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a) Genèse du projet LIMPET

Le Royaume-Uni a fixé comme objectif que d’ici 2010, 10% de l’électricité du pays devra provenir des énergies renouvelables. Mais derrière ce discours, le changement annoncé du mode de production énergétique ne l’est pas forcément pour des raisons uniquement environnementale compte tenu de l’expérience de cette centrale houlomotrice sur Islay. Le Royaume-Uni prône aussi le développement

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des énergies renouvelables pour résoudre le problème du réseau posé par l’éparpillement de la demande énergétique sur son territoire et notamment dans l’ouest écossais. Il développerait les énergies renouvelables pour amener la transition d’un système énergétique centraliste à un système plus décentralisé.

Nous verrons en développant nos hypothèses de départ que la périphérie fait en réalité plus l’objet de mesures annexes palliatives qui n’impactent pas sensiblement l’économie énergétique du pays que de mesures qui testent en périphérie des systèmes énergétiques de pointe, qui demeurent le plus souvent des prototypes, et nous aurons l’occasion d’y revenir.

Depuis novembre 2000, la centrale d’énergie houlomotrice baptisée LIMPET (Land Installed Marine Powered Energy Transformer) fonctionne sur l’île d’Islay. Seul système de production d’énergie par les vagues au monde relié à un réseau national d’électricité, celui du Royaume-Uni, c’est la première centrale de ce type à être exploitée commercialement.

« La centrale LIMPET sur l!île d!Islay, loin de la côte ouest de l!Ecosse, est la première centrale d!énergie à vague connectée à l!échelle commerciale au réseau électrique. La centrale a été connectée en Novembre 2000. Il s!agit d!un converteur d!énergie marine utilisant une colonne d!eau inclinée oscillante (OWC) avec une turbine Wells de récuperation d!énergie. Cette centrale complète à l!échelle a été utilisée par Voith Hydro Wavegen pour valider les résultats des tests marins en hangars avec des modèles de simulation. La centrale de Limpet est aussi utilisée comme un banc d!essai d!une centrale à l!échelle pour le développement de nouvelles turbines. »139

Le choix du terrain d’implantation de la centrale LIMPET s’est porté sur une parcelle appartenant à la veuve d’un ancien ingénieur, près de Portnahaven :

« A l’intérieur de l’île, il y avait plusieurs sites possibles pour le LIMPET, mais par commodité le site près de la Ferme des Claddach fut choisi à côté du premier prototype de centrale 75kW »140

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WAWEGEN, Brochure de présentation, 2009. 140

92 Tableau 5 : Tableau des centrales houlomotrices dans le monde

Centrale Pays Puissance Date de mise en

service

Islay LIMPET Royaume-Uni 0,5 2000

Centrale houlomotrice d’Aguçadora Portugal 2,25 2008 Centrale houlomotrice SDE Israel 0,04 2009 Centrale houlomotrice de Siadar Royaume-Uni 4 2011 Centrale houlomotrice d’Orkney Royaume-Uni 2,4 2011

Figure 5 : Carte de l’Ecosse indiquant Islay et la situation de la centrale houlomotrice du LIMPET (Source: www.calmac.co.uk (Islay Map) et www.lonelyplanet.com (Scotland Map))

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Mais d’autres projets de centrales d’énergie houlomotrice exploitées commercialement suivront, comme l’illustre le tableau précédent. Le LIMPET est un dispositif installé sur la côte qui utilise une colonne d'eau oscillante pour faire entrer l'air dans et hors d’une chambre de pression au moyen d’une turbine à air spécialement conçue. Le système de la centrale repose sur un tube incliné en béton ouvert au dessous du niveau de l'eau. L'action des vagues fait osciller le niveau de l'eau dans la chambre. Cette variation du niveau d'eau comprime et décomprime alternativement l'air piégé au-dessus, provoquant la circulation de l'air vers l'arrière, puis vers l'avant à travers une paire de turbines contrarotatives (système de Wells, nommée ainsi en l’honneur de son inventeur).141

Conçue et fabriquée par la société Wavegen d’Inverness, filiale de VoithSiemensdepuis 2005142, et des chercheurs de la Queen’s University

de Belfast, la centrale a bénéficié de subventions provenant de l’Union Européenne. Le projet LIMPET visait à produire 500 kilowatts d’électricité, soit l’électricité nécessaire à 400 maisons, mais le résultat de sa production n’est aujourd’hui qu’à hauteur de 10 à 15% en moyenne de l’objectif annoncé.

