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CHAPITRE 3 : INFLUENCE DES EMOTIONS SUR LE TRAVAIL

3.4 Diverses relations

L’état émotionnel dans lequel nous pouvons nous trouver influence également les diverses relations présentes dans notre métier. Autant notre relation à nous-mêmes : intrapersonnelle, qu’avec les autres partenaires et acteurs de l’école : interpersonnelles.

Relations intrapersonnelles

Les relations intrapersonnelles concernent tout ce qui se rapporte à nous-mêmes.

Cette relation peut être affectée à différents niveaux selon notre ressenti. Elle est très proche de l’« estime de soi » et du « rapport à soi ». Durant notre formation, nous avons suivi le cours « La motivation d’apprendre en contextes d’enseignement spécialisé » de Greta Pelgrims, dans lequel, elle explicite l’estime de soi. Elle le met en lien avec le concept de soi et définit ce dernier à travers une référence à Richard E. Snow :

« C’est un construit multidimensionnel, composé d’un système différencié et dynamique de perceptions de soi, chaque perception ayant une valeur spécifique. Le concept de soi implique la connaissance de soi et l’évaluation de la valeur de ses caractéristiques, de sa personne, de ses capacités, de ses actions, de ses résultats dans différents domaines d’activités ».

Nous entendons par « rapport à soi » tous les rapports que nous tissons avec nous-mêmes. Cela englobe donc le regard que nous nous portons, la relation que nous entretenons avec notre corps et puis, les concepts qui nous intéressent pour ce mémoire la confiance en soi et l’estime de soi.

Premièrement, plusieurs enseignants partent du principe qu’au-delà d’une certaine limite (propre à chacun), un enseignant doit savoir dire stop et se mettre en congé en faisant appel à un remplaçant :

« Je me dis bon, t’as eu un décès dans ta famille et à mon avis t’as déjà rien à faire dans une classe. Alors moi, je vois plus le côté ou tu t’absentes, tu prends le temps qu’il te faut pour t’en remettre. Et quand tu reviens alors là, c’est clair que tu expliques aux enfants pourquoi tu étais absent, ce qui s’est passé. » (Valérie)

« Bin alors tu les prends. Tu te mets en congé maladie mais, tu ne reviens pas à moitié rétabli, et puis en train de pleurer à moitié dans ta classe. » (Valérie)

« Ça… ça dépend vraiment beaucoup de l’enseignant quoi, parce que moi, je crois que si je suis mal au point de… d’arriver…de pleurer en classe ou quoi, je viens pas à l’école » (Eric)

« Là j’ai dit stop je m’arrête Je suis contente parce que j’ai senti le truc il y a quelques années j’aurais pas senti j’aurais foncé droit dans le mur.» (Liu)

« […] je suis sortie de la classe en début d’année. Et, au bout de la première semaine je suis arrivée et pis j’ai regardé la classe et pis j’ai dit “que je pouvais plus faire ce métier” et je suis sortie de la classe c’est un métier de fou j’étais dans le préau et j’ai dit “c’est un métier de fou”. Pis voilà, trop d’émotions négatives c’est ça. On a trop donné. On en peut plus. Pis trop d’émotions dans l’épuisement…l’épuisement nerveux la coupe était pleine. » (Stéphanie)

Nous sommes ici dans une des situations que nous avons proposée lors des entretiens concernant un enseignant face à un décès. Les enseignants sont tous d’avis que les trois jours accordés pour enterrer un parent sont souvent insuffisants. Dans le but de ne pas revenir dans un état émotionnel empêchant toute transmission de savoirs, la plupart propose de se mettre en congé. Pour cela, nous estimons qu’un enseignant fait preuve d’une bonne connaissance de lui-même afin de pouvoir définir exactement où sont ses limites. Ces propos nous permettent d’établir un parallèle avec la définition du concept de soi selon Snow qui met en

évidence l’importance de la connaissance de soi, afin de déterminer nos capacités selon les domaines abordés. Ces capacités peuvent être associées à nos limites. Dans notre réflexion, nous ne distinguons pas les termes « concept de soi » et « connaissance de soi ».

