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Ces considérations en terme de méthodologie de recherche et de corpus seraient insuffisantes si nous ne les complétions pas par la problématique spécifique posée par le choix d’une étude comparative.

La comparaison ajoute à l’analyse un niveau supplémentaire au sens où elle nous indique d’une part les adaptations communes et spécifiques de chacun des systèmes politiques à ce basculement de l’ordre Homme/Nature à un ordre Nature/Homme. En France, les discours se portent bien plus sur le sens à donner à ces adaptations qu’au Royaume-Uni, où il s’agit là de porter le regard sur l’intérêt immédiat et l’approche pragmatique que revêt le projet de centrale d’énergie renouvelable. La comparaison est utile d’autre part pour comprendre les modes de mises en scène de ce basculement Homme/Nature à Nature/Homme.

« A l’origine de toute production électrique il y a, en effet, pollution, elle est toujours décalée par rapport au lieu d’utilisation de l’énergie… »23

L’approche comparative a cela d’intéressant qu’elle offre une double critique des questionnements sur la technologie et les rapports à l’environnement qu’on lui prête. Ces deux types de systèmes énergétiques posent en effet une double comparaison, celle de deux pays et celle de deux technologies. La comparaison de ces deux types de systèmes énergétiques n’est pas sans évoquer les thèses d’Amory Lovins24 opposant « hard energy paths » aux « soft energy paths ». Le choix de nos deux terrains se place dans cet ordre d’idée puisqu’il met en parallèle la technologie nucléaire et la technologie renouvelable. Il rejoint en cela l’approche comparative développée par Przeworski et Teune25 dans la justification qu’ils font de l’étude des cas les plus différents, avec d’un côté deux sites nucléaires dans un contexte national dominé par ce type

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GRAS, A., op.cit., p.82 24

LOVINS, A. B., Soft Energy Paths: Toward a Durable Peace, Penguin Books, 1997 25

PRZEWORSKI, A., & TEUNE, H., The logic of comparative social inquiry, Wiley Interscience, 1982.

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d’énergie, et de l’autre une centrale d’énergie renouvelable dans un pays qui affiche l’un des plus bas taux de part d’énergies renouvelables dans ces sources d’énergie26. Energie nucléaire ou renouvelable sont toutes deux confrontées aux questions environnementales mais leurs réponses sont soumises à diverses influences : le contexte énergétique du pays et de la région, mais aussi le parcours professionnel des « responsables environnementaux concernés », et encore les intérêts industriels et associatifs liés à ces questions. Il faut néanmoins rappeler le fait que le nucléaire ne pourra représenter même dans les scénarii les plus optimistes, que 6% de la consommation globale d’énergie.

Ce que comparer veut dire et ce que cette méthode apporte ou retire à notre recherche.

Notre objectif dans cette partie sera d’expliciter les raisons de notre choix comparatifs tout en en appréciant les limites. La comparaison dans notre sujet de recherche est motivée certes par une interrogation sur les similarités et les différences des représentations étudiées mais surtout par les tenants et les aboutissants qu’elles peuvent entretenir avec le politique, saisi ici par le biais de l’aspect environnemental de politiques énergétiques contemporaines. Il est possible de distinguer trois difficultés méthodologiques de comparaison que nous avons relevées pour notre étude.

1. La première difficulté que j’ai rencontrée est celle de la comparaison dans les discours de différents niveaux de représentations dans différents espaces de déploiement des représentations. Représentations comme vision du monde (la Nature est bonne et doit être protégée de la logique destructrice de l’Homme) et représentations comme image polysémique (Nature victime, attaquée, à la disposition de l’Homme), espaces de légitimation des représentations (rapports d’expert) et espaces de confrontations des représentations (réunions publiques). Il s’agit de comprendre qui dit quoi, quand et pour quoi en résumé

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Energy policies of the United Kingdom, 2002 Review, International Energy Agency, OECD, IEA, 2002, p.61.

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2. La seconde difficulté consiste à apprécier la mise en œuvre ou non de ces représentations dans les pratiques. Ce que l’on fait est un révélateur du sens que l’on donne à la Nature et à la Technique. Le décalage ou non d’avec le discours tenu par les experts peut conduire à un diagnostic différentiel des représentations qui habitent ces acteurs. Ne pas faire ce qu’on dit et ne pas dire ce qu’on fait peut soit :

- éclairer des points de rencontre entre le lieu de leurs actions dans lequel les experts mettent en œuvre ces représentations et ce qu’ils disent de leurs actions. Par exemple, à Newcastle ou à Inverness, les centres d’étude sur l’énergie marine disposent de hangars destinés à la simulation en modèle réduit des dispositifs à l’étude. Ces centres permettent de saisir la représentation d’une technique reproductible et réductible non explicitée dans les discours.

- expliquer les points d’ajustement, de négociation ou de confrontation des représentations et des pratiques. Point d’ajustement d’abord par exemple avec la route pour la construction de la centrale houlomotrice qui a été refaite. Les représentations se mettent en place à la périphérie de ce projet technique par des effets d’ajustement. Certains habitants ont un positionnement distancié, avec par exemple cet homme qui construit sa maison avec les pierres de la falaise dégagées pour la construction du dispositif. Point de négociation avec la centrale de Bugey qui entretient dans la pratique un partenariat industriel local mais qui se met en scène dans une action en faveur de l’environnement au niveau national, comme dans une relation de « bon voisinage » dans les discours des responsables respectifs du partenariat et comme dans une forme d’économie d’énergie pour le responsable des serres. Point de confrontation lorsque le directeur de la communication de la centrale de Chooz propose une vision harmonieuse dans son discours de la relation entre la centrale et le site protégé, mais que le personnel de la centrale reste dans la pratique très méfiant et méprisant à cet égard dans les premiers

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temps du projet.

3. La dernière difficulté que j’évoquerai est celle de la comparaison entre les différentes formations initiales qu’ont suivies les ingénieurs et/ou experts interrogés, les différentes expériences qu’ils ont accumulées et la valeur opératoire ou non à leur attribuer dans la construction des représentations que ce soient dans la nature ou dans la fonction de ces représentations. Et la comparaison doit viser aussi à penser ces représentations dans la continuité et la rupture des expériences des professionnels. L’exemple du chef de projet de la centrale houlomotrice en témoigne. En le questionnant sur ces expériences passées, il m’explique avoir travaillé dans l’industrie pétrolière pendant une vingtaine d’années en séparant très nettement cette expérience de son expérience présente au sein de Wavegen, l’entreprise en charge de la mise en œuvre du projet. Le ton sur lequel il me raconte cette expérience passée se veut concis, l’intérêt pour mon interview lui paraissant minime. Le point est important dans la mesure où l’élément de rupture professionnelle ne se manifeste pas pour lui par une nouvelle formation mais par une nouvelle mission au sein d’un autre secteur. Pour cet acteur, le projet est plus important que celui qui le mène à son sens.

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