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2.3. Vivre à Uzeste Quotidien et sens pratique du champ local

2.3.2. De quelques traits d’une culture locale

2.3.3.2. Petitesse des lieux, querelles et animosités

Mais la petitesse des espaces et la proximité des relations ont aussi leurs écueils, qui leur sont propres. Quand, comme à Uzeste, tout le monde se connaît et les êtres sont si fortement rattachés aux actes de leurs ascendants, il est aussi bon de jouir de la réputation d’un nom que difficile de s’en détacher lorsque pèse sur lui des rancœurs ancestrales. Même si pour lui ce n’est pas nécessairement au centre de tout jugement des actions des habitants du village, il y a pour Frédéric quelques antinomies, comme des clans qui s’opposent. « D’une façon certaine, dit-il, il y a de vieilles rancunes », et dans un espace où la continuité et le passé sont des référents maîtres, il est parfois difficile de les dépasser. Aussi, tout village a son histoire politique. À Uzeste, il y a toujours eu « les culs blancs et les culs

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rouges. Voilà. C’est des personnes qui ne se mélangeront pas […] avec d’autres personnes […] Ça a toujours existé, et ça existera toujours » (Danièle). Ce n’est par exemple un secret pour personne que le bar du village est « cul rouge », et que par conséquent certaines personnes n’y mettront jamais les pieds. Ici, c’est la politique – et donc ce qui tient a priori de la grandeur civique (Boltanski & Thévenot, op. cit.) – qui se réduit au domestique : un conflit supposé idéologique n’est en fait plus qu’un conflit personnel, et encore ; le conflit n’est plus absolument présent, puisqu’il semble y avoir évitement permanent entre les protagonistes. Paul résume, non sans humour, la situation telle qu’il la perçoit. Selon lui, les fâcheries ne tiennent parfois à rien d’autre que cela :

Vous avez déplacé la clôture de 50 centimètres, donc, vous avez porté tort à machin qui a pas pu faire le passage pour faire passer sa charrette. Et c’est comme ça, et c’est des conneries comme ça, excusez le terme, mais c’est ça. C’est des trucs comme ça qui, alors, ça s’envenime, ça s’envenime, après, ça passe aux enfants et aux petits-enfants […] On sait même plus pourquoi, à la fin… Je vous dis, Astérix, c’est tout à fait ça. On sait même plus pourquoi à la fin on se parle pas, mais on se parle pas.

On sait, encore, qu’en un monde dominé par les grandeurs domestiques, les murs ont des oreilles ; et ainsi dans la petitesse des lieux pèse toujours la menace, lorsque l’on parle de quelqu’un, d’être entendu par l’un de ses proches. On garde alors en mémoire les méchancetés dites dans le dos et pourtant révélées, de même que l’on attribue à des rapporteurs malicieux des querelles personnelles. Ainsi en est-il de ce villageois qui, cherchant une raison au différend qu’il avait pu avoir avec l’un de ses voisins, imaginait que l’un de ses propos avait pu être « mal rapporté, parce que ça, ça existe aussi… Les langues de… Hum ! voilà ! ».

Conclusion : une structure du champ circonstancielle

Nous terminerons ce chapitre en rappelant une propriété fondamentale du champ social tel que défini par Bourdieu : il n’est jamais un objet inerte et immuable. Traversé de

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tensions, il voit ses agents lutter en son sein, sans que cela soit nécessairement conscient, en vue d’en occuper les places dominantes, pour en modifier la structure, les hiérarchies, les enjeux et leurs orientations. C’est pourquoi l’image qui vient d’être présentée du champ local doit être considérée comme un instantané ; un cliché de sa configuration saisie dans un certain état qui n’a rien de nécessaire et d’absolu, et qui a pour vocation inéluctable d’être transformé en même temps que les forces qui s’y opposent se renouvelleront.

Les enjeux, les cadres cognitifs et les référents normatifs décrits sont ainsi ceux du champ considéré au moment précis de l’enquête. Or, ce dernier paraît bien être en crise, en ce qu’un conflit semble le traverser, et ce, dit-on, depuis de nombreuses années. Ce conflit, né de la présence d’un festival en ses territoires, est le signe exemplaire des luttes qui se jouent dans ses enceintes. Tout semble en effet se passer comme si la référence au passé s’essoufflait en raison des transformations de ses structures objectives, notamment de la disparition progressive des anciens, et que certains de ses membres cherchaient ainsi à lui inventer une modernité. Le festival Uzeste Musical s’est alors posé en figure de proue de cette contestation, dont il porte les revendications selon des modalités propres au champ dans lequel il s’inscrit par nécessité, le champ de l’art, et en empruntant des modes d’action et des ressources du champ politique. Ainsi pour comprendre le conflit à Uzeste, il convient de connaître le festival. C’est à sa présentation que le prochain chapitre est dédié.

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CHAPITRE 3

UN FESTIVAL (DE JAZZ) EN MONDE RURAL : ENTRE RICHESSE ET

CONTROVERSE

Il y a Uzeste, et il y a son festival. Si certains auront découvert le village lors d’une randonnée ou par une visite de sa collégiale, nombreux sont ceux qui l’auront connu pour et par son festival qui, depuis 1978, en anime le bourg. Profondément ancré dans la localité qui l’accueille, il représente pour Uzeste et son canton un atout indéniable : au-delà de l’aspect économique (nous le verrons, le festival est une chance pour les commerces du village), il insuffle une énergie considérable à un territoire dans lequel il semble s’inscrire parfaitement, par sa forme et les modalités de son organisation. Pour autant, Uzeste Musical42 ne fait pas l’unanimité au sein de la commune, et autour de lui s’est formée une controverse que l’on dit à Uzeste être aussi ancienne que le festival lui-même, si vive qu’elle tend à faire oublier chez de nombreux villageois la richesse qu’il représente pour leur localité, et si virulente qu’elle revêt désormais les contours d’un véritable conflit au sein du village dont il déchire la communauté.

Ainsi, qu’en est-il de ce festival ? En quoi serait-il une ressource pour le village au sein duquel il se joue ? Pourquoi, en dépit de ce qui le caractérise de prime abord, serait-il aussi problématique à Uzeste, au point qu’il fût apparemment la cause d’un conflit désormais irradié à l’ensemble du village et, partant, de l’embrasement du champ que celui- ci représente ? C’est à ces différentes questions que ce troisième chapitre entend répondre, procédant pour ce faire en deux moments. Après en avoir brièvement présenté les caractéristiques essentielles et l’avoir considéré sous son jour positif, c'est-à-dire comme ressource pour le territoire qui l’accueille, c’est sous sa forme problématique qu’il sera analysé, entendu alors comme objet de controverse et raison du conflit.

42 La structure artistique du festival d’Uzeste se constitue de l’association Uzeste Musical, visage

village des arts à l’œuvre et de la Compagnie Lubat de Gasconha. Les deux regroupent les mêmes personnes et s’inscrivent dans le même projet.

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3.1. Uzeste Musical, un festival qui s’inscrit dans l’espace local.

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