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4.1. Une première définition du conflit et sa montée en généralité : l’histoire locale d’un

4.1.3. L’opposition au festival face à la montée en généralité du conflit L’histoire d’une

4.1.3.1. La municipalité comme catalyseur de l’opposition

De même que le festival et ses prises de position sont, dans le discours des villageois, réduits à la seule personne de Bernard – si bien que celui-ci en devient, plus que le porte-parole, la figure essentielle même –, de même l’opposition au festival y est cristallisée en un objet chargé de concentrer ses revendications. Cette figure, c’est la municipalité d’Uzeste.

Une mairie est par définition même un objet typique du monde civique. Fruit de la volonté collective exprimée au travers du suffrage, elle est, du fait du système municipal des listes électorales français, représentative de la diversité locale. Or à Uzeste, la mairie en place au cours de notre enquête et, partant, au moment des évènements du logement, se constitue de membres d’une unique liste qui s’était présentée aux dernières élections de l’année 2008, et jouit par là d’une cohérence parfaite dans ses délibérations. Des quelques membres du Conseil municipal qui ont pu être rencontrés, tous ont en effet décrit une municipalité cohérente et unie dans ses décisions. Une mairie, donc, comme figure civique. Mais une mairie qui aussi, en un champ tel que nous avons pu le décrire, procède de grandeurs domestiques. On se souvient au chapitre 2 de cet élu qui disait de l’espace rural que celui qui y est désigné pour représenter ses concitoyens devait bien plus son mandat à ce qu’il est comme personne qu’à ce qu’il porte comme projet. À Uzeste, il en est ainsi : la maire actuelle en est à son second mandat. Les deux fois où elle s’est présentée, l’intégralité de sa liste a fini par être élue, et l’on dit au village que tous ses membres se sont toujours retrouvés en un point : l’opposition au festival. Que cela soit vrai ou non, l’important est ici que cela soit vécu comme tel par certains : dès lors, inévitablement accrochée à cette

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étiquette usurpée ou véritable, la mairie se trouve prise dans le conflit. Qu’ils ne soient que quelques-uns de ses membres à s’opposer au festival ou qu’ils le soient tous, le résultat est en fait le même pour la situation : au « clan Lubat », on accuse la mairie dans son ensemble. S’il se voit interdire l’accès à des terrains communaux, le festival accusera la mairie de s’opposer à son projet, car ce sera le Conseil municipal en son entier qui aura refusé de donner son autorisation : si désaccord il y avait eu de la part de l’un de ses membres, il pouvait en effet démissionner. Et ainsi des acteurs pluriels se seront vu engager dans la dualité absolue du conflit.

4.1.3.2. Pour la légalité et le bien collectif. Le recours aux grandeurs civiques et industrielles pour légitimer une posture

Parce qu’elle est un objet civique par excellence, la municipalité invoque des grandeurs de ce registre pour justifier son action. C’est ainsi qu’elle légitimait l’injonction qu’elle faisait à sa locataire de quitter le logement communal en évoquant la nécessité – et la demande du personnel de l’école ainsi que de l’association des parents d’élèves d’y répondre favorablement – de mettre à disposition des enfants de l’école une salle polyvalente. Et lorsqu’il lui fut reproché non pas le fond de l’affaire mais plutôt la forme qu’elle lui fit adopter, et qu’ainsi on la blâmait de n’avoir donné de préavis à ses locataires que celui, légal, d’un mois, elle répondit en invoquant justement la légalité de l’acte, puisant alors son argument dans les registres de grandeurs à la fois civique et industriel (Boltanski & Thévenot, op. cit.). Ainsi quelqu’un, au Conseil municipal, nous racontait dans quelle mesure le geste de la mairie s’était bien inscrit dans un projet qui émanait de la volonté collective, et comment alors il avait été fait, pour reprendre l’adage populaire, en bonne et due forme : « “Pourquoi vous le gardez dans ce logement ? Qu’est-ce que vous attendez pour le mettre dehors ?”, ils [les villageois] nous disaient. ”Qu’est-ce que vous attendez !” Alors nous, on agit légalement. On prend le temps qu’il faut, mais on agit légalement. »

Tout comme la position qu’adoptaient le festival et ceux qui le soutiennent au cours des évènements du logement était révélatrice d’une posture permanente et, au demeurant, ordinaire de leur part, l’argumentaire invoqué par la municipalité participe d’une attitude qui lui est tout aussi structurelle ; et ce que les défenseurs du festival décrivent volontiers comme des « bâtons mis dans ses roues » (un villageois) est toujours présenté par la

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municipalité comme la stricte application de règlements juridiques. Ainsi, lorsque le festival se fait refuser des autorisations et accuse la mairie d’une mauvaise volonté manifeste, celle- ci répond qu’« il y a des autorisations qui doivent être demandées à la préfecture six mois avant. Quand on les demande trois semaines avant et que ça choque, qu’est-ce que vous voulez! » (un membre du Conseil municipal). De même, lorsque Bernard dit être dans l’interrogation permanente chère à l’être inspiré, on réagit en clamant : « oui mais nous, vous comprendrez bien qu’il faut agir, hein ! On ne peut pas rester dans l’interrogation permanente » (un autre membre). À l’effusion du monde inspiré s’oppose ainsi le pragmatisme du monde industriel, et de leurs critiques réciproques s’engage un cercle vicieux dans lequel soit on accuse l’autre d’immobilisme, soit on en dénonce l’agitation déraisonnée.

C’est dire que face à l’effort constant du festival de monter en généralité sa contestation et, par conséquent, le conflit qui émane de sa présence au cœur du village, son opposition ne peut que survivre dans les espaces où elle est portée à se justifier. Bien faiblement dotée, au contraire du festival, au sein du champ politique régional et national, et ne bénéficiant d’aucun relais au sein d’une presse qui, dit-elle, ne se fait le porte-parole que de la structure artistique, la mairie ne parvient à élever son argumentaire en généralité qu’à raison des grandeurs que nous évoquions à l’instant. C’est en puisant dans le registre juridique (répertoire hybride de grandeurs civiques et industrielles) qu’elle justifie des postures que d’aucuns décrivent comme réactionnaires et violentes, mais dont toutefois personne n’est en mesure de contester la qualité légale ; et ce n’est jamais le fond des actions qui est dénoncé, mais bien leur forme qui est décriée – pensons ici de nouveau au fait que personne n’avait contesté la légalité de la rupture du bail, mais qu’en revanche beaucoup s’étaient émus de la manière dont elle avait été exécutée. C’est bien enfin parce qu’elle est parvenue à survivre au sein des espaces de légitimation où l’avait mené le festival que son opposition a été en mesure, à son tour, d’engager la redéfinition du conflit en des termes qui lui étaient familiers.

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4.2. La redéfinition du conflit et son indexicalisation à la localité, ou

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