« Voith Hydro Wavegen est une entreprise d’énergie houlomotrice dédiée au développement des technologies marines d’énergie renouvelable. Anciennement indépendante sous le nom de Wavegen, l’entreprise fut créée en 1990 et était située à Inverness dans les Highlands de l’Ecosse. En 2000, l’entreprise devient la première entreprise à connecter une centrale houlomotrice économiquement rentable au réseau. Depuis 2005, cette centrale constitue le centre de compétence pour l’énergie houlomotrice au sein de Voith Hydro.

[…] La demande croissante en énergie et le besoin de réduire les émissions renforcera l’implantation de nouvelles formes d’énergie renouvelable. Les énergies de l’océan (principalement houlomotrice et marémotrice) répondront à cette exigence de fournir de nouvelles énergies renouvelables à un coût raisonnable. « Voith Hydro avec son expertise dans l’hydrolique traditionel, son excellence en R&D et ses solutions orientées vers le client sont des facteurs déterminants dans le développement de cette industrie. »143

141

HEATH, T., "The Construction, Commissioning and Operation of the LIMPET Wave Energy Collector", Wavegen, 2004

142

Renewable Energy Today Voith siemens hydro acquires Scotland’s wavegen. 2005 143

94 Figure 6 Schéma du fonctionnement de la centrale houlomotrice

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b) Les difficultés économiques, sociales et techniques rencontrées avant le projet

Plutôt bien accueillie par les habitants de l’île, l’installation de cette centrale d’énergie se distingue en cela du précédent projet d’implantation d’une ferme d’éoliennes qui avait suscité de houleuses polémiques quelques années auparavant et qui en suscitera à nouveau lors du lancement du projet européen Renewable Energy Sources, Promotion and Integration for the sustainable development of insular Regions of Europe (RESPIRE !). Le Royaume-Uni a le plus grand potentiel éolien d’Europe. Le premier projet émerge dans un contexte favorable tant au niveau des fonds disponibles que de la géographie d’Islay adaptée à cette forme d’énergie, ainsi qu’au nombre de partenaires économiques européens, nationaux et locaux qu’il intéresse.

“En matière d’énergie renouvelable, l’énergie éolienne apparaît comme l’option la plus prometteuse, alors que les effluents de la fermentation de la distillerie en sont une autre. Le whisky représente la colonne vertébrale de l’économie de l’île. L’étude a été conduite par l’Energy Technology Support Unit (ETSU rattaché à l’ancienne Atomic Energy Authority) avec des fonds du Department of Trade and Industry, d’Argyll and the Islands Enterprise, et de l’Union des Distilleurs qui a lancé l’étude. Hydro-Electric a fourni le support technique.”144

En 1995, le projet lancé pour l’Ecosse par l’entreprise Windcluster sera pourtant retiré par le Secrétaire d’Etat à l’énergie quatre ans plus tard suite notamment aux contestations multiples portées par le Scottish National Heritage (SNH) et la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB). Une autre tentative après le lancement de la centrale d’énergie houlomotrice est lancée lorsque la Commission Européenne propose le projet RESPIRE. Le projet vise à démontrer comment cinq îles européennes peuvent devenir auto-suffisantes en énergie renouvelable. Les oppositions lors du premier projet avaient émergé principalement en raison des risques pour les oiseaux migrateurs d’être broyés par les hélices des éoliennes (plus de 50 000 oies sauvages passent l’hiver sur Islay tous les ans). Celles au moment du second projet reposent certes également sur un recyclage des argumentaires de protection des oiseaux développés par le SNH et par la RSPB, mais beaucoup plus sur des

