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3   CADRAGE THEORIQUE 17

3.3  L A PERIODE DE TRANSITION DE LA FORMATION A L ’ EMPLOI 52 

3.3.3   L’insertion professionnelle en tant que période de poursuite d’apprentissage 57

constitue un espace qui permet au jeune enseignant de poursuivre sa formation (Akkari & Tardif, 2005 ; Barber & Turner, 2007 ; Boutin, 1999 ; Boyer & Lee, 2001 ; Bush et al., 2001 ; Martineau & Presseau, 2007 ; Portelance, Martineau, & Presseau, 2008). Sachant cela, Boutin (1999) considère qu’il revient au milieu scolaire de « contribuer à l’enrichissement du vécu professionnel encore très restreint des nouveaux enseignants » (p. 48). Pour Ria (2007), c’est même durant cette période de transition que le jeune enseignant a le plus besoin de se former et d’être accompagné, spécialement lorsqu’il se trouve dans un contexte qui peut être qualifié de « difficile ». A la suite d’autres auteurs, Ria (2007) insiste sur la nécessité de dispositifs formels d’accompagnement des jeunes enseignants pour cette période afin de soutenir les apprentissages. Selon lui, le dispositif d’accompagnement choisi

doit « assurer la continuité et la complémentarité de la formation initiale, mais en même temps marquer une rupture liée au changement de statut professionnel des formés, l’accompagnement des jeunes enseignants ne devant se confondre ni avec la formation initiale ni avec la formation continue » (Ria, 2007, p. 62). Dans cette optique, Ria (2007) plaide pour la mise en place de dispositifs de formation spécifiques se déployant in situ et permettant d’allier formation et travail sans obliger les jeunes enseignants à se rendre à l’institut de formation. Cette optique favorise selon lui des procédures collégiales d’observations mutuelles, de régulations, d’échanges sur les pratiques entre enseignants débutants sur leurs lieux de travail respectifs, plutôt que l’intervention de conseillers pédagogiques adoptant parfois sans le vouloir des attitudes trop prescriptives (Ria, 2007). Les propos de Ria illustrent tout un pan de la littérature sur l’insertion professionnelle qui s’est intéressé aux soutiens que je qualifierai de « formels » lorsqu’il s’agit d’accompagner les jeunes enseignants lors de la transition de la formation à l’emploi. Par « soutiens formels », j’entends l’ensemble des dispositifs officiels et institutionnalisés qui existent dans un contexte particulier et qui ont pour but général d’offrir un cadre de soutien spécifique aux enseignants débutants.

Cependant, à côté de ces réseaux de soutien formels, il en existe d’autres qu’à la suite de McNally (2006) je qualifierai d’ « informels ». En effet, dans le cadre de ses recherches auprès de jeunes enseignants durant leur première année de pratique professionnelle, McNally (2006) montre l’émergence d’un réseau de soutien, d’apprentissage et d’accompagnement qui se concrétise essentiellement à travers les relations et échanges que le jeune enseignant établit dans le cadre de son établissement scolaire. Serres et Ria (2007) montrent également l’importance de pratiques informelles se déroulant en marge de toute démarche consciente ou instituée de formation. De ce fait, il semble permis de parler d’un double réseau de formation : celui prévu et pensé de façon institutionnelle et celui qui se développe sur le terrain. Ce sont ces pratiques informelles d’apprentissage que je souhaite développer maintenant.

3.3.3.1 Des apprentissages informels aux apprentissages situés

Au premier abord, si je tente de clarifier la signification des différents termes rencontrés dans la littérature lorsqu’il s’agit de qualifier les apprentissages informels, je serais tentée, à la suite de Erault (2004), d’en distinguer deux modalités. La première serait proche de l’ « apprentissage expérientiel » que Kolb (1984) définit ainsi : « Process whereby knowledge is created through the transformation of experience » (p. 38). C’est l’idée que l’individu apprend en faisant, en testant par lui-même des manières de procéder ou de réagir, la réflexion faisant partie de l’action. La deuxième modalité se rapprocherait davantage de « l’apprentissage en communauté de pratique » (Wenger, 1998) au sens où l’individu apprend d’autres personnes et des interactions qu’il peut avoir avec celles-ci. Concernant le métier d’enseignant, l’ « apprentissage expérientiel » et l’« apprentissage en communauté de pratique » renvoient tous deux au fait que tout ne s’apprend pas en formation initiale et de manière formelle. La relation aux parents et le fait de mener des entretiens constituent des exemples souvent cités à ce propos. Mais cette distinction entre apprentissage expérientiel et apprentissage en communauté de pratique, formulée dans un but de clarification temporaire, a-t-elle véritablement lieu d’être ? Ces deux dimensions peuvent-elles se regrouper sous un même concept ? Le concept d’ « apprentissage situé » comprend-il ces deux dimensions ? Dans le cadre de son étude, Berry (2011) interroge des enseignants

expérimentés afin qu’ils donnent des conseils aux enseignants débutants amenés à travailler dans des contextes intégratifs. Un message fort de leur part consiste en ceci : il y a des choses que vous apprendrez « on-the-job ». Ceci fait allusion au fait que l’apprentissage du métier ne s’arrête pas à la formation initiale et que certains éléments s’apprennent sur le terrain : que sur le terrain ? mieux sur le terrain ? Je pressens la force de ce qui se joue sur le terrain et qui prend une coloration toute particulière dans le cadre de l’insertion professionnelle. Voilà la raison qui me pousse à investiguer dans le champ théorique de la cognition située.

