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Nous avons pu repérer que certaines pratiques contribuaient sur nos terrains à la légitimation démocratique des représentations de la Nature et la Technologie en coopération. Deux de ces pratiques semblent particulièrement pertinentes, car elles opèrent indifféremment sur chacun de nos cas d’étude.

a) La randonnée pédestre et la contemplation : vision démocratique et romantique du marcheur

Ce que nous avons appelé la randonnée pédestre et la contemplation constituent sur nos terrains respectifs français et écossais deux thématiques récurrentes et complémentaires pour la mobilisation dans les discours de la légitimité démocratique des représentations de la Nature et de la Technologie en coopération.

La randonnée pédestre rejoint une forme d’évocation de la Nature déjà largement utilisée au XIXème siècle par les Romantiques, qu’ils soient peintres ou écrivains. La principale vertu démocratique attribuée à la randonnée

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Notes de terrain, Islay, septembre 2005. 222

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pédestre est qu’elle ne fait pas de distinction parmi ces amateurs. Elle est accessible à tous, car gratuite. Même si cette évocation de la randonnée dans le cas du partenariat entre l’association Symbiose et la centrale nucléaire de Chooz peut sembler relever de l’opportunisme pour « verdir » l’image de la Technologie nucléaire (nous y reviendrons dans notre troisième partie), elle constitue néanmoins un des points d’ancrage fort de la légitimité de cette coopération entre Nature et Technologie.

« On avait soit des animations que nous on montait, type fête de la science, type randonnée, type à la poursuite de la loutre avec les scolaires, le grand public était difficile à estimer, puisqu’en réalité c’était un parcours libre et gratuit. Donc tout était gratuit. »223

Pour le responsable de la communication de la centrale de Chooz expose ainsi comment l’Office de Tourisme a relayé cette vision idéale de coopération entre la Nature et la Technologie. Une vision certes travaillée dans le discours par la communication d’EDF, mais qui rencontre néanmoins un succès sensible.

« … les trois premières années ça a vraiment super bien fonctionné. On organise même des randonnées qu’on appelait ça… »224

« Quand vous commencez à rentrer dans les brochures touristiques de l’Office de tourisme. Quand les gens commencent à dire « oh bah c’est pas mal, tu devrais aller voir, et puis ça fait du bien, puis t’es dans la nature. Ça, ça prend deux ans. »225

Ces propos qui pourraient être compris comme des naïvetés ou au contraire comme une opération de greenwashing sont portés par des acteurs locaux, pour lesquels ces actions à l’égard de l’environnement s’inscrivent dans une forme de croyance en leurs légitimités démocratiques. D’une certaine manière, cette forme de croyance en la légitimité démocratique des actions environnementales semblent s’inscrire dans le prolongement des croyances sur la mission de service public rattaché en France à la production d’électricité. Le message dintroduction du président d’EDF en 2003, François Roussely, dans le rapport sur le développement durable est intéressant à cet égard :

« Même si l’électricité devient un produit soumis aux lois du marché, n’oublions pas qu’elle répond à un besoin vital et qu’elle est aussi un produit collectif. […] De plus, l’électricité, produit indispensable, doit être accessible à tous, physiquement et financièrement. C’est le fondement de ce qu’on appelle service public en France et qui est notre démarche partout dans le monde. […] Plus largement, nous travaillons avec les

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Responsable communication, Centrale de Chooz, 24/01/2006 224

Ibid 225

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associations, les administrations, les élus, pour rendre compte de notre activité et aussi pour mener ensemble des actions environnementales et solidaires. »226

