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l’environnement et sur ses rapports à la technique : le retournement des logiques économiques

La remise en cause des lieux communs passe d’abord par des discours sur les défis technologiques et économiques que représentent les

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développements environnementaux. Cette remise en cause permet parallèlement une sorte de consensus autour de la valeur des coopérations entre environnement et technologies énergétiques.

a) La mise en avant des défis technologiques et économiques pour l’environnement

Un des principaux éléments de cette mise en avant de la coopération entre Nature et Technologie ressort de l’interview menée auprès du professeur de la Queen’s University of Belfast, responsable scientifique du projet LIMPET.

“C’est le prix à payer pour avoir des partenaires industriels. Nous avions réalisé que l’université était laissée de côté, et que les acteurs économiques reprenaient la main pour mener le projet de la deuxième centrale houlomotrice économiquement viable. Parce que l’université est là pour construire des centrales d’énergie houlomotrice ou construire n’importe quoi d’autres qui compte…Et donc, c’est ainsi que oui…Soudain, on s’est trouvé à diffuser la chose, mais pas à la réaliser. En terme de concept on était évidemment, on était très intéressé… c’était un défi pour nous, utiliser la puissance de l’océan, ce n’est pas un petit défi. C’est intellectuellement très stimulant. […] C’est pourquoi les universités s’impliquent avec ces projets, je veux dire l’université, l’Etat […] parce que cela signifie, le côté académique de cela, c’est que nous n’apprécions pas que cela devienne le succès commercial de la compagnie Wavegen. […] Mais nous sommes convaincus que l’énergie des vagues peut être une centrale économiquement viable, mais nous sommes soumis à certains problèmes […]”186

La place de l’homme par rapport à la nature est un débat qui a subi de multiples manifestations, comme nous avons pu le voir précédemment. Les perceptions liées au rôle de l’environnement et de la technologie sont un ensemble qui subit des configurations et des reconfigurations en fonction des visions du monde à l’œuvre et en concurrence. Rappelons ce que disait à ce sujet François Furet dans sa présentation de l’ouvrage d’Ehrard187 :

“L'originalité de cette première moitié du XVIIe siècle est d'abord dans l'étude de la nature comme système du monde: certes, l'idée de réduire les pouvoirs de Dieu à la célèbre «chiquenaude » de Pascal n'est pas nouvelle, et elle continue à alimenter toute une polémique jésuite contre la philosophie cartésienne. Le phénomène intéressant est qu'elle se développe même chez les anti-cartésiens, et comme à leur insu: car il n'est pas rare que les Jésuites de Trévoux, après bien d'autres, prennent appui contre Descartes sur le Dieu de Newton, qui est à la fois ordonnateur et conservateur perpétuel de la gravitation universelle. Mais ce faisant, ils n'ouvrent pas seulement la voie au monde naïvement sursaturé de présence divine de l'Abbé Pluche et de son Spectacle de la Nature; ils facilitent aussi l'interprétation voltairienne du Dieu-Horloger, finalement assez

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Entretien avec le Professeur de l’Université de Belfast, 2005 187

EHRARD, J., L'idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle, Paris, S.E.V.P.E.N., 1963.

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proche des conceptions cartésiennes.”188

Ce recours à certaines représentations peut se réaliser à l’intérieur de visions du monde qui sont différentes, comme dans l’exemple que résume Furet dans la démonstration d’Ehrard sur la première moitié du XVIIème siècle. Dans la période contemporaine qui nous intéresse, le même type de phénomène se reproduit, en mêlant des conceptions à l’origine judéo- chrétienne (le pouvoir de l’homme sur la nature) à des conceptions beaucoup plus affiliées à une forme de cartésianisme.

“Le pouvoir de l’homme sur la nature et sa propension à la piller sont le fruit de la rationalisation. Il y a un conflit potentiel dans une conservation fondée sur l’idée de nature et de pratiques d’obligations envers la nature, qui sont menées par le même projet rationaliste qui a généré les dommages auxquelles les conservationnistes souhaitent s’opposer”. 189

Cette tension peut être identifiée à plusieurs reprises au cours des entretiens. Un ingénieur du centre des énergies renouvelable de Newcastle en commentant la vidéo de la situation mondiale sur les énergies renouvelables et plus particulièrement sur l’énergie marine, insista à de nombreuses reprises sur le potentiel inexploité de l’énergie produite par les vagues sur la planète. La nature (ici sous la forme des océans et des courants marins) constituait dans sa représentation une énergie disponible. Cette énergie « disponible » serait une énergie gaspillée si la technique ne remplissait pas son rôle de domestication. Il rappelle dans la lignée le peu de projets recensés dans ce domaine en comparaison des « formidables » potentialités de cette forme d’énergie. C’est une vision nourricière de la nature, qui est développée dans son propos. Les technologies doivent tirer de la nature le meilleur profit pour en faire bénéficier la société.

