte ce qui se passe en situation réelle pour l’intégrer dans le processus de formation (p. 17). Selon eux, les formations d’enseignants sont souvent trop prescriptives et visent encore essentiellement une transposition dans la pratique de savoirs enseignés à l’institut de formation. Ria et al. (2006) mettent en garde contre les « injonctions idéalistes » tirées des directives officielles. De leur point de vue, celles-ci peinent à rencontrer l’ « activité réelle » déployée sur le lieu de stage ou durant l’entrée dans la profession. Voilà la raison qui pousse Ria et al. (2006) à proposer de modifier les dispositifs de formation en partant davantage de « l’activité déployée en classe par les stagiaires ou les débutants pour la naturaliser au sein des espaces de formation » (p. 53-54). En effet, selon Leblanc (2007), le décalage fréquemment cité par les jeunes enseignants peut s’expliquer par le fait que, trop souvent, les formations sont construites sur la base de connaissances d’expertise transmises par des experts, dans le cadre d’une approche qualifiée de « descendante ». Ceci occasionne des incompréhensions fréquentes et de la frustration pour les jeunes enseignants qui finissent par considérer la formation comme un idéal non atteignable ou irréaliste. Pour cette raison, Leblanc (2007) invite à fixer des objectifs pour la formation qui soient proches des préoccupations des futurs enseignants et atteignables au moment de l’insertion professionnelle. Il propose ainsi une approche qu’il qualifie d’ « ascendante », notamment en travaillant à partir de séquences vidéo mettant en jeu des enseignants débutants aux prises avec des situations réelles de leur quotidien en classe. Leblanc (2007) invite enfin toute personne concernée par les questions de formation d’enseignants à réfléchir à la manière d’« intégrer cette dimension de non-maîtrise de l’activité dans la formation pour en faire réellement un objet de formation et ne pas la laisser à la seule appréciation des stagiaires ou des enseignants débutants sur le terrain » (p. 12), au risque que ne se renforce le fameux fossé entre la théorie et la pratique évoqué plus haut.

Plutôt que de chercher à aménager ou réaménager les programmes de formation en fonction des demandes des étudiants ou des jeunes enseignants, certains chercheurs, à l’image de Hétu (1999) ou Blanchard-Laville (2003), invitent à mieux accompagner et soutenir le passage caractérisé par « la crise ». Selon Hétu (1999), il s’agit de veiller tout au long de la formation à une réelle articulation entre la construction progressive de la maîtrise technique et la construction de l’identité personnelle et professionnelle. Selon lui, bon nombre de difficultés rencontrées par les jeunes enseignants lors de leur insertion professionnelle proviennent du fait que ces deux entités sont trop souvent dissociées. Voilà la raison qui le pousse à plaider pour un accompagnement en formation qui soit axé sur la démarche réflexive et ne clive pas l’analyse de situations rencontrées dans le cadre de stages ou sur le terrain des significations que cela évoque dans le cadre du développement personnel et professionnel de l’enseignant. Blanchard-Laville (2003) invite également les formateurs à reconnaître la difficulté du passage et la nécessité d’un espace qui donne la possibilité aux stagiaires et aux jeunes enseignants « de verbaliser le vécu de la crise et d’élaborer psychiquement l’expérience de la transformation identitaire » (p. 112).

Hensler et Dezutter (2008) interrogent pour leur part la formation sur le plan institutionnel. Selon eux, les instituts de formation manquent trop souvent d’un véritable cadre de référence cohérent et partagé entre les formateurs, ce que d’aucuns appellent une « culture commune ». Faire sortir les savoirs de leur clandestinité, les mettre en discussion et en