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New Review, the Quarterly Newsletter for the UK New and Renewable Energy

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arguments d’ordre visuel, comme il ressort de l’analyse textuelle des réactions retranscrites dans le Ileach, le journal local d’Islay. Le danger de la destruction du paysage est invoqué à plusieurs reprises lors des oppositions au second projet. La « protection du paysage » est plus couramment utilisée dans l’argumentation des opposants que la « protection des oiseaux ». La multiplication des contre-expertises menées par l’industrie éolienne concernant les risques pour les oiseaux pourrait en être la raison. Elles s’attachaient à démontrer au moment des débats publics organisés par les autorités locales (Argyll and Bute Council entre autres), l’adaptation dont les espèces migratoires avait déjà fait preuve à l’égard de ces nouveaux obstacles que constituent les éoliennes. La production de contre-expertises à ce sujet place les habitants d’Islay dans une position qui consiste à poser en critères d’expertise de l’environnement l’appréciation esthétique visuelle et sonore devant ceux de la protection des oiseaux. Mais ce changement de priorité dans la mobilisation des argumentaires touchant à l’installation d’une ferme d’éoliennes n’est pas seulement lié à la production de contre-expertises par le lobby des énergies renouvelables. Il est rendu possible d’une part par l’expérience de la centrale d’énergie houlomotrice qui a intégré dans les rapports d’experts des critères de protection de la faune et de la flore et des critères esthétiques visuels sonores. Et d’autre part, ce changement est autorisé par la retraduction de logiques conflictuelles locales opposant « nouveaux venus » (incomers) ou « colons blancs » (white settlers) contre les champs d’éoliennes aux « métayers » (les crofters ou petits exploitants agricoles qui louent leurs terrain) intéressés par le bénéfice qu’ils pourraient tirer de ce nouveau projet énergétique (primes de dédommagements, activités économiques liées au chantier de construction).145

B / L’énergie nucléaire en France : l’exigence

environnementale de Bugey et Chooz

Dans le cas de l’énergie nucléaire, la manifestation la plus saillante de

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JEDREJ, M.C., NUTTALL, M., White settlers: the impact of rural repopulation in

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la fragilité de l’ordre Homme/Nature se repère au travers du discours tenu par le responsable de la centrale de Chooz :

« Mais c’est… c’est un peu normal, que parce que c’est une industrie à risque, elle a, elle est entre les mains d’hommes, qui sont vulnérables, perfectibles…bon puis on sait très bien que maintenant, depuis une vingtaine d’années, même un peu plus… à 90% les accidents ou incidents sont d’origine humaines…Donc y a toujours l’homme qui est là… […]Tant qu’il y aura l’homme qui sera aux commandes, y aura risque, hein…La machine elle marche très bien, elle marche toute seule. C’est même une excellente machine ; sauf que y a, le problème, c’est que y a un homme aux manettes, et l’homme, il peut faire des bêtises… »146

Ce qui pourrait passer pour anodin est en réalité crucial. Dans cet extrait, ce qui est signifié, c’est qu’au delà de la supériorité de la Nature sur la Technologie, que l’ensemble du discours de l’interviewé traduit, l’Homme est vulnérable et inférieur à la Technologie qui est elle excellente. Il faut donc saisir que le basculement est total au sens où la Nature serait le modèle à suivre pour la Technologie (rejoignant une sorte de conception organiciste revisitée) qui serait elle-meme en charge de discipliner les errements de l’Homme. Dans cette perspective, l’Homme semble figurer comme le dernier maillon de la chaîne, celui qui nécessite le plus d’améliorations et d’ajustements et non celui maîtrisant la Technologie et la Nature.

Présentons d’abord les deux centrales choisies avant d’évoquer les enjeux industriels et symboliques de cette relation entre nucléaire et environnement.