Une figure récurrente de la technique se dessine aussi et traverse tout autant les discours que les pratiques, c’est celle d’une technique chiffrée, mathématique. Cette technique est passée paradoxalement sous silence sur un mode « hyper-communicant ». Elle n’est pas explicitée, mais fonctionne comme un type de « sous-texte » à de nombreux entretiens. Les entretiens parlent des

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FURET, F., J. Ehrard, L'idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle., Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 1965, vol. 20, n° 5, pp. 1059-1061.

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ADAMS, W. M., “Rationalization and Conservation: Ecology and the Management of Nature in the United Kingdom”, Transactions of the Institute of British Geographers, New Series, Vol. 22, No. 3, 1997, pp. 277-291. Traduction D. Guérin.

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techniques, de leurs chiffres, de leurs performances, de leurs essais, laissant de côté le sens qu’elles suivent en réalité. Les experts dessinent des schémas et font des démonstrations des prototypes de simulation pour illustrer leurs recherches.

Contrairement à ce que l'on nous dit, il convient en effet de ne pas confondre « traiter de l'information » et « produire de l'information » (p. 42) ; la première opération se fonde sur une écriture mathématique de données, la seconde engage la relation que les sujets sociaux peuvent avoir avec le réel. On ne saurait trop insister sur la nécessité de lever cette confusion entre l'information (mathématique) et l'information (sociale), entre les procédures techniques et les pratiques sociales. Cette confusion est au cœur des théories de l'information et de la communication - et rien qu'à ce titre je recommanderai la lecture de cet ouvrage à tous les étudiants, et plus largement à toux ceux qui ont à connaître de ces théories. Car, que l'on comprenne bien : ce dont il est question n'est pas l'opposition, classique du point de vue épistémologique, entre une définition de l'information qui serait une fausse définition et une qui serait vraie, entre une définition idéologique et une définition scientifique ; ni même entre une prénotion relevant du sens commun et un concept scientifiquement construit. La chose est beaucoup plus subtile (et j'ajouterai pernicieuse), puisque ce sont deux conceptions à part entière qui se trouvent confondues, de sorte que l'une vient en quelque sorte « modéliser » l'autre : la puissance technologique de la première, fondée de surcroît sur une écriture logico-mathématique, laisse supposer que la seconde n'est qu'un effet, une dépendance, un contexte, voire un prétexte, de la première. Comme si l'efficacité technique de l'une définissait l'opérativité sociale de l'autre. L'exemple le plus criant de cette « modélisation » est offert par les discours sur la puissance démocratique de la généralisation de l'information sur le réseau des réseaux.190

Un autre exemple de cette idéologie de la technique utilisant la science vient d’un autre expert du site nucléaire de Bugey. Il explique que si l’eau n’était pas redistribuée à l’entreprise d’horticulture, elle resterait inutilisée. En servant la nature ou une forme domestiquée dans ce cas (faire pousser des plantes exotiques dans des serres) alors qu’il n’y avait aucune obligation, le site nucléaire s’offre une relation privilégiée avec son environnement en faisant la publicité de son attachement à la nature. Même si dans ce cas, il s’agit d’un partenariat industriel et d’une nature domestiquée, la représentation est celle d’une nature utile, arraisonnée, mais que l’on peut aussi servir. Dans un échange symbolique eau contre signe, les centrales nucléaires fournissent l’eau tiède aux plantes exotiques, les serres renvoient une image éthique et verte du site nucléaire. La vision nourricière de la nature se retrouve ici mais sous une forme symbolique et plus seulement sous une forme énergétique et matérielle.

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JEANNERET, Y., Confusions et distinctions : Y a-t-il (vraiment) des technologies de

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La centrale de Chooz prend une décision qu’elle qualifie d’écologique en 1998. Il s’agissait d’élargir la plate-forme de l’une des cheminées de refroidissement. L’objectif étant de faciliter le retour des faucons pèlerins, alors qu’en réalité l’oiseau était réapparu quelques temps avant et avait transformé les rebords de cheminée en nid. Ce sont donc les risques d’accidents en raison de l’étroitesse des parois de la cheminée en question qui étaient craints, et non le retour d’une espèce disparue qui était espéré, même si ce retour fournit une raison accessoire aux motivations de cet élargissement. Cette décision « écologique » de la centrale de Chooz recouvre en fait une mesure de sécurité.

Pour Islay, les défis technologiques et économiques sont particulièrement mis à l’honneur tout au long du projet.

