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Katia : Est-ce que tu peux me parler un petit peu de ton parcours pour que je sache un petit peu par quoi t’es passé dans l’enseignement, les divisions que tu as choisies et tout ?

Donc moi, ça fait quatre ans que j’enseigne donc à l’école des X à V. Ma première année, j’ai eu une cinquième primaire. Je les ai suivis en sixième. Puis, j’ai eu une troisième que j’ai suivie en quatrième.

Katia : Qu’entends-tu par émotion ?

Euh…Emotion : c’est ce qu’on peut ressentir dans une situation ou ce qu’on peut aussi exprimer en fonction des choses qui se passent.

Katia : Et les sentiments ?

(Silence) Je sais pas si… (soupire) Entre émotion et sentiment ?

Katia : Oui

(Silence de quelques secondes) Pour moi, c’est un peu lié. Quoi je pourrais pas dire qu’est-ce qui fait plus partie d’un sentiment ou d’une émotion peut-être que l’émotion c’est plus quelque chose qu’on exprime et le sentiment quelque chose qui est intérieur.

Katia : D’accord. Et toi, comment tu te définis par rapport à tout ce qui est émotion/sentiment. Dans le sens, est-ce que tu es quelqu’un qui va plutôt exprimer ou est-ce que tu gardes pour toi. En général, tu réagis comment face à tout ça ?

Je crois que… il n’y a pas grand chose qui doit transparaître. Beaucoup de choses qui se passent intérieurement en fait. Plutôt quelqu’un de… qui garde ça pour soi.

Katia : Tu adoptes le même comportement dans ta vie professionnelle que dans ta vie privée ou il y a des adaptations selon le lieu où tu te trouves ?

Moi, je crois que je suis assez fidèle à moi-même. Je ne crois pas que je suis quelqu’un qui change beaucoup du privé au travail. Euh… Evidemment que si euh... je suis pas dans une période où je suis au top de ma forme, je vais quand même essayer d’euh… en classe, de donner toute l’énergie que j’ai quoi. Et pis, que ça transparaisse moins qu’euh… qu’à la maison parce qu’à la maison je laisse peut-être un peu plus aller quand même.

Katia : Est-ce que tu penses qu’exprimer ses sentiments, ses émotions en classe ça a une répercussion sur le travail ? Nos émotions ont-elles une répercussion sur notre travail autant en classe qu’à l’extérieur quand on fait les planifications et tout ?

Moi, je crois que pour tout ce qui se passe dans la classe ça a une forte influence parce que si on est pas… euh… capable euh… émotionnellement de… aussi d’encaisser le choc de

situations difficiles ou de tout ce que peut vivre les enfants, on aura aussi après de la peine à transmettre quelque chose. Je crois qu’il faut être quand même un petit peu blindé, surtout dans les quartiers comme ici, parce que sinon on se mettrait à pleurer toutes les trois minutes en entendant ce qui se passe. Donc, il faut prendre du recul par rapport à ça, et pis après se dire que l’enfant est dans une situation, enfin dans un cadre où justement il peut s’exprimer au mieux et pis de leur laisser cet espace donc...

Katia : Et par rapport à toi ? Par rapport à moi ?

Katia : Oui

Moi, je crois que j’ai besoin de pouvoir en parler après alors que ce soit avec un collègue ou avec euh… de la famille, ou mon amie. Comme ça, il n’y a pas tout qui pèse sur nos épaules par rapport à des situations difficiles, mais je trouve que exprimer ses émotions, c’est aussi important pour les enfants notamment quand c’est positif quoi… de dire « bah voilà ça c’était bien ». C’est aussi des sentiments qui peuvent aussi s’exprimer comme ça, comme de temps en temps, on a aussi des coups de gueule.

Katia : Autant d’un côté que de l’autre il faudrait..

Non ! Moi, je crois que… enfin… euh… les coups de gueule, j’essaye de les éviter le plus possible tandis que… tout ce qui est positif ça… ça sortira facilement comme ça, parce qu’euh… bah quand on est devant un enfant qui n’arrive pas qui n’arrive pas, on explique 36 mille explications différentes et pis qu’il n’arrive toujours pas au bout d’un moment, ça devient aussi… euh… dur pour nous à gérer émotionnellement, parce qu’on doit… prendre sur nous pour dire : « c’est pas qu’il veut pas ou c’est pas qu’il fait exprès, mais c’est juste que la manière dont j’explique ou bien que maintenant il est pas apte à recevoir cet apprentissage », et pis bah se dire : « bon voilà, il y arrive pas mais, si on rentre dans ce qu’on ressent, bon maintenant arrête tes histoires et pis vas-y ». Il n’y a rien de productif qui va en ressortir et c’est pas tout le temps facile de respirer et pis de… de se dire bon bah on fait ça à un autre moment. Il y a des moments où on a envie un peu de les secouer

Katia : Et pis quand c’est toi émotionnellement qui peut plus ?

