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Attentes et définition de la modularité de Renault

Partie III. Simplification de la diversité : Architecture modulaire

Chapitre 7. La modularité de Renault

2. Attentes et définition de la modularité de Renault

Les attentes de la « Conception Modulaire »

La conception modulaire à deux buts majeurs.

- Réduire le coût total de mise à disposition sur le marché d’une famille de véhicules. La modularité n’étant pas définie par famille, cet objectif est transposé au niveau des modules en cherchant à réduire le coût total associé à chaque module. Ce coût appelé TDC pour Total Delivered Cost inclut une quote-part d’investissements de conception

et de production (en interne ou chez le fournisseur), les coûts d’achat, les coûts de transformation, les coûts logistiques (qu’ils soient fixes comme les emballages ou variables comme le transport) et les coûts de maintenance et de garantie.

- Réduire les temps de conception des véhicules (en anglais time to market). Comme nous l’avons noté au chapitre précédent, réduire le temps de développement est un enjeu important dans la compétitivité des entreprises de ce secteur. Le temps de développement d’une famille de produit est encore long (de l’ordre de trois ans) mais ce temps ne cesse de diminuer. Par la Conception Modulaire, Renault vise à mettre à disposition des futures familles de produits un nombre important de composants déjà conçus pour de précédentes générations. Cette commonalité de composants dans le temps que nous qualifions de commonalité temporelle (en anglais carry over) entre familles de produits permet de réduire les temps de développement en augmentant le taux de réutilisation.

La réduction de la diversité de composants est alors au cœur de la stratégie, comme le moyen d’atteindre ce double objectif. En pratique, ce moyen est souvent considéré à tort comme l’objectif de la Conception Modulaire. Cela est sans doute renforcé par les deux indicateurs choisis pour juger de la performance de la démarche en cours.

- La diversité de composants mesurée comme le nombre total de Pièces. Comme nous l’avons vu dans la Partie II Chapitre 4 §2.2, le terme Pièce a un sens explicite dans la

Documentation Technique (les nomenclatures) de Renault. Pour rappel, les Pièces sont

tous les composants résultants d’un assemblage ou non. Comme nous l’avons vu, en fonction du point de vue et de la Direction, le type de nomenclature et la maille de la

Pièce ne sont pas nécessairement les mêmes. La modularité Renault étant définie en

conception, c’est la nomenclature de conception qui est utilisée ici.

- La part (pourcentage) du TDC d’un véhicule pris en charge par des modules. Cet indicateur permet de s’assurer que la vision transversale que cherche à créer la Conception Modulaire s’impose à toutes les familles et à tout le périmètre fonctionnel d’une voiture.

Pour Renault, faciliter la réduction de la diversité de composants dans une entreprise qui continue à augmenter sa diversité offerte aux clients, conduit en réalité à améliorer au fil des générations de produits la réutilisabilité des composants. De fait, la diversité de composants ne diminue pas nécessairement mais au niveau global de l’entreprise, le ratio de la diversité offerte,

c’est-à-dire de produits fabricables sur la diversité technique, c’est-à-dire de composants nécessaires doit s’améliorer (c’est-à-dire croître).

Définition d’un module pour Renault

Chez Renault un module se définit comme « un sachet de Pièces » répondant à une ou plusieurs fonctions. Ces Pièces sont conceptuellement des composants alternatifs qui peuvent appartenir à différents ensembles de CAs. La diversité de prestations et de solutions techniques est représentée par des variantes. À chaque variante est donc associée un CA par ECA. Ce sachet de Pièces doit permettre de répondre à toute la diversité de prestations de la gamme à l’exception de quelques très rares variantes (comme les Renault Sport et Alpine). Le portefeuille de besoins que doit couvrir le module est défini par l’ensemble des véhicules en cours de production et des véhicules qui le seront dans les cinq prochaines années. Ce portefeuille de produits entraîne des visions dynamiques de la diversité. En effet la démarche modulaire ne peut pas en général changer les choix réalisés sur les modèles actuellement en cours de production. L’étude de l’efficacité des décisions prises se fait donc par la comparaison entre l’état de la diversité à aujourd’hui et son état prévu dans cinq ans. Comme nous l’avons déjà souligné au §2.1, l’indicateur retenu par le Groupe est un ratio entre la diversité commerciale de produits offerts et la diversité de composants nécessaires pour y répondre. Précisons que ce délai de cinq ans est très long13, il permet d’englober tous les projets de futurs modèles en cours

de réflexion même très peu avancés. La conception modulaire cherche donc à définir des standards stables dans le temps. Elle vise en conception à développer des variantes qui seront réutilisables telle quelle dans de futures familles.

