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4.1. Une première définition du conflit et sa montée en généralité : l’histoire locale d’un

4.1.2. L’artiste et l’opprobre, ou l’histoire locale d’un enjeu global

4.1.2.1. L’épreuve du logement : le dévoilement de grandeurs étrangères pour sortir

Ce qui allait devenir une affaire n’était à l’origine présenté que sous les traits d’un acte légal qui revêtait par là les formats de ce que nous avons pu présenter au-dessus comme étant une épreuve de réalité ordinaire. Si l’on confronte cette approche théorique avec celle, déjà employée à maintes reprises, des économies de la grandeur, on peut dire de cette épreuve qu’elle s’inscrivait dans un double registre : civique d’une part, par son caractère légal et sa prétention de participer au bien-être collectif, et industriel d’autre part,

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par le recours aux logiques régulières de sa légalité59. Si sa qualité industrielle n’a été critiquée par personne, chacun à Uzeste ayant en effet reconnu la légalité de l’acte ou, pour le dire autrement, chacun ayant donné son adhésion la définition de la situation comme légale, ce sont cependant ses prétentions civiques qui ont fait l’objet de la critique, laquelle est passée par le dévoilement d’individus et de grandeurs censés être étrangers au dispositif de la situation et, partant, du hiatus entre ce qu’elle était définie comme acte ordinaire de résiliation en bonne et due forme d’un simple bail, et ce qu’il en était vraiment.

On assurait à la mairie que Bernard n’était nullement visé par l’injonction : quand celui-ci affirmait dans la presse que la municipalité cherchait à l’expulser de son logement, cette dernière répondait le plus simplement du monde qu’il n’était pas le sien et que, dès lors, la question ne se posait pas de savoir s’il était visé ou non. Il n’était alors présenté, au sein du dispositif de l’épreuve, que sous les traits de ce que Boltanski et Thévenot nomment un « simple machin » (Boltanski & Thévenot, op. cit. : 268) : un être « plongé dans la contingence […] [et] dont la présence [était] purement circonstancielle » (Ibid.), qui n’avait dès lors aucune influence sur la situation ; car cela n’était que le fait de circonstances s’il se trouvait qu’il vécût dans ce logement. Si l’on suit les auteurs, c’est justement par la révélation de l’engagement dans la situation d’êtres et d’objets a priori circonstanciels que la critique de l’épreuve se fraie, et cette opération de dévoilement « consiste […] à aller puiser des machins dans les circonstances et à les arracher à la contingence » (Ibid.) : en en démontrant la nature étrangère au monde dans lequel l’épreuve prétend s’inscrire, « la situation s’en trouve dénaturée » (Ibid.). C’est ici par le dévoilement de la personne de Bernard, extraite de la contingence, que la critique de l’épreuve de réalité s’est opérée. Bernard, le premier, s’est saisi dans la situation, se révélant lui-même et s’extirpant de la circonstance pour peser sur l’épreuve. En signalant sa présence, il a dit en substance : Je suis là : moi, Bernard Lubat ; moi, le festival, et l’épreuve s’en est trouvée aussitôt entachée de grandeurs inspirées, étrangères au dispositif originel – ou prétendu comme tel. Il ne s’agissait plus d’une épreuve purement civique et légale comme elle prétendait l’être, encore moins de la demande officielle d’une municipalité – institution légale – à son

59 On peut en outre noter ici le compromis naturel qui se forme entre les grandeurs civiques et

industrielles au travers de la notion même de légalité qui agit en théorie pour le bien être de tous (grandeurs civiques [Ibid. : 231-241]) et se fonde sur des mécanismes réguliers, prévisibles et visant l’efficacité (grandeurs industrielles [Ibid. : 252-262]).

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institutrice retraitée de quitter le logement qu’elle occupait en la qualité qu’elle venait de perdre. Il s’agissait en fait d’une attaque directe contre Bernard, figure allégorique du festival que l’on cherchait à évincer du village.

Plus encore, en dévoilant sa présence dans le dispositif de l’épreuve, Bernard a dit : Je suis là, moi l’artiste. Non seulement il s’est dévoilé en tant que figure d’un festival localisé que l’on cherchait hic et nunc à expulser, mais il s’est révélé comme symbole de l’art en son ensemble. Il s’agissait dès lors de la cristallisation, dans cette histoire locale et presque anecdotique, d’un enjeu global, qui oppose des idéologies et des mondes a priori incompatibles et confronte les « campagnards haineux de l’art » (Bernard, cité dans Cottin, art. cit.) aux défenseurs de l’art et aux porteurs d’une critique sociale. Il s’est ainsi érigé en porte-parole de ces derniers, engageant la critique sur une situation générale qui venait de se fixer momentanément dans les évènements présents. Il transformait l’épreuve en épreuve existentielle, radicalisant par là même une posture critique qui ne portait plus alors sur un évènement local mais bien sur un enjeu général. En extirpant du flux de la vie sa propre expérience d’artiste sur qui l’on jetait l’opprobre, il dévoilait une réalité qu’il dénonçait dans le même temps, celle d’une société qui dénigre ses artistes. Il émancipait ainsi le conflit de son indexicalité et le faisait, par là, monter en généralité. Signe que le conflit s’était affranchi de sa localité, les soutiens que Bernard reçut alors : il dit en effet avoir alors bénéficié d’« un mouvement de solidarité national et régional formidable, mais communal pratiquement pas. Quand on a fait une occupation symbolique du lieu, ajoute-t-il, des gens du village, il en est venu une trentaine. »

4.1.2.2. Les moyens rhétoriques d’une montée en généralité du conflit. Pour

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