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4.2. La redéfinition du conflit et son indexicalisation à la localité, ou l’assimilation du conflit

4.2.3. Le retour à l’ordinaire du champ local, ou la normalisation du conflit

4.2.3.1. La relativisation du conflit : l’ordinaire d’une situation nécessaire

La domestication du conflit n’est pas la seule voie de sa relativisation. On peut également y procéder en s’efforçant de considérer la cause du différend comme un évènement parmi tant d’autres, faisant ainsi correspondre la posture à l’acception que le sens commun lui attribue63. Ainsi en est-il de cette Uzestoise qui illustre parfaitement cette attitude : quand, au cours d’un entretien, était évoquée la question de la culture, elle s’empressait de prévenir, alors même que le festival n’avait pas encore été évoqué, « que la culture, ça n’est pas que la musique ». Et d’ajouter : « on en parlera si vous voulez, de la musique, mais enfin la culture c’est pas que la musique, et c’est surtout pas que la musique de Bernard. C’est beaucoup plus large, quand même ! » De même ce membre du Conseil municipal qui relativise la conflictualité entre madame le maire et Bernard, signalant qu’« il a eu des problèmes avec tous les maires, de n’importe quel bord qu’ils soient. Même avec les communistes » ; et cela, il ne l’invente pas : « il l’a dit récemment, assure-t-il, […] C’est dans Sud Ouest ». Il n’est en outre pas le seul à le rappeler ; et l’on assure au bourg que « ça a toujours été très dur, très tendu, avec toutes les municipalités » (un Uzestois). Certains relativisent la situation en assimilant le rôle potentiel du festival à celui, de prime abord fort éloigné, du club de football, et l’on dit alors que les deux apportent une impulsion au village

62 Boltanski et Thévenot accordent à la posture relativiste l’état de stabilité (Ibid. : 414-421). Mais,

parce qu’ils en font une attitude à la limite du nihilisme, nous préférons ne pas l’envisager ici, tant elle nous paraît être empiriquement rare et isolée. C’est pourquoi nous choisissons de composer avec les deux postures, faisant un mélange des deux, empruntant l’état de stable au relativisme et l’action positive à la relativisation.

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On définit en effet communément le terme « relativisation » comme l’action rapetissant un fait en le replaçant dans un ensemble ou un contexte de similarités.

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et participent au dynamisme de la localité ; et si beaucoup n’apprécient pas le festival, on assure qu’il en est de même du club de football : de même que certains Uzestois rejettent le festival, de même certains « n’aiment pas le foot à Uzeste, parce qu’il y a plus de joueurs qui sont pas d’Uzeste, donc c’est plus l’équipe l’Uzeste ! Alors ça ronchonne ! » (un villageois). On croit ainsi que le désamour que vit le festival n’est pas son apanage : si les Uzestois ne viennent pas, pour l’essentiel, assister aux spectacles d’Uzeste Musical, « ils ne viennent pas davantage au concours de belote organisé par le comité des fêtes, ou au loto qui est organisé par l’école », et de même « à Uzeste, quand y a du bruit, faut bien que ça énerve ; mais comme il y en a que ça énerve quand il y a la fête foraine à Villandraut, ou à Bazas parce que les manèges font du bruit, ou le son dans la rue, ou qu’il y a une boîte de nuit et que ça fait du bruit » (une villageoise).

La relativisation du conflit ne se fraie pas seulement par la confrontation du problème à ses similarités, mais s’engage également par le dévoilement de son inévitabilité. Le champ local, de par sa configuration et ses référents domestiques, est traversé d’ententes et de différends, et c’est à travers la variété de ces deux types de relations qu’il se bâtit, s’authentifie et perdure. Nous l’évoquions en fin de chapitre 2 : la petitesse de l’espace rend inévitables les querelles autant que les ententes. La proximité des relations qui s’y jouent œuvre pour le meilleur et pour le pire, si bien que les amitiés prospèrent à mesure que les querelles grandissent. Dès lors, le conflit qui se noue autour du festival est réduit, par l’ensemble des acteurs qui y sont pris, à l’état de ce qui se joue en permanence dans la communauté dont il devient alors constitutif. La conflictualité entre le festival et une grande part des Uzestois est pour nombre d’entre eux une fatalité. Un villageois raconte :

C’est comme ça. Ça l’a toujours été. Ma mère a fait partie d’un conseil municipal, y a 30 ans maintenant. C’était pareil. Y a toujours des doléances, machin… Mais c’est pas grave, hein ? Uzeste est toujours là ! Et les gens se crêpent pas le chignon pour autant. Si ! Un peu, comme ça ! Les irrésistibles Gaulois, c’est pareil… Il est pas frais mon poisson ? Je te le fous sur la gueule, et puis après tout le monde est là, quoi !

Aussi, le différend personnel entre Bernard et madame le maire est pour ce même villageois insoluble, et lorsqu’il l’évoque, il conclut son propos par une question rhétorique teintée là encore d’un sentiment de fatalité : « Qu’est-ce que vous voulez faire, vous ? » C’est dire qu’à

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Uzeste, on croit la querelle si forte que l’on dit qu’elle ne pourra jamais se résoudre : ainsi de cette villageoise qui, si pendant un temps « [se disait] “peut-être qu’on va réussir, à force de diplomatie”, [sait] maintenant que c’est pas possible de les réconcilier ». Et tous ceux qui refuseraient de se rendre aux spectacles du festival ne le feraient qu’à raison, comme le dit une autre villageoise enfin, des sempiternelles querelles intestines du village. Elle affirme :

Des histoires de personnes ! […] C’est des générations qui ont la haine depuis, voilà, depuis la guerre, l’avant-guerre, et ça continuera toujours. Ça ne changera jamais. […] C’est bête, c’est comme ça, ajoute-t-elle singeant ceux qui s’opposent à Bernard : « même si j’aime, je n’irai pas lui parler parce que… Soit il a traité ma mère de machin, ou… » Voilà, quoi. C’est pour ça que je dis que ça ne changera pas.

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