Tous les systèmes informatiques étant fondamentalement basés sur un découpage par véhicule, afin d’aider les ingénieurs dans la mise en place de la démarche, un outil a été développé. Il permet de générer des matrices à deux dimensions.

- L’axe des utilisations qui fait l’objet d’une déclinaison arborescente en « variantes

d’usage ». Le nombre et le type de niveaux de décomposition différents d’un module à

l’autre. On y retrouve les diversités commerciales (les PAs) et les diversités technologiques (architectures). Par exemple, on peut y retrouver des choix d’interfaces (ex : motorisation avant ou arrière pour le refroidissement moteur…), ou des choix de

13 A titre de comparaison, la vision stratégique usuelle en automobile est de trois ans, ce qui

définition fonctionnelle (ex : radio/navigation ou radio seule, etc.), ou encore des choix d’implantation (ex : levier de vitesse dans le tableau de bord ou dans l’ilot central). - L’axe des composants qui établit la liste des « variantes Pièces ». En pratique, cette liste

est représentée sous forme arborescente sans pour autant être une nomenclature. Cette arborescence ne présente généralement pas de liaison composant-composé mais plutôt des liaisons d’héritage (au sens des diagrammes de classes UML) de type is-a. Cette arborescence permet de tenir compte d’investissements (R&D, industriel ou autre) partagés entre plusieurs composants. Par exemple, deux radiateurs différents par leur taille peuvent être issus de la même maquette numérique (qui est donc paramétrique) et/ou peuvent nécessiter les mêmes filières pour produire les ailettes qui les composent et le même four pour les braser… (seule la mise à la longueur par coupe est différente). Ces deux radiateurs partagent donc des investissements, ils ont donc un nœud commun dans l’arborescence des Pièces pour les représenter. Ces composants peuvent être déjà disponibles (c’est le cas de ceux utilisés par des véhicules déjà en production) ou en cours de conception.

Ces deux axes dessinent une matrice à deux dimensions qui permet au niveau le plus fin d’associer à chaque variante d’usage une variante Pièce (un CA). La force de la démarche est d’avoir placé ces deux axes orthogonalement alors qu’avant, l’axe des composants prolongeait l’axe des utilisations dans un découpage par famille. Cela permet une vision transversale des besoins permettant à la fois de comparer les besoins entre eux et d’offrir une lecture qui met en relief les partages de Pièces entres les variantes d’utilisation.

La notion de sachet ne préjuge pas non plus de l’existence de cet assemblé sur la chaîne de production et donc dans la DocT de Production (i.e. la nomenclature de production). Le module refroidissement est par exemple un composant fantôme au sens de Lamouri et Thomas (2000) dans les usines de carrosserie montage.

L’absence de réflexion d’architecture en amont des solutions techniques empêche la simplification de la diversité par la standardisation des interfaces. Il en résulte que chaque module est encore très contraint par les autres modules. L’absence de standardisation des interfaces ne permet pas de gain de temps possible par le travail en parallèle des équipes module. Finalement, la construction du module répond à des décalages dans les visions des différentes Directions de l’entreprise. Par exemple, les ingénieurs de R&D parlent de PG (Pièces

à une non-homogénéité des découpages entre famille pour une même Direction. Par exemple, chez Renault il existe de l’ordre de 46 000 PGs alors qu’une famille n’en utilise que quelques milliers. La définition de modules vus comme des regroupements de Pièces répond donc à un besoin de définition d’un cadre commun à toutes les Directions du Groupe et à toutes les familles pour découper la diversité fonctionnelle et technique.

