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Relations verticales inter-firmes

Partie III. Simplification de la diversité : Architecture modulaire

2. La modularité de produits et la modularité organisationnelle

2.2.1. Relations verticales inter-firmes

La modularisation de l’organisation d’un donneur d’ordres entendue comme la segmentation ou le morcèlement de ses processus en activités relativement indépendantes permet comme la Taylorisation en son temps, une désintégration possible de ses processus (Catel et Monateri 2007). Dans beaucoup de secteurs à l’instar de l’automobile, l’externalisation de la production n’est pas un sujet nouveau (80% des références assemblées pour fabriquer un véhicule sont

achetées). L’architecture modulaire des produits conduisant à la modularisation des organisations permet de franchir une nouvelle étape dans le transfert d’activités entre donneurs d’ordres et sous-traitants. En effet, l’architecture modulaire offre la possibilité de réduire le nombre de fournisseurs et de composants achetés et donc la longueur des lignes de production et le temps de production (Frigant 2007 et 2013, Catel et Monateri 2007)12. Les composants

sont alors des sous-systèmes résultant d’un assemblage et non plus des composants élémentaires, ils sont donc de plus en plus complexes (Frigant 2007, MacDuffie et Helper, 2006). Ces transferts d’activités conduisent alors potentiellement à un déplacement de la firme pivot dans la chaîne logistique (Camuffo 2000, Mikkola 2003, Ciravegna et al. 2013, Lau et al. 2010, MacDuffie et Helper 2006, Hoetker et al. 2007, Catel et Monateri 2007, Frigant 2007). L’externalisation ne concerne pas seulement les processus de production mais aussi les processus de conception. Le découpage des produits en modules avec des interfaces clairement définies facilite la conception en parallèle de chaque système. Les auteurs observent qu’à maturité, il y a progressivement un transfert des métiers de développement aux fournisseurs historiquement seulement fabricants de ces sous-systèmes. Certains grands groupes de l’industrie automobile ont initié cette démarche (Baldwin et Clark 1997, Dahmus et al 2001, Frigant 2007, Pandremenos et al. 2009) mais avant eux, d’autres secteurs l’avaient fait comme celui du vélo (Galvin et Morkel 2001) ou de l’informatique (Baldwin et Clark 1997, Sako et Murray 1999).

Bien que la modularisation des processus d’une firme rend possible et plus facile l’externalisation de ces activités, la modularité organisationnelle ne peut pas être définie comme une cause de la désintégration des entreprises. Comme le soulignent Catel et Monateri (2007), la modularité organisationnelle doit plutôt être vue comme un moyen permettant une externalisation d’activités. Les causes de cette désintégration verticale des processus est alors davantage la conséquence à la fois d’une pression toujours plus forte sur la rentabilité des

12 D’après une étude faite par Catel et Monateri (2007) de différents travaux que nous n’avons pas pu

récupérer (Chung 2002, Fredriksson 2006) il semble que Volvo assemblait 23 modules sur la ligne d’assemblage final pour obtenir un véhicule, que 17 de ces modules étaient fabriqués sur des lignes déportées dans l’usine alors que le reste est acheté. Hyundai semble avoir décomposé un véhicule en 12 modules (cockpit, portières, package arrière, suspension avant, suspension arrière, réservoir, système de refroidissement, pare-chocs arrière, pare-chocs avant, pot d’échappement, pédalier, toiture), lui permettant de réduire de 50% la taille de la ligne d’assemblage final et de 30% le temps d’assemblage.

entreprises et d’une exigence très haute des marchés tant en termes de diversité de produits que de renouvellement des gammes ou que de délai de livraison (Frigant 2007, Campagnolo et Camuffo, 2010). Pour les firmes DOs qui deviennent architectes, l’externalisation des activités permet de réduire leur exposition au risque en réduisant les investissements (tant en R&D qu’en moyens de production) et la modularité permet justement de réduire les coûts de recours au marché (Frigant, 2007).

La modularisation des organisations inter-firmes conduit à une complexification des sous- systèmes fabriqués par un sous-traitant. Les sous-traitants acceptent volontiers ce type de transferts puisqu’il leur donne une formidable opportunité de création de valeurs (Catel et Monateri 2007, Sako et Murray 1999). Cette création de valeur s’associe à une pression sur les coûts d’achats de la part des donneurs d’ordres et qui conduit les sous-traitants à standardiser les composants constituant les modules. Les sous-traitants cherchent donc à réduire la diversité de composants que Chen et Liu (2005) appellent diversité « interne » et que Baldwin et Clark (2000) appellent diversité « invisible » (au sens non défini par l’architecte, le DO). Mais la prise en charge de systèmes plus complexes par un ST induit le besoin de nouvelles compétences (Catel et Monateri, 2007) que ça soit :