« La proposition d’utiliser l’électricité générée par l’énergie des vagues de l’île pour alimenter les piles à combustible qui pourraient être utilisées pour des applications locales en énergie comme certaines machines ou voitures constitue un développement attrayant. Ce serait particulièrement approprié pour Islay, une île renommée pour la qualité de son environnement, qui devrait être le lieu de test pour cette technologie propre et verte. »191

Il est intéressant de remarquer que le cadre des défis technologiques et économiques est ici utilisé pour valoriser l’apport pour le local du rapport Nature/ Technique dans la construction et le suivi de la centrale d’énergie houlomotrice. La coopération entre nature et technique agit dans les représentations véhiculées par plusieurs acteurs comme une forme de politique locale symbolique en elle-même, touchant à l’identité de l’île d’Islay, sa nature, et à ses potentialités présentes et futures par l’énergie des vagues que la centrale LIMPET peut déployer.

b) La mise en valeur des coopérations créées autour de la Nature et de la Technique

Le principal type de représentation de la technique relevé dans notre étude correspond à une représentation de la technique utilisant la nature au service de la société. Les points de contact entre environnement et technologie

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HAMILTON, D., porte parole du Scottish National Party (SNP) des Highlands and Islands, Member of Scottish Parliament, vol.29, n°14, The Ileach, 18.05.2002

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chez les experts interrogés relèvent d’une certaine idée du rôle de la technique vis-à-vis de la nature, et in fine du rôle de ces experts.

Les explications fournies par l’ingénieur responsable des simulations du centre d’études sur les énergies renouvelables de Newcastle sont éclairantes à cet égard. Elles rappellent que la mise en valeur des coopérations créées autour de la nature et de la technique s’appuie avant tout sur des enjeux économiques de commercialisation des nouvelles technologies de l’environnement dans le cas des renouvelables. Les explications s’inscrivent dans ce que nous analysions dans le paragraphe précédent concernant la mise en avant des défis techniques et économiques que comprend le champ de l’environnement.

Dans le cas du nucléaire, il s’agit des enjeux d’une vision renouvelée de la technologie habituellement décriée par les environnementalistes.

Pour les énergies renouvelables, l’expérience qui se déroule à l’intérieur du plus grand entrepôt du centre de Newcastle est expliquée par l’importance des clients. Elle est répétée à plusieurs reprises sous la forme de phrases du type :

« Nous ne pouvons pas nous permettre de dire au client que ça marche si cela ne supporte pas un peu plus que la force que le système est sensé supporter. »192

Pour la centrale nucléaire de Chooz, l’analyse de la gestion des relations presse permet de comprendre dans quelle mesure le caractère avant-gardiste de ces coopérations est mis en avant.

“Presque disparu dans les années 60-70, le faucon pélerin voit depuis les années 80 ses effectifs se rétablir grâce notamment aux actions de la Ligue de Protection des

Oiseaux. Toutefois, appréciant les parois verticales abruptes pour nidifier et chasser, le

nombre limité de sites réduit fortement ses possibilités d'extension. A ce titre, en 2005, une expérience originale a été tentée avec l'installation d'un nichoir sur une des tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire de Civaux.”193

Au-delà du caractère novateur de cet aménagement des tours, la mise en récit consiste à insister sur l’aspect protecteur de la centrale nucléaire, qui tire de sa « grande » puissance in fine de « grandes » responsabilités.

« La présence de la centrale nucléaire protège le site de nidification du public. En

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Données d’observation, NaReC, Centre d’études sur les énergies renouvelables, août 2005. 193

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septembre 2007, un couple de faucons pèlerins s'y est installé pour donner naissance, début mai 2008, à 3 oisillons qui viennent tout juste de prendre leur envol. […] Le nucléaire au service de la biodiversité ? Il fallait y penser. Depuis l'arrivée des oiseaux, les membres du personnel de la centrale de Civaux se sont pris de passion pour l'ornithologie et sont mis à contribution pour surveiller à distance l'évolution de la couvée. L'idée fait son chemin et se développe dans d'autres centrales. A Chooz, (photo) les salariés ont même convaincu EDF d'aménager une plate-forme pour éviter que les petits faucons ne tombent du nid!”194

Dans le cas écossais, le Bureau de développement local d’Islay d’ALIenergy (Argyll, Lomond & the Islands Energy Agency) se fait aussi le relais de ces représentations d’alliance et de coopération entre nature et technique. ALIenergy est une agence locale qui promeut une meilleure utilisation de l’énergie et des ressources énergétiques locales dans la région d’Argyll, Lomond et des Îles. L’entretien avec la directrice du Bureau est instructif à cet égard, car elle insiste sur la nécessité de la coopération entre nature et technique pour des raisons économiques, ici représentées par celles des distilleries de whisky.

« Les distilleries soutiennent ce projet, à cause de la montée du prix de l’énergie »195

Elle insiste aussi sur les opportunités d’aménagement du territoire qu’offre la centrale houlomotrice et qui fait écho à ce que le journal local avait présenté du rôle de l’Agence de développement local d’Islay au moment du lancement.

« La participation de l’Agence de développement d’Islay dans ce partenariat est d’associer toutes les agences participant aux projets d’énergie renouvelable vers l’établissement d’Islay en tant qu’Île de l’Excellence Énergétique et en espérant réussir la construction à l’avenir du bâtiment du centre d’information pour la Recherche et l’Etude des Énergies Renouvelables et étudier, peut-être en lien avec l’Université des Highlands et Islands et d’Argyll. »196

2) L’utilisation de la figure de la rationalité dans