débat permettrait selon ces chercheurs la création progressive d’un cadre théorique plus cohérent sur lequel les étudiants pourraient davantage prendre appui. Pour ce faire, Hensler et Dezutter (2008) invitent les formateurs à « faire le deuil d’une certaine liberté académique qui permet à chacun de réinventer le curriculum, sans trop se soucier de ce que fait l’autre, pendant que les étudiants intériorisent les normes de la pratique courante et développent des résistances face aux savoirs universitaires » (p. 123). Une formation peu cohérente dans les différents apports qu’elle présente pourrait de ce fait contribuer à la déstabilisation des jeunes enseignants et les amener à se retrancher sur la pratique, une donnée plus sûre. Enfin, certains chercheurs avancent d’autres hypothèses explicatives concernant par exemple les conditions d’exercice du métier ou les caractéristiques propres aux étudiants. Ainsi, Wentzel (2008) évoque la « polyvalence en crise » comme élément de compréhension des difficultés perçues lors de l’insertion et souvent mises sur le compte de la formation initiale (p. 37). Postulant un écart important entre la polyvalence prescrite et la polyvalence réellement mise en œuvre sur le terrain, ce chercheur invite à réinterroger la fonction de généraliste de l’enseignant pour les degrés préscolaires et primaires, aspect qui selon lui entrave le processus de professionnalisation des jeunes enseignants par la complexité qu’il engendre. Altet (2008) montre quant à elle les rapports personnels des étudiants à la formation et au savoir en évoquant les réactions différenciées desdits étudiants face aux discours contradictoires de certains de leurs formateurs en institution et sur le terrain : alors que certains étudiants critiquent fortement ce double discours et l’incriminent à une formation globalement incohérente, d’autres la vivent plutôt comme l’occasion d’une réflexion et d’un questionnement personnels. Ainsi, il se trouve des étudiants qui entament une formation professionnelle pour trouver des réponses précises et définitives aux problématiques professionnelles. Ce type d’étudiants a tendance à rester relativement figé dans une posture qualifiée par Altet (2000) de « technologique », posture qui envisage le savoir comme « un objet à stocker ». D’autres étudiants adoptent au contraire un paradigme plutôt « biologique » et perçoivent la formation avant tout comme un processus en lien avec une personne en évolution. Ceci dit, Altet (2008) ne considère pas une telle dichotomie en tant que caractéristique personnelle et définitive de l’étudiant : elle soulève l’importance des dispositifs offerts en formation, des lieux de stage et des compétences des différents formateurs en tant qu’éléments pouvant également induire un rapport plutôt « technologique » ou « biologique » aux savoirs en général et à la formation.

En conclusion de cette partie, je dirais que prendre en compte les données des recherches disponibles actuellement sur la transition des jeunes enseignants de la formation à l’emploi pour améliorer la formation initiale semble dans tous les cas possible et souhaitable. Cependant, la question de savoir à qui incriminer « la faute » me paraît devoir être dépassée. Je considère pour ma part qu’il s’agit d’une combinaison complexe de facteurs liés aux personnes, à la formation et au contexte nouveau de travail qui implique une réponse prenant en compte ces différentes dimensions simultanément.

La distinction faite par Altet (2008) entre une vision plutôt « technologique » ou plutôt « biologique » de la formation est intéressante à garder en tête dans le cadre de la section suivante consacrée à ce qui constitue le cœur de mon travail de recherche : les jeunes enseignants qui accueillent un élève présentant des besoins particuliers dès l’insertion professionnelle. S’il est un domaine où il semble difficile d’agir avec une posture qualifiée de technologique lorsqu’on est enseignant, c’est bien celui consistant à accueillir dans sa classe

un élève qui présente des besoins éducatifs particuliers au sens où je l’ai défini pour ce travail. En effet, un tel élève questionne plus que jamais l’idée de norme, de gestes ou de réactions professionnelles qui se voudraient « universels » ou de plans d’action déterminés a priori. Le dernier chapitre de cette partie théorique est consacré à la présentation des recherches qui ont déjà investigué au croisement entre les champs thématiques de l’insertion professionnelle des jeunes enseignants et de la prise en charge d’élèves présentant des besoins éducatifs particuliers à l’école ordinaire.

3.4 Accueillir un élève présentant des besoins éducatifs particuliers dès

l’insertion professionnelle

3.4.1 Du côté des recherches dans le champ thématique de l’insertion