La modularité définie ainsi ne permettra pas de développer une modularité de Production car elle ne permet pas de changer la façon de penser la production. Ceci nous semble regrettable au vu du gisement de performance que constitue cette forme de modularité de produits largement décrite au chapitre précédent et déjà mis en place par bon nombre de concurrents aujourd’hui. Il n’en est pas moins que la diversité des Pièces à concevoir devrait diminuer et avec elle, les investissements de conception.

L’absence d’architecture modulaire

Chez Renault, la définition des modules n’est pas fondée sur une réflexion sur la définition d’une architecture modulaire. Il n’est pas question de découpage fonctionnel ou de standardisation des interfaces pour définir les modules. Les modules étant définis comme des sachets de Pièces, les ingénieurs de la Direction R&D décident directement la constitution des modules au niveau des composants.

En fait, la détermination des Pièces qui constitueront ce sachet se fait par les ingénieurs de conception selon leur périmètre d’expertise. De manière classique, les métiers de la conception sont découpés par groupe fonctionnel du produit (il y en a une cinquantaine chez Renault). Indépendamment de la modularité, une équipe en charge d’un groupe fonctionnel conçoit un certain nombre de composants et cela pour l’ensemble des projets de famille de véhicules du Groupe. Chaque équipe propose donc des modules à l’intérieur de son périmètre. Nous développerons en détail les limites de cette approche au §3.2.

Aussi, la notion de sachet ne préjuge en rien de la maille de définition des modules. Une variante de module pouvant être ou non le résultat d’un assemblage de Pièces. Par exemple, le module

refroidissement est un assemblage de cinq ou six Pièces (radiateur(s), condenseur, refroidisseur

d’air de suralimentation, Groupe Moto Ventilateur, guide d’air), tandis que le module plafonnier n’a qu’une seule Pièce par variante. Un module peut donc regrouper une ou plusieurs fonction(s) et la maille de définition des modules est potentiellement différente pour chaque module.

Si on poursuit l’exemple du module refroidissement, ce module est dans le groupe fonctionnel

refroidissement moteur. En fait, dans ce périmètre ont été définis deux modules, le refroidissement et le circuit de refroidissement (circuits, pompe, vannes et réservoir). Ce

découpage résulte d’un choix par l’équipe en charge du groupe fonctionnel, il aurait très bien pu définir un seul module constitué de tous les composants ou autant de modules que de composants. De même le condenseur étant un des éléments de la fonction climatisation, il aurait pu être rattaché au groupe fonctionnel thermique habitacle, si tel avait été le cas, le condenseur ne serait pas dans le module refroidissement. Cela montre bien encore l’influence de l’organisation sur le périmètre des modules.

Enfin, la façon de constituer les sachets de Pièces permet ni d’atteindre l’indépendance des modules ni la possibilité de tester de façon indépendante chaque module (utile pour la qualité, cf. chapitre précédent). En effet, il est impossible de tester la performance du module

refroidissement sans le module circuit de refroidissement. Cela traduit en fait qu’un module

n’est pas seulement défini par une seule fonction technique et qu’une fonction n’est pas nécessairement satisfaite par un seul module. En effet, le module refroidissement répond partiellement à plusieurs fonctions. Comme nous l’avons vu, bien qu’ils constituent les éléments principaux des circuits de refroidissement, le module refroidissement ne répond pas entièrement à une fonction refroidissement moteur. Aussi, le refroidisseur d’air de suralimentation est l’un des éléments répondant à la fonction suralimentation (comme le Turbo) et le condenseur de climatisation à la fonction thermique habitacle.

In fine, il semble que pour Renault les modules soient définis d’avantage en fonction d’un

couple technologie/fournisseur. En effet, les radiateurs et autres condenseurs sont tous des échangeurs air-air ou air-eau (cf. détail Partie IV Chapitre 11 §1.1) et ils sont tous schématiquement constitués de tuyaux et d’ailettes. Les technologies étant très voisines, les fournisseurs de radiateurs sont généralement, à l’instar de Valeo Thermal System, des fournisseurs de condenseurs et de refroidisseurs d’air de suralimentation. Nous comprenons donc que le découpage d’un module ne répond pas « simplement » à un découpage fonctionnel d’architecture.