Deuxièmement, nous avons constaté que les enseignants parlent souvent de leur expérience. Comme vu précédemment, l’expérience nous permet une certaine évolution. De plus, grâce à toutes nos situations vécues, bonnes ou mauvaises, nous apprenons à nous connaître de manière plus ponctuelle : Comment réagissons-nous dans telle situation ? Où devons-nous précisément arrêter ? L’expérience finit donc par nous rassurer et elle nous permet d’être plus attentifs aux élèves. Cette expérience nous permet de mieux nous connaître et nous donne la possibilité d’œuvrer afin de définir où se trouvent nos limites.

Une fois qu’elles sont connues, un enseignant est en mesure de les utiliser à bon escient dans sa classe. En effet, étant plus sûr de soi, il est plus évident de mettre ses états émotionnels momentanément de côté pour se centrer sur son travail. Pour cela, les enseignants parlent de

« prendre sur soi » :

« Enfin en tout cas moi, j’y arrive. J’ai autre chose à faire. Ils sont là et pis il faut bien qu’on fasse avancer la leçon. Et pis, bon ma foi, ils ont aussi leurs problèmes à la maison, on essaye de les mettre de côté et pis enfin voilà… c’est…. j’arrive plus ou moins encore a... » (Laurène)

« Et pis voilà, on craque donc, moi voilà ça me… enfin je les trouve essentielles pour moi parce que ça me dit : fais attention ! Mais en même temps, il faut des fois, les mettre de côté, parce qu’on ne peut pas toujours les vivre pleinement.

Ouais, c’est un peu bizarre quoi. » (Laurène)

« Et c’est vrai ce sont des entretiens […] qui se sont bien déroulés, parce que tu prends sur toi. Tu te dis que moi, je me sens démunie quand je vois que je peux pas t’aider, quand je viens vers toi et que tu réponds nia nia nia.» (Liu)

« Le fait de me dire bah je me sens pas bien maintenant bah bon je me dis bah tant pis je me sens pas bien bah je prends sur moi et pis voilà c’est pas encore à ce point là. » (Liu)

« Je crois qu’il faut être quand même un petit peu blindé, surtout dans les quartiers comme ici, parce que sinon on se mettrait à pleurer toutes les trois minutes en entendant ce qui se passe. Donc, il faut prendre du recul par rapport à ça, et pis après se dire que l’enfant est dans une situation, enfin dans un cadre où justement il peut s’exprimer au mieux et pis de leur laisser cet espace donc... » (Eric)

Dans ces différents extraits, les intervenants nous confient la nécessité de « prendre sur soi ». Laurène met de côté ce qu’elle ressent grâce à son professionnalisme. Elle y parvient grâce à la présence des élèves qui la pousse à avancer dans les apprentissages. Eric rejoint cette idée en utilisant d’autres mots. Il définit cette capacité à prendre sur soi dans les

termes suivants : « faut être un petit peu blindé » ou « prendre du recul par rapport à ». Nous avons interprété ces deux extraits dans le même sens que Laurène. C’est-à-dire le fait

« d’être blindé » est en quelque sorte une conséquence au fait de « prendre sur soi », il en est de même pour la prise de recul. Nous pouvons déceler qu’Eric essaye de nous faire comprendre qu’un enseignant prend sur lui pour éviter de craquer ou d’être déborder face aux diverses situations qu’il peut rencontrer. Cette prise de recul n’est que le reflet d’une prise sur soi. Chez ces deux enseignants la prise sur soi consiste à ne pas dévoiler leurs éventuelles émotions en les mettant de côté. Même si Liu rejoint cette idée, elle se trouve en différer, car elle nous apporte une autre explication du concept « prendre sur soi ». En effet, elle nous dévoile sa mise à nu devant les parents. Avec les années, elle est parvenue à endosser une certaine prise de risques en se confiant aux familles lors des entretiens. Elle a donc pris sur elle afin de parvenir à livrer aux élèves les éventuels obstacles qu’elle rencontre face à leurs différents comportements ou difficultés. Elle partage ses doutes, ses inquiétudes lors des entretiens de parents grâce à une prise sur soi.

Troisièmement, un côté décrédibilisant apparaît dans les relations intrapersonnelles.

Même si cette dimension touche plus particulièrement les relations interpersonnelles, il nous semblait important d’aborder les répercussions qu’elle a dans les relations avec nous-mêmes.