Selon Rogalski (2004), l’action située postule que « les processus mentaux ne peuvent être isolés du contexte de l’action car celui-ci est nécessairement social et supporté par l’indexicalité du langage » (p. 104). Contrairement aux théories de la psychologie cognitive, la cognition située revendique l’importance du contexte et de la communauté de pratique (voir par exemple Lave, 1988 ; Suchman, 1987). Lorsqu’il est question d’apprentissage situé, on considère qu’« apprendre dans un contexte pertinent, du monde réel, est plus efficace qu’apprendre des idées abstraites » (Rogalski, 2004, p. 112). Les cognitions des enseignants sont dès lors considérées comme indissociables des situations dans lesquelles elles émergent (Wolfs, Charlier, Fagnant, & Letor, 2010). Les chercheurs se réclamant du courant de recherche de l’action ou de la cognition située privilégient de ce fait une approche de l’activité en tant que « totalité dynamique intégrant des composantes internes (cognitives, intentionnelles, émotionnelles, mémorielles et perceptives) et externes (contexte d’action) » (Ria, Leblanc, Serres, & Durand, 2006, p. 144). L’aspect situé de cette dynamique est relayé par Leblanc (2007) pour qui le jeune enseignant ne s’adapte pas à un « environnement objectif qui serait le même pour tous » (p.13) : il intervient dans sa classe avec les significations qu’il se donne en fonction de sa propre histoire et de ses aptitudes personnelles. Dans une telle perspective, la pratique n'est réductible ni à l'application d'une méthode, ni à la réalisation d'un plan préalablement établi : elle se construit dans l'action, au gré des événements, des interactions, des négociations, qui sont par définition imprévisibles (Altet, 2008, p. 100). L’apprentissage situé se caractérise alors par son émergence, même si des éléments mémorisés agissent comme ressources pour l’action (Durand, 2007). Ainsi caractérisé, l’apprentissage situé permet d’englober à la fois l’apprentissage par l’expérience et l’apprentissage au travers de la communauté de pratique : les caractéristiques et manières d’agir propres à l’individu entrent en résonance avec les caractéristiques propres au contexte. Voilà pourquoi les divers acteurs de l’école sont à prendre en compte.

3.3.3.2 La communauté professionnelle comme support à la poursuite de

l’apprentissage

Actuellement, de plus en plus de travaux consacrés à l’insertion professionnelle des enseignants considèrent l’espace social dans lequel le débutant s’insère comme un élément pouvant amplement participer à son développement professionnel (Ainscow, 2005 ; Akkari & Tardif, 2005 ; Andersson & Andersson, 2008 ; Angelle, 2002 ; Baillauquès, 1999 ; Blaya, 2009 ; Boyer & Lee, 2001 ; Clement & Vandenberghe, 2000 ; Conderman & Johnston- Rodriguez, 2009 ; Levin et al., 2009 ; Marcel, 2009 ; Mukamurera, 2004). La plupart de ces travaux prennent appui sur les écrits de Lave et Wenger (1991) et Wenger (1998) qui considèrent le milieu professionnel en tant que « communauté de pratique ». Pour Wenger (1998), toute communauté de pratique possède des façons de faire particulières, des pratiques professionnelles propres et des significations partagées sans qu’elles ne soient

pour autant homogènes. Ces significations se construisent dans le cadre de deux processus itératifs et complémentaires : la participation et la réification. Sous le vocable « participation », Wenger entend les expériences, interactions, confrontations et négociations partagées au sein d’une communauté ayant un but commun. Cette participation sera locale et différera en fonction des contextes. Lui faisant écho, la « réification » consiste à donner une forme concrète à l’expérience et aux significations à travers la production de documents, d’outils, de rôles, mais également de concepts et de théories. Les éléments ainsi produits peuvent alors être testés sur le terrain et remis en discussion, ce qui permet de les ajuster, de les modifier ou de les affiner dans le cadre d’une nouvelle participation. De l’avis de Wenger (1998), les communautés de pratique peuvent être considérées comme des lieux potentiellement puissants de médiation des significations et de transformation des pratiques :

Communities of practice are not intrinsically beneficial or harmful. Yet they are a force to be reckoned with, for better or for worse. As a locus of engagement in action, interpersonal relationships, shared knowledge, and negociation of enterprises, such communities hold the key to real transformation – the kind that has real effect on people’s life…The influence of other forces (e.g. the control of an institution or the authority of an individual) are no less important, but… they are mediated by the communities in which their meaning are negociated in practice (p. 85).