Pour ce qui est de la centrale d’énergie houlomotrice d’Islay, le cas de l’ingénieur en charge de la mise en œuvre du projet de Wavegen et celui de l’assistant chercheur du professeur universitaire de Belfast en charge de la conception du projet indique une forme particulière de jeu, d’arrangement et de conciliation des idées et des représentations à l’œuvre dans ce projet. Le premier, durant l’entretien, ne fait aucune référence à une quelconque représentation de l’environnement ou du rôle de la technologie ou encore de la responsabilité de la société face à la nature… En revanche, après la mâtinée d’entretien, avec lui et deux autres ingénieurs de l’entreprise, il me propose d’aller déjeuner près du Loch Ness, et la conversation qui s’ensuivra le temps du trajet en voiture qui nous mène au restaurant le conduira à aborder de lui- même un sujet de type « environnemental ». Il développe ainsi son intérêt pour la végétation locale (nous sommes début juin) et à la variété de fleur que nous voyons défiler le long de la route et qui recouvre des pans entiers de la lande. Il m’explique qu’il s’agit d’ajoncs, des fleurs d’arbustes jaunes qui prolifèrent particulièrement en Ecosse. Il ouvre sa fenêtre à un moment où nous ralentissons un peu à cause de la circulation pour que je puisse respirer l’odeur qui se dégage de ces landes jaunes. Il tempère ses explications de remarques concernant la peut-être trop grande prolifération de ces landes d’ajoncs qui peuvent parfois poser certains problèmes parce qu’elles empêchent le développement des autres espèces. Il ne prononce pas explicitement le mot de biodiversité, mais explique qu’il s’agit d’une menace pour la biodiversité dans cette région, qu’elle favorise les incendies et nuit à l’agriculture. Mais il met plus l’accent sur la beauté du paysage que forment ces landes d’ajoncs d’un jaune éclatant et odorant que sur les problèmes qu’elles soulèvent.

La comparaison de l’appel à la contemplation universelle des beautés de la Nature dans les représentations collectées en France et au Royaume-Uni montre qu’en France, ainsi que nous l’avions indiqué dans notre premier chapitre, les représentations en coopération de la Technique et de la Nature sont davantage fixées qu’au Royaume-Uni. Les acteurs des sites nucléaires interrogés priviliégient des représentations des relations entre Nature et

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Technique, selon lesquelles l’Homme aurait pour idéal le retour à la Nature, alors que la réalité l’obligerait à vivre selon les règles de la Technologie. A l’inverse, les acteurs interrogés au Royaume-Uni, de par une réalité moins déterminée par la Technologie nucléaire, comme en France, montrent dans leurs pratiques davantage de distance envers l’idéal de Nature.

b) La jeunesse comme argument démocratique d’avenir

La valeur « en partage » accordée à l’environnement est tout particulièrement présente au niveau du discours sur la responsabilité de notre génération envers la future génération. Nous approfondirons notamment cette dimension sociétale au détriment de celle individualiste dans le chapitre 2 de la troisième partie de cette recherche.

La génération future est ainsi présentée sur les différents terrains d’appréhension de notre problématique comme ayant autant de droit que la génération actuelle. Cela implique une forme d’égalité des droits entre des membres existants et des membres à exister d’une communauté. La mobilisation de cette figure de légitimité démocratique incarnée par la jeunesse place les représentations de la Nature et de la Technique dans une perspective futuriste qui débarrasse la démocratie de ces frontières temporelles.

La légitimité démocratique vers laquelle doit tendre cette coopération entre Nature et Technologique semble davantage tenus dans les discours sur les sites nucléaires étudiés pour promouvoir la Nature que la Technologie. Cette supériorité de l’attrait de la Nature sur la Technologie est d’autant plus repérable qu’il est exposé par exemple dans le cadre de l’importance pour la jeunesse de visiter le Sentier de la Loutre. La représentation de la coopération entre Nature et Technologie du responsable de la Communication de la Centrale de Chooz est une représentation qui envisage pour l’avenir (la

jeunesse) une prédominance de la Nature sur la Technologie. Le responsable

de la communication de Chooz insiste sur la place accordée aux scolaires dans la dynamique de relations publiques que cherche à développer les centrales EDF.