Divulguer nos émotions peut nous décrédibiliser dans notre profession, ce qui joue un rôle dans notre rapport à soi. Cette donnée contribue à forger l’idée des enseignants interrogés qu’il est sans doute mieux de garder ses émotions pour soi. Nous essayons tous de dissimuler notre ressenti de peur d’être dénigré aux yeux des collègues, des parents, des élèves ou autres personnes touchant au domaine scolaire. Cette répercussion est en lien direct avec notre être et avec la relation que nous entretenons avec celui-ci. Il est important pour nous d’être bien avec nous-mêmes et la vision d’être discrédité ne ferait que nuire à l’image que nous nous faisons de nous ou que les autres portent sur nous.

En conclusion, nous tenions à faire intervenir l’aspect décrédibilisant, car il joue un rôle dans l’estime de soi. Il est parfois mieux de se taire pour éviter les éventuelles déceptions qui découlent du regard des autres. Cette décrédibilisation contribue à une perte de confiance évidente en nos capacités. L’estime de soi tel qu’il l’a été mentionné dans les extraits de notre cours de Pelgrims : « c’est l’évaluation qu’un individu fait de sa propre valeur c’est-à-dire son degré de satisfaction de lui-même » selon Susan Harter. Comme nous le fait remarquer Pelgrims, cela implique donc des sentiments d’acceptation de soi, de

respect de soi et d’amour propre. La perte de confiance est en lien directe avec l’estime que nous avons de nous-mêmes. C’est pourquoi, il est important de savoir prendre sur soi et d’avoir un excellent rapport à notre propre personne pour garder une bonne estime de soi dans n’importe quelle épreuve.

Relations interpersonnelles

Les relations interpersonnelles comprennent toutes les relations qu’un enseignant peut entretenir avec tout partenaire ou acteur de l’école. Les enseignants relèvent plusieurs exemples d’influences que les émotions peuvent avoir sur leur travail lors des rapports qu’ils entretiennent avec ces personnes. Les exemples observés portent sur le groupe classe, les élèves et les parents.

Lors de nos différents temps de travail, la relation avec le groupe classe est la plus présente :

« Erica : Et comment ça se répercute sur ton travail ? Dans quel domaine, dans quel… ? Dans la relation avec le groupe classe et avec l’individu, un seul élève. » (Sylvie)

« Je pense que les émotions c’est primordial. Et en plus avec des enfants on est obligé … on a un rapport d’argent c’est vrai avec le métier. Mais on peut pas se détacher de cette par d’émotions avec une classe. Même si professionnellement on nous dit souvent qu’on devrait garder de la distance etc. moi je dois dire qu’en plus en vivant dans le village et pis en voyant les élèves en dehors et pis en connaissant leur situation à certains il y a quelque chose qui se tisse encore qui n’est pas seulement du domaine enseignant élève ça va au-delà. » (Stéphanie)

« C’est pas ta classe, dans le sens que tu les connais pas, donc t’es pas forcément attachée aux élèves que tu remplaces par rapport aux élèves de stages. Je pense que c’est pas la même chose. Je pense que t’es plus attachée, de nouveau moi, à chaque fois que j’ai fini un stage c’était une déchirure et ça sera avec mes classes futures, ça c’est quelque chose que je sais. Donc voilà, tes élèves de stage, tu les connais et tu vas plus ou moins,…, t’apprends à évoluer avec et tu vas être plus touchée s’il leur arrive quelque chose ou si voilà. » (Natacha)

C’est lors de cet extrait que Sylvie nous a parlé de la problématique du favoritisme.

En effet, nos émotions interfèrent dans cette relation étroite qui se crée avec les élèves tout au long de l’année. Malgré cela, il s’agit de traiter tous les élèves de la même manière sans faire de favoritisme ce qui complique la gestion de la classe. Comme le souligne Philippe Jubin dans « Le chouchou ou l’élève préféré » :

« En bon professionnel, il aura sans doute à cœur de n’en rien laisser paraître et d’être disponible pour chacun, mais le sentiment éprouvé sera présent. » (1991, p.22)

Alors, comment passer outre ces affinités qui se révèlent plus ou moins fortes ? Stéphanie, quant à elle, nous fait part de sa nécessité à tisser des liens émotionnels avec ses élèves. Elle entre dans la construction directe d’une relation qui n’influencera pas sa gestion de classe, car elle ne développe pas cette relation qu’avec un seul élève mais avec la classe entière. Natacha rejoint cette idée en exposant les différentes relations possibles avec les élèves.