Bah là, alors, maintenant j’arrive bien avant ça au début j’arrivais moins, mais maintenant j’arrive bien à me dire : « bon moi j’en peux plus » alors on laisse ça de côté il fait autre chose et pis… ou je demande à un autre enfant de lui expliquer et pis moi, je fais autre chose avec quelqu’un d’autre, parce que je sais que là, j’en peux plus.

Katia : Est-ce que ça t’es déjà arrivé de venir en classe et de te dire : « je suis pas en état de faire telle ou telle leçon parce qu’au niveau des émotions t’arrives pas, t’es trop entre guillemet perturbé par les émotions ». Alors, pour un cours comme ça, je n’y arriverais pas, alors, je change, je vais leur donner autre chose à faire?

Alors, moi c’est moins lié aux émotions qu’à la fatigue. Donc, souvent, en fin de semaine, j’ai prévu telle leçon de maths assez exigeante ou quoi… et pis, moi, je suis déjà fatigué, je

me dis les enfants, si moi, je suis déjà dans cet état là, en fin de semaine, qu’est-ce qu’ils vont pouvoir retenir de ce que je vais faire. Donc là, je change, mais c’est plus lié à la fatigue ou comment je ressens les enfants qu’à mes émotions personnelles.

Katia : Mais est-ce que ça pourrait aussi t’arriver à toi, dans le sens qu’il peut t’arriver quelque chose où tu te vois pas du tout donner une leçon frontale de 45 minutes. Et tu feras plutôt du plan de travail ou autre chose. As-tu déjà changé ton planning parce que tu le sentais juste pas, de peur de mal expliquer ?

Par rapport à moi ça ne m’est jamais arrivé. C’est toujours en rapport aux enfants. A comment je les sens, et pis les… euh… si c’est par rapport à moi, c’est de la fatigue.

(Katia : D’accord) Alors après, il peut aussi avoir une fatigue émotionnelle du fait qu’euh…

c’est aussi lié, mais moi ça transparaît plus en fatigue physique quoi… quand je me sens comme ça, je me lance pas dans des trucs où ils sont en petits groupes où je sais que vite, je vais plus en pouvoir quoi. (Katia : D’accord) Parce que je connais bien, je crois, au bout de quatre ans mes limites. Je sais que tout d’un coup, si je continue avec des petits groupes avec beaucoup de bruit, je vais commencer à être nerveux et pis avoir…. justement laisser transparaître toutes ces humeurs ou ces émotions négatives quoi sur les enfants, donc je m’arrête avant d’en arriver là.

Katia : C’est lié à ta patience que tu préfères ne pas faire. Comme tu es fatigué, tu auras peut-être moins de patience?

Ouais, j’ai beaucoup moins de patience

Katia : D’accord, donc tu anticipes. Tu dis toujours au bout de quatre ans, tu penses qu’il y a quand même une grande évolution par rapport à tes débuts ?

Ouais, c’est de l’expérience qu’on emmagasine quoi. Au début, on a… on veut absolument suivre notre programme. On se dit : il y a ces objectifs à atteindre en fin d’année et si je fais pas cette leçon à ce moment-là je… je vais être embêté la semaine prochaine. Je vais devoir replacer ça autre part. Donc, on a plein d’idées comme ça sur ces planifications. On est aussi observé par un inspecteur ou un directeur. Donc, on est plus proche du cadre institutionnel que…après on se dit : bon bah si on fait pas cette leçon-là c’est peut-être même mieux parce que de toute façon à ce moment-là, c’est pas efficace. Et pis, on refait ça dans un autre moment et pis, si j’ai pas eu le temps de la faire euh… j’enlèverai autre chose qui est moins important et pis….On arrive beaucoup mieux à jongler avec tout ça (silence) je dirais. Mais c’est une liberté qu’il faut absolument prendre après, à mon sens, pour être aussi efficace avec les enfants quoi.

Katia : Oui, tout à fait. Qu’est-ce que tu penses de la place des émotions dans la classe ? Donc, surtout par rapport à l’enseignant, car on se cible beaucoup sur ce dernier parce que la problématique des émotions des élèves a déjà été traitée. On touche un domaine beaucoup moins abordé que sont les émotions des enseignants dans la classe, par rapport à son travail. Penses-tu que tes émotions ont une place dans la classe ?