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« ...donc avec des écoles. On avait cinq cent gamins qui venaient pendant une semaine découvrir le sentier, donc fallait être blindé au niveau assurance. »227

« Et après il y avait les autres projets, mais…...…le projet avec ...… installez un …une espèce de cabane au milieu des montagnes, pour que les gosses puissent venir toute la journée, et venir faire du pique-nique. »228

Néanmoins, cette présentation du succès auprès des enfants est nuancée par le rappel d’un incident lors de l’organisation des visites entre la centrale de Chooz et l’association Symbiose. Le chargé de communication explique lors de l’entretien que le mode de fonctionnement consistait à faire passer les réservations par l’équipe communication de la centrale et à déléguer le déroulement de la visite du sentier de la loutre à une animatrice. Victime du succès du sentier, l’association Symbiose a annulé plusieurs sorties scolaires suffisamment à l’avance pour permettre aux écoles de se réorganiser, à l’exception d’une fois. Mais lors d’une session, l’équipe de communication et d’accueil du public de la centrale se retrouve seule face à une école venue arpenter le sentier de la loutre sans qu’aucun membre de l’association Symbiose ne se présente pour assurer la visite. La difficulté dans laquelle cette situation plonge le chargé de communication est résolue de façon tout à fait attendue et inattendue à la fois, puisque s’organise à la place de celle du sentier de la loutre, une visite des installations nucléaires ! La situation est décrite de la façon suivante lors de notre entretien :

« on leur a fait, on a fait ici quoi…c’était pas gênant, mais ils étaient un peu déçus les enfants, parce que, ce qui est normal… […] Ils venaient pour la nature, on leur a imposé une centrale nucléaire…[…] Les pauvres… »229

Dans le cas écossais, un des plus jeunes employés de l’entreprise Wavegen, ingénieur projet, est missionné pour le salon Energy Challenge 2004 organisé par l’université Robert Gordon à Aberdeen afin de s’adresser à de jeunes lycéens sur l’importance de l’énergie pour leur génération. Son discours porte sur l’impératif que revêt à ses yeux la nouvelle donne énergétique pour les orientations scolaires et universitaires de cette nouvelle génération.

« Les énergies fossiles finiront par se tarir et notre besoin en électricité produite par des ressources renouvelables augmentera rapidement. Il est donc nécessaire pour nos futurs ingénieurs de s’y intéresser, et de réaliser l’importance de ces énergies renouvelables. »230

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Responsable communication, Centrale de Chooz, 24/01/2006 228

Ibid 229

Ibid 230

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Ce discours traduit également le type de coopération présent dans les représentations à l’œuvre concernant les énergies renouvelables. L’avenir est présenté de telle sorte que la Nature sera en mesure de répondre aux besoins et à la curiosité des futurs ingénieurs pour développer de nouveaux projets par la Technologie.

B / Le problème de l’égalité des valeurs

Le processus de légitimation démocratique de cette coopération entre Nature et Technique dans les représentations a été mis à jour par l’analyse des arguments entre les différents intérêts en jeu dans les cas énergétiques qui nous intéressent. Comme nous allons maintenant l’exposer, l’étude de ces arguments révèle qu’ils traduisent un objectif d’équilibre, de justice démocratique entre les différents protagonistes, qui se manifeste davantage au Royaume-Uni qu’en France. Cet équilibre, visé plus ou moins explicitement à travers la reconnaissance implicite des droits de l’environnement, et à l’environnement de tous, n’est pas sans poser probème. En France, le recours à l’argument de la légitimité démocratique de projets énergétiques ou sur des sites énergétiques en faveur de l’environnement confronte ou fait se rencontrer les représentations de la Nature et de la Technologie à un autre niveau : celui de l’intérêt général. La légitimité démocratique des représentations de la Nature et de la Technologie devient un argument en soi de la validité ou non des représentations de la Nature et de la Technologie mobilisées par les protagonistes du projet.