De plus, Valérie aborde la décrédibilisation face aux élèves lorsque elle dévoile une partie de ses émotions :

« J’ai une de mes collègues du secteur spécialisé qui a laissé un peu transparaître ses émotions puis justement le fait qu’elle doutait d’elle. Pour les élèves, c’était du pain béni. Donc du coup, ils ont vu la faille et maintenant, pour rattraper ça, c’est super difficile parce qu’ils ont vraiment vu qu’elle doutait d’elle, que voilà, elle était pas toujours très sûre, que… . Et du coup, elle a plus de crédibilité auprès de ses élèves. » (Valérie)

Comme le souligne Valérie, la décrédibilisation risque d’amener une perte de contrôle dans la relation interpersonnelle avec les élèves.

Ensuite, il y a la relation avec les parents. Nous sommes souvent confrontés à eux afin d’expliquer notre enseignement ou pour définir la situation de leurs enfants. Les parents sont directement liés aux élèves avec qui nous avons ces différents attraits. Cela va changer d’office la relation que nous entretenons avec eux. De plus, le fait de devoir expliquer notre enseignement, nous pousse à justifier sans cesse nos faits et gestes. Nous sommes souvent remis en question. Ces diverses situations provoquent parfois des différents avec les parents :

« Donc, à ces situations-là, on pourrait appliquer le dicton “la nuit porte conseil” quand on rencontre des parents qui nous font des reproches, ça arrive à tout le monde, je pense que c’est bien d’entendre, de réfléchir à ça et de pas répondre immédiatement du tac au tac. […] Sous le coup de l’émotion, on pourrait être tenté d’écrire des choses ou de dire des choses qui ne sont pas nécessairement appropriées ou pesées. Donc un peu de recul. » (Maurice)

« Je pense que j’aurais parce que ça m’est déjà arrivé puisque je suis quelqu’un d’assez franc donc en fait quand je rencontrais les parents je leur disais clairement comment je voyais leur enfant et pis je pense que j’allais même un peu plus loin genre comment je vois votre enfant il est en souffrance pas que je pense que c’est

vous qui le faites souffrir mais il est en souffrance il faut lui donner de l’aide qu’est-ce que vous allez faire ? J’étais carrément comme ça. Là maintenant je dirais que je suis toujours comme ça mais que maintenant je mets les formes » (Liu)

Maurice et Liu explicitent bien cette problématique. Tout enseignant est confronté à cette situation et doit y faire face de la manière la plus diplomatique. Nous devons apprendre dans cette relation à mettre les mots pour éviter d’éventuels débordements.

Pour finir, le besoin de parler des émotions avec les collègues ou autres partenaires est soulevé par certains enseignants. En effet, le fait de parler est lié à un besoin de partager avec toute autre personne ou encore de se décharger avec les autres adultes :

« Moi, je crois que j’ai besoin de pouvoir en parler après alors que ce soit avec un collègue ou avec euh de la famille, ou mon amie comme ça il n’y a pas tout qui pèse que sur nos épaules par rapport à des situations difficiles […]. » (Eric)

« […] est-ce que je le partage est-ce que je le dis ou pas après je pense que ça dépend aussi ça dépend du besoin : si j’en ressens pas le besoin euh bah je vais rien dire mais de toute façon ils viennent poser la question souvent : “Bah pourquoi t’étais pas là qu’est-ce qui a ?” » (Laurène)

Le but d’en parler avec d’autres adultes est de trouver des pistes d’actions lorsque la situation nous dépasse.

Pour conclure, nous observons que les émotions interviennent dans de nombreux domaines en relation avec nos diverses responsabilités professionnelles. Anna Tcherkassof appuie notre théorie en reprenant dans son livre « Les émotions et leurs expressions » (2008) des propos de Plantin C., Doury M. et Traverso V (2000) qui disent:

« Autrement dit, une fonctions clé des émotions est de susciter des effets interpersonnels. L’émotion doit donc être envisagée comme une expérience à partager, qui se situe non seulement dans le sujet mais surtout entre des sujets c’est-à-dire comme une expérience intersubjective intégrée dans le processus relationnels. » (p.101)

Les émotions ont donc un rôle dans les relations intrapersonnelles (avec nous-mêmes) et interpersonnelles (avec autrui). La communication émotionnelle avec autrui permet un rapprochement affectif n’existant pas auparavant.