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4.1. Une première définition du conflit et sa montée en généralité : l’histoire locale d’un

4.1.2. L’artiste et l’opprobre, ou l’histoire locale d’un enjeu global

4.1.2.2. Les moyens rhétoriques d’une montée en généralité du conflit Pour

En redéfinissant les contours du différend en sorte d’en faire l’expression localisée d’un enjeu général, le festival, en la personne de Bernard, confortait la posture qui est la sienne dans le déroulement ordinaire de son existence – qui a largement été présentée au chapitre précédent –, faisant en effet participer l’évènement circonscrit du logement de l’ensemble des portées politiques et esthétiques qu’il s’est données. Nous le disions plus tôt, ces évènements précis ainsi que les postures que chacun y adopte sont éloquents du conflit qui traverse le village, et qui paraît confronter le festival et ses défenseurs à une

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majorité qui s’y oppose. Ainsi le festival aura tendu d’une manière générale à affranchir le conflit du simple différend personnel ; et c’est, du reste, ce que tenait à préciser Bernard lorsqu’il clamait, dans l’article du quotidien Sud Ouest cité précédemment, qu’il n’aurait pas fallu confondre l’affaire du logement avec « une simple histoire de Clochemerle » (Cottin, art. cit.). S’il procédait ainsi, c’était autant parce qu’il en avait l’intérêt que les dispositions structurelles.

Si, en dépit de ses formats qui l’intègrent en un sens aux structures du champ local60 le festival peine à s’y faire accepter, il jouit cependant d’une légitimité certaine au sein d’espaces extérieurs. Nous pensons ici au champ de l’art dont il représente, nous avons pu en faire la démonstration, une espèce d’enclave au sein du village d’Uzeste. Il bénéficie également, en raison de la richesse qu’il représente pour son territoire, d’une légitimité notoire au sein du champ politique – non pas défini ici comme espace de luttes pour l’accès au pouvoir, mais plutôt dans le sens qu’en donnaient les Grecs, entendu comme espace de relations organisé autour des affaires de la cité, et vers un bien-être collectif – et, par analogie, au sein du monde civique. C’est ainsi qu’au cours des évènements dits du logement, de nombreux élus du département lui manifestèrent publiquement leur soutien par l’intermédiaire de lettres ouvertes appelant la municipalité à la retenue, et invoquant l’utilité, pour la communauté, de l’artiste en ses territoires. C’est dire que le festival jouit de fait d’un appui systématique qui lui est essentiel : celui des institutions publiques, locales et régionales. Ainsi, une élue locale chargée des affaires culturelles au Conseil départemental affirme qu’« on est aujourd’hui sur des relations tout à fait normales d’un département avec une compagnie dont il reconnaît les compétences, l’innovation […] et le travail qui est fait sur [le] territoire ». Ce sont dès lors autant les subventions nécessaires à son existence qu’une protection sans égale qui lui sont assurées ; et fort de tels soutiens, on assure au village que, en autant qu’elle l’ait désiré, la municipalité aurait eu toutes les difficultés du monde à sortir le festival de la commune. Comme le dit en effet cet Uzestois : « c’est qu’il y a beaucoup de monde derrière lui… »

Mais le champ politique n’est pas le seul à être intervenu dans le cours des évènements pour appuyer la position de Bernard et du festival, et c’est aussi l’espace

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médiatique qui s’est offert à eux. Au niveau régional d’abord, par l’intermédiaire de Sud Ouest qui ne publia d’articles sur les évènements qu’en les relatant au travers du regard de l’artiste, refusant, dit-on du côté du Conseil municipal, de tenir la promesse qui avait été faite d’en raconter le cours selon le point de vue de la municipalité – simplement, jure-t-on, parce que l’article n’aurait pas été « à la gloire de… » Mais ce fut aussi à l’échelle nationale que la presse manifesta son appui. C’est alors l’Humanité qui allait publier trois articles qui offriraient un soutien sans mesure à l’artiste. Un premier, au cours du festival de l’été 2011 dont il faisait un compte rendu, engageait déjà la critique à l’égard de la municipalité et participait à la montée en généralité de la contestation. Ainsi pouvait-on lire :

On ne vient pas à Uzeste pour écouter un beau concert. On en revient avec le sentiment d’avoir vécu un peu d’une aventure contemporaine et utopique […] Les politiques ne s’y trompent pas. Qui regardent de loin ce qui se trame ici en bas dans le pré-occupé [sic] autour de la collégiale. La maire d’Uzeste a mis les bouts. En congés. Les Hestejadas ? Circulez, y a rien à voir. On préfère les huissiers pour remettre de l’ordre et expulser un artiste locataire. La grande classe, quoi. Heureusement, il en est d’autres que tout ce joyeux bazar n’effraie pas. Les maires de Noaillan et de Pompéjac, socialistes comme celle d’Uzeste, mais qui n’ont pas froid aux yeux, n’ont pas craint de s’impliquer et ont accueilli avec panache les Hestejadas. Car poéïlitique, Uzeste l’est, qui manie la politique et la poétique à chaque instant. (Sirach, 2011)

Deux autres articles suivirent, sur le même ton. Un premier, qui disait :

On a compris, madame le maire veut faire d’une pierre deux coups : humilier une institutrice qui a refusé d’être le petit doigt sur la couture de son tablier, atteindre Uzeste Musical [sic] et Bernard Lubat auxquels elle fait une inlassable guerre de tracasseries. Que ses propres collègues, à Noaillan et Pompéjac, accueillent Uzeste musical les bras ouverts la laisse de marbre. (Silvestre, 2011)

Un second, titré « Uzeste résiste à l’arbitraire », racontait la manifestation de soutien que Bernard évoquait plus tôt. On pouvait encore y lire :

Plus d’une centaine de personnes, amis d’Uzeste Musical [sic], habitants, artistes, syndicalistes, s’étaient donné rendez-vous, mercredi en fin d’après-midi, devant la maison au cœur du village où résident, depuis dix-sept ans, Martine Bois,

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l’institutrice nouvellement retraitée, et son compagnon, Bernard Lubat. Il s’agissait de dénoncer la nouvelle provocation de la maire d’Uzeste, à l’encontre de celui qui, depuis près de trente-cinq ans, œuvre tout au long de l’année à la diffusion de l’art contemporain en milieu rural et de l’enseignante fort appréciée, également active cheville ouvrière d’Uzeste Musical […] Conscients que, lorsque les artistes et leur travail sont ainsi menacés, c’est toute 
la société qui est mise à mal, tous les manifestants ont renouvelé leur entière solidarité à Martine Bois et Bernard Lubat, qui ont choisi de résister. (Raynal, 2011)

Le recours au champ politique d’une part, et au champ médiatique d’autre part, participe alors pleinement de ce que Boltanski disait être plus tôt dans ce chapitre les « moyens rhétoriques orientés vers une montée en généralité », qui accompagnent « la dénonciation des injustices » (op. cit. : 148). Ainsi sollicités, ils ont en effet permis à l’organisation du festival d’entériner le processus qu’ils avaient mis en marche, qui consistait à émanciper le différend de sa contextualité pour en faire, comme nous le disions précédemment, l’histoire locale d’un enjeu global. Mais il ne faudrait pas croire que ce double recours à des espaces extérieurs au champ local n’est que de circonstance. C’est au contraire parce qu’il avait structurellement établi des passerelles avec ceux-ci que le festival a su bénéficier de leur appui au moment précis de ces évènements.

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