- Pour produire ces modules :

o Fabriquant des modules plus complexes, il va sans doute devoir maîtriser de nouvelles techniques, acquérir de nouvelles machines.

o La complexification des systèmes qu’il produit conduit à des problématiques de gestion nouvelles (systèmes d’information, nomenclatures des produits, gestion de la production, etc.). En effet, la complexification des modules à produire implique une diversification de sa production. Prenons le cas simple d’une usine qui produisait 3 composants élémentaires ayant chacun 3 variantes, l’usine produisait donc 9 références différentes ; si ces composants sont indépendants mais obligatoires, l’usine produit alors maintenant un seul module avec 27 (=3x3x3) variantes.

o Le sous-traitant doit généralement acheter de nouveaux composants dont il n’a a priori pas une très bonne connaissance, il faut donc qu’il développe aussi de nouvelles compétences au niveau de sa Direction des Achats.

- Pour concevoir ces modules :

o Il devra développer des connaissances supplémentaires d’Ingénierie en conception mais aussi en intégration, en architecture et en validation.

o Il devra développer des compétences en gestion de projet car la complexité des produits conduira aussi à des temps de développement plus longs et à des diversités de produits plus importantes. De plus, l’intégration des modules avec les systèmes des clients demandera de nombreux échanges.

L’acquisition de ces connaissances peut alors prendre la forme soit de transferts entre DO et ST, soit d’embauches. Aussi ce transfert d’activité de conception semble conduire les donneurs d’ordres à intégrer plus tôt dans les phases de conception les sous-traitants (Catel et Monateri, 2007). Au niveau de la production, cela accentue l’interdépendance (financière, organisationnelle, géographique, etc.) des constructeurs et de leurs sous-traitants. Sako et Murray (1999) notent aussi que ce mode d’approvisionnement anticipe la création de valeur dans la chaîne logistique. Cela impose donc une proximité géographique des sous-traitants pour éviter de trop importants besoins de trésorerie. C’est d’ailleurs ce qui semble avoir été mis en place par Daimler dans l’usine d’Hambach en charge de la production de la Smart ForTwo. Les fournisseurs ont des lignes d’assemblage sur le site et produisent en synchrone avec la ligne d’assemblage final (cf. Figure 29).

Figure 29 : Organisation synchrone à l’usine Daimler d’Hambach

Certaines entreprises ont aussi développé des relations plus étroites avec leurs fournisseurs en phase de production. Le cas de l’usine Volkswagen de Resende (Brésil), produisant des camions et des bus, semble en rester l’exemple le plus marquant. En effet, en 1996 Volkswagen (VW) inaugura une usine d’un genre nouveau basée sur un Consortium de fournisseurs. Cette nouvelle organisation, première mondiale à l’époque, fut source de nombreuses études (Abreu

Poussant jusqu’au bout d’une logique de JAT (Juste à Temps) et basée sur une architecture modulaire de produits, la philosophie de cette usine était de laisser les sous-traitants responsables de la production des modules mais aussi de leur montage sur la ligne d’assemblage final. VW était alors seulement responsable du bâtiment, de la chaîne de convoyage des véhicules et du contrôle qualité final. Les fournisseurs au nombre de six, sont alors responsables de la fabrication des modules, au nombre de dix (Collins et al. 1997). Cela inclut alors aussi la gestion des fournisseurs de composants, l’approvisionnement de ces composants ou modules, qui peuvent être assemblés sur un autre site du fournisseur. Cette organisation ne réussit pas à tenir dans le temps notamment à cause de problème de qualité et des difficultés à faire améliorer le processus de montage qui était partagé.

Riche de cette expérience, Volkswagen développa alors le concept de condominium largement repris par les constructeurs les plus avancés en modularité et JAT dans le secteur automobile aujourd’hui comme Hyundai, Mazda, Volvo, Smart, etc. Cette organisation permet à VW de reprendre la main sur tout le processus d’assemblage mais les fournisseurs produisent de façon synchrone et dans l’enceinte du site la vingtaine de modules utilisés par VW. La proximité avec le fournisseur en production permet alors de minimiser les stocks, de minimiser les investissements car on approvisionne directement des modules complexes et de réduire le nombre de fournisseurs à gérer et donc la complexité des échanges informationnels.

Comme le montrent Galvin et Morkel (2001) dans l’industrie du vélo ou Catel et Monateri (2007) dans l’industrie des tracteurs, le rapport de force entre donneur d’ordres et sous-traitant évolue avec la modularité. Les relations traditionnellement asymétriques deviennent de plus en plus partenariales. À l’extrême, l’externalisation de systèmes complexes permise par la modularité peut rendre les fournisseurs plus puissants que les architectes (Galvin et Morkel, 2001).