(Silence de quelques secondes) Bon bah, ça dépend toujours de, dans quelle situation on se trouve hein (léger silence). Si c’est… si on est dans la normalité comme ça se passe tous les

jours avec… c’est quelque chose auquel on fait pas tellement attention je dirai. S’il y a tout qui roule enfin c’est, mais à partir du moment où il y a une situation problématique qui arrive ou euh… tout à coup une maman qui vient chercher sa petite pour partir en foyer, là, il y a quand même beaucoup de choses qui… et pis là on se rend compte qu’on devient très sensible et pis très… peut-être aussi vulnérable à ça. C’est dans ces moments-là quoi. En tout cas, moi, j’essaye aussi de dire : « bon bah là t’es… ça t’as beaucoup touché. T’étais un petit peu…euh un peu fragile, vas en parler à quelqu’un ou bien avec les enfants ont fait autre chose ou on essaye de gérer. »

Katia : Avant de faire autre chose, tu en parles avec les élèves, vu que tu en parles comme si ça se faisait dans le contexte de la classe. Il y avait tous les élèves. T’en parles avec eux ou tu passes directement à autre chose ?

Ça m’est jamais arrivé de leur dire, là, je suis très triste et pis j’ai juste pas envie de faire telle activité ou je me sens pas du tout bien vous êtes plus calmes que d’habitude ou ça… ça m’est pas tellement arrivé. Si ça m’arrive, je leur dis des fois, si je suis malade tout à coup.

Si j’ai presque pas dormi de la nuit, parce que j’avais euh… de la fièvre ou quoi et pis bah je leur bah… bah ce matin, je suis un peu fatigué ça serait bien d’être un peu plus calme ou euh… ça ils comprennent assez facilement mais, par rapport aux émotions c’est vrai que je suis pas tellement enfin euh c’est… c’est de mon ressort je trouve, c’est pas quelque chose que je dois leur (silence)…

Katia : Comme si tu te déchargeais sur eux en fait ? Voilà c’est ça

Katia : Tu ne transfères pas sur tes élèves ?

Enfin, j’essaye après… il y a tellement plein de choses inconscientes qui se passent que forcément euh… inconsciemment même, on a une influence sur les enfants : si on est nerveux au début de la journée c’est des fois ça… ça euh… ça se transmet.

Katia : Ça se transmet à travers ?

Enfin, les enfants deviennent plus nerveux. Il y a peut-être plus de bruit y a…

Katia : Mais tu penses qu’ils le voient chez toi, d’une façon ou d’une autre, sans forcément le dire. Je le dis pas, tu laisses très peu transparaître. Est-ce que tu penses qu’ils sentent, par exemple, un enseignant qui est pas bien parce qu’il est triste ou énervé ou en colère ou n’importe ? Est-ce qu’ils ressentent ces choses-là ?

Moi, je pense qu’ils le ressentent. Ouais.

Katia : Mais comment ils le perçoivent ?

Moi, je pense, en tout cas pour moi, c’est beaucoup lié à ma patience. Quelque chose que je vais répéter plusieurs fois un jour ou dix fois ou vingt fois euh… si je suis un peu nerveux ou

pas bien bah au bout de la troisième fois je vais en avoir marre quoi (silence quelques secondes) Mais, c’est plus dans les interventions du type euh… discipline entre guillemet que ça va transparaître je pense.

Katia : D’accord. En général, tu penses quoi par exemple, d’un enseignant qui discuterait beaucoup de ce qu’il ressent avec ses élèves ou alors un autre qui serait complètement fermé à tout ça. En général, est-ce qu’il y a une place pour les émotions et les sentiments à l’école ou pas ?

Il y a une grande place, mais (hésitation) je me demande si enfin ce sont les émotions des élèves qu’on doit essayer de capter et pis… je veux dire les nôtres, c’est aussi notre job de…

de les préserver et pis de leur donner un cadre où ils peuvent apprendre. Alors de dire, qu’on se sent pas bien, ça je pense que ça peut tout à fait se faire, mais de commencer à expliquer ses problèmes familiaux ou avec son amie ou je sais pas quoi aux enfants ça n’a pas de sens enfin.

Katia : Sans rentrer dans les détails, je peux dire aux élèves : je vais pas bien aujourd’hui voilà point.

Ouais

Katia : Du coup, parler des émotions sans dévoiler sa vie, sans s’étaler ?

Parce que je pense que si… si on est… si on est soit même pas très, très bien, on aura de la peine aussi à… on captera plus difficilement les soucis des enfants. Je pense qu’il faut déjà être bien soi-même pour après réussir à être attentif à ça quoi.