Dans la situation du jeune enseignant, c’est généralement l’établissement scolaire dans lequel il est engagé qui fait office de « communauté de pratique » plus ou moins structurée et formalisée ou d’espace social d’apprentissage prioritaire. De l’avis de divers auteurs, la participation du jeune enseignant à cet espace, si elle peut avoir lieu dans de bonnes conditions, aura alors non seulement un impact sur le bien-être du jeune enseignant, mais également sur son développement professionnel (Andersson & Andersson, 2008 ; Berry, 2011 ; Butcher Carter & Scruggs, 2001 ; Gremaud & Rey, 2011 ; Hodkinson, 2006). Selon Marcel (2009), il y a cependant lieu de distinguer la construction des savoirs professionnels relatifs à la socialisation professionnelle (règles de l’école, normes professionnelles…), de la construction des savoirs professionnels tels que préparer et mener des leçons, évaluer ou différencier. Les premiers peuvent se construire dans le cadre d’une simple « cohabitation au sein d’un même espace professionnel », tandis que les deuxièmes ne peuvent, de l’avis de Marcel (2009), que s’acquérir au travers de pratiques enseignantes de « travail partagé » plus développées (p. 134). Ce faisant, en ce qui concerne les jeunes enseignants, ceux-ci continuent de témoigner d’un sentiment fréquent d’isolement lors de leurs débuts dans la profession, état de fait qui n’est souvent pas choisi mais plutôt subi (Butcher Carter & Scruggs, 2001 ; Portelance et al., 2008). Ceci montre que, dans de nombreux établissements, on continue de travailler essentiellement pour soi-même, dans une certaine forme d’individualisme, sans mettre en valeur une approche plus collaborative ou innovante. Ceci dit, les composantes collectives et génériques propres à la communauté professionnelle enseignante participent de toute manière à la structuration de l’activité des jeunes enseignants du moment que le processus de professionnalisation est généralement « autant biographique et fondé sur la construction de trajectoires personnelles par les formés, que relationnel et dirigé vers l’obtention de la reconnaissance par les anciens des actions et des compétences des nouveaux » (Durand, 2008, p. 40). La recherche de reconnaissance auprès des pairs décrite par Durand fait référence à ce que l’on a désormais l’habitude de nommer « la socialisation de l’enseignant ».

Pour un enseignant, la socialisation est souvent décrite comme « l’intériorisation de modèles de comportements liés à un rôle et à un statut » (Gervais, 1999, p. 114). Dans le cadre d’un processus plus ou moins établi consciemment, les jeunes enseignants cherchent à s’approprier les conventions relatives au métier d’enseignant ainsi que les normes, règles, valeurs et motifs d’agir de la communauté nouvelle à laquelle ils appartiennent (Cattonar, 2008 ; Durand, 2008). Ceci laisse entrevoir une démarche de conformité au groupe d’accueil (Gervais, 1999). Selon Boutin (1999), le risque est alors grand pour l’enseignant débutant de « se soumettre aveuglément aux us et coutumes du milieu scolaire ambiant, de se couler dans le moule, de suivre le modèle plutôt que de s’attarder à développer son style propre au fur et à mesure qu’il acquière de l’expérience, à réfléchir sur sa pratique le plus tôt possible » (p. 43). Pour toutes ces raisons, certains auteurs plaident pour un accompagnement des jeunes enseignants surtout dans le but d’éviter qu’ils ne sacrifient les acquis de la formation initiale au profit de solutions fonctionnelles élaborées ou reprises du terrain (Maulini, 2009). Cependant, se basant sur diverses recherches effectuées au Québec, Gervais (1999) considère pour sa part qu’il existe des stratégies d’adaptation diverses chez les enseignants débutants, stratégies qui varient « d’ajustements intériorisés et intégrés des normes, à une soumission apparente et stratégique aux normes du milieu sans toutefois y souscrire, jusqu’à une redéfinition originale des pratiques, en marge des façons de faire du milieu qui les accueille et pouvant même les influencer » (p. 114).

Dans le cadre de ce sous-chapitre, j’ai montré que le jeune enseignant continue d’apprendre lors de l’insertion professionnelle. Dans cette perspective, la culture de l’établissement scolaire qu’il fréquente revêt une grande importance : elle peut tout à la fois être porteuse de soutien et d’incitation au développement des compétences, mais également engendrer des ruptures et des déstabilisations chez le jeune enseignant lorsqu’elle semble plus éloignée de la formation initiale ou n’apporte aucun soutien. Mon but dans le cadre de cette partie n’était pas de démontrer quels sont les apprentissages qui ont lieu dans le cadre de l’insertion professionnelle, mais d’insister sur le fait que les apprentissages informels et situés qui s’y réalisent doivent être tout autant pris au sérieux que les apprentissages formels pensés dans le cadre de la formation ou des dispositifs de soutiens institutionnalisés. Pour clore ce chapitre consacré à la période de transition de la formation à l’emploi, je propose un retour vers la formation initiale, à partir de ce qu’en disent les jeunes enseignants insérés professionnellement.

3.3.4 L’insertion professionnelle comme espace privilégié pour interroger la