Katia : Et rester objectif ? Ouais.

Katia : Par rapport à la fatigue puisque t’en parle assez : j’ai deux ou trois situations.

La première : est-ce que tu as déjà utilisé, par exemple, ta fatigue comme menace. En gros : « je suis fatigué aujourd’hui, alors calmez-vous sinon punition directe. »

(Silence de quelques secondes) Euh… pas dans ces termes là. Mais… mais… mais effectivement ça m’arrive peut-être parce que… ouais euh (silence). Pas dans le terme de la punition, mais dire voilà maintenant, on est en train de faire des activités en petits groupes.

On fait des jeux de maths. C’est sympa, mais je suis un peu fatigué, donc si vous n’arrivez pas à chuchoter et pis à vous comporter calmement, bon on fera une autre activité. Mais pas sous… enfin, c’est une sorte de punition, mais pas vraiment. Mais pas, je vais vous donner un verbe, si vous ne vous taisez pas ou autre punition. (Katia : D’accord) C’est juste que mes limites, elles sont là et ils savent. Et pis, s’ils les dépassent bah on peut plus faire cette activité là. On fait autre chose où ils sont calmes, seuls à leur bureau quoi.

Katia : C’est lié à la situation dans laquelle tu les as mis. Ce sont des groupes. C’est difficile déjà à gérer. Ils parlent un peu entre eux. Mais, si depuis le début, ils travaillaient tout seuls tu le ferais pas forcément

Non, j’aurais même pas besoin de dire ça en fait

Katia : Très bien. Dans la prochaine situation, une enseignante a eu un décès dans sa famille. Elle arrive en classe. Elle ne va pas bien. Elle est triste. Et souvent, on entend les élèves dire : « ah la maîtresse, elle va pas bien », « la maîtresse, elle est triste. » Donc, il y a deux solutions qui se présentent à elle. C’est soit ne rien dire et se lancer dans le travail et passer outre, soit de prendre les élèves, de les rassembler et de leur expliquer qu’elle est en deuil et qu’elle est triste. A la limite, elle parle de la tristesse et développe non pas son problème de décès, mais la tristesse en général pour que les élèves puissent intervenir. Qu’en penses-tu ?

Moi, je serais plutôt à partager, mais à partir dans une discussion très générale sur… bah le sentiment de tristesse : quand quelqu’un de proche décède ou des choses comme ça.

Katia : Et tu penses que c’est important d’avoir ces discussions ou à la limite de passer à autre chose sans expliquer aux élèves c’est pas grave ?

Ça… ça dépend vraiment beaucoup de l’enseignant quoi, parce que moi, je crois que si je suis mal au point de… d’arriver…de pleurer en classe ou quoi, je viens pas à l’école

Katia : Être triste un petit peu tu arrives très bien à gérer ta classe sans pleurer, mais les élèves perçoivent quand même que tu n’as pas l’air bien, tu es un peu triste. Tu as un décès, ils donnent deux jours de congé pour un enterrement (père ou mère). Tu vas peut-être te mettre sous congé médical une semaine. Mais une fois, que tu as fini cette période de douleur, c’est clair que tu n’es pas entrain de sauter de joie, mais tu vas quand même reprendre le travail. Donc les élèves sentent quelque chose. Il y a une semaine d’absence tout ce bouleversement amène des questions. Rien que pour expliquer l’absence, parce que les élèves disent « tu étais où ? », « on t’a pas vu », « tu t’es fait remplacer, pourquoi ». Ils sont assez curieux. Ils disent « tu étais malade ». Et toi, « non je n’étais pas malade ». Alors que s’est il passé ?

Bon effectivement, si c’est quelque chose qui peut me toucher énormément, je vais quand même plutôt en parler. Leur expliquer ce qui s’est passé. Et pis après… mais engager sur une discussion euh… qui puisse aussi toucher les enfants quoi… où ils ont quelque chose à en dire.

Katia : Donc, tu penses que ça a aussi sa place de parler des émotions. Est-ce que tu penses que ça aurait une place en tant qu’apprentissage?

(Silence) Non ! Moi, je trouve que ça doit être quelque chose qui faut faire un peu au feeling.

Je verrais mal une didactique des émotions si c’est ça que tu veux dire.

Katia : Non, c’est-à-dire que par le biais des discussions faites jour après jour en prenant un enfant qui arrive en disant : « aujourd’hui, j’ai perdu mon chat, je suis

Katia : Non, c’est-à-dire que par le biais des discussions faites jour après jour en prenant un enfant qui arrive en disant : « aujourd’hui, j’ai perdu mon chat, je suis