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CHAPITRE 4 : PLACE DES EMOTIONS EN CLASSE

4.5 Montrer qu’un enseignant est humain

La révélation de nos émotions en classe prend sens dans cet autre aspect souligné dans nos entretiens. Les personnes interrogées mettent l’accent, à maintes reprises, sur leur volonté de communiquer aux élèves que les enseignants ou les adultes, de manière plus générale, sont des êtres humains comme les autres et surtout comme eux. Cette image est véhiculée sous différentes formes.

Un enseignant est une personne comme une autre

Premièrement, un enseignant est une personne comme une autre :

« Du coup, ça des fois, je leur permets de voir qu’on est des êtres humains comme les autres. Notamment pour les plus petits quoi, parce qu’il y a une différence entre les trois-quatre et cinq-six. C’est un chemin qu’ils ont aussi à faire par rapport à ça ». (Eric)

« Parce que je pense que des fois c’est important qu’ils se rendent compte que même les adultes, on a le droit d’être triste ou comme ça » (Laurène)

« Je crois que c’est bien que les élèves puissent se dire que : « bah tient l’enseignante, c’est pas non plus un robot, une super woman ou un super man qui passe à travers la vie comme ça ». (Stéphanie)

« Je veux dire eux ils sont comme nous » (Liu)

« Voilà, faire un peu la balance, qu’ils sentent quand même que je suis pas non plus dans ma tour d’ivoire, que je suis intouchable ainsi enfin voilà… c’est voilà. » (Liu)

« Elles ont de la place et à mon avis, c’est pas quelque chose que je fais toujours, mais les élèves ont aussi besoin de voir que l’enseignant n’est pas une personne parfaite, surhumaine qu’a pas d’émotions qui gère tout et qui finalement est plat. Alors oui, ça a de l’importance, ça a beaucoup de place. C’est leur montrer qu’on n’est pas des surhumains. » (Sylvie)

« Erica : Donc en plus de penser que les sentiments et les émotions ont leur place, ils doivent… Oui, ils doivent. Comme on l’a dit tout à l’heure, tout simplement parce qu’on n’est pas des robots. Puis les enfants doivent vivre avec des personnes et non pas avec des robots. » (Sylvie)

« Ouais, dans tous ces métiers à dimension sociale, les émotions sont essentielles, on doit les prendre en compte, on n’est pas des machines, on n’est pas des robots. […] en principe, il faudrait que ces émotions que l’on vit restent en retrait et n’aient pas trop d’influence sur l’enseignement. Mais bon, les enseignants eux aussi ne sont pas des machines ni des robots et on peut pas leur demander d’être complètement opérationnels […] » (Maurice)

« Je pense que l’enseignant en parlant de son ressenti, d’une tristesse ou d’un problème physique, je pense qu’il se met au niveau des élèves en disant ; « Bin voilà, je suis comme vous ». » (Natacha)

« On est humain, on a le droit d’aller moins bien. » (Valérie)

Tous nos entretiens appuient cette démarche par un vocabulaire bien spécifique : nous ne sommes pas des « machines » ou encore des « robots ». Les enseignants donnent une grande importance à cette dimension, car les élèves les mettent souvent sur un piédestal et les voient comme des gens « hors-normes » qui sont à cent pour cent dévoués à leur classe. En quelque sorte, nous vivons en classe. Cette image d’un enseignant est à réévaluer afin d’envisager le rôle de modèle qu’un adulte représente pour un enfant. Les élèves vont tenter de le suivre tant sur le point de vue émotionnel que dans tous les autres domaines.

Face à ce point de vue partagé de tous, trois enseignants ont des propos qui divergent :

« Pour avoir vu ces enfants en galère et en souffrance, l’enseignant ça reste une figure stable. » (Natacha)

« Donc, je pense qu’en tant qu’adulte, en tant que professionnel faut leur montrer qu’on est là en tant qu’adulte stable et fiable et puis qu’on va pas craquer à la moindre contrariété ou à la moindre déception. » (Valérie)

« Il y a une grande place, mais (hésitation) je me demande si enfin ce sont les émotions des élèves qu’on doit essayer de capter et pis… je veux dire les nôtres, c’est aussi notre job de… de les préserver et pis de leur donner un cadre où ils peuvent apprendre. » (Eric)

Ces trois enseignants, nous montrent leurs différentes conceptions sur le fait de montrer aux élèves que nous sommes des personnes comme les autres. Ici, ils relèvent l’un des rôles d’un enseignant : celui d’apporter une certaine stabilité aux élèves. Nous pensons qu’Eric nous l’expose sous la forme d’une limite à ne pas franchir dans le partage de nos émotions.

En conclusion, il est important de témoigner aux élèves que nous sommes comme eux en essayant de garder à l’esprit que nous sommes des professionnels et qu’il est important de conserver un certain recul dans l’expression de nos émotions afin de les préserver et de leur fournir un cadre stable qui est dépendant de la fiabilité et de la stabilité de l’enseignant.

Un enseignant est une personne empathique

Deuxièmement, un enseignant est empathique et désire le transmettre aux élèves :

« De nouveau, ça fait partie de la vie et puis ça fait partie d’un apprentissage justement de pouvoir dire ses émotions. Et puis aussi le côté empathique, pouvoir entendre l’émotion de l’autre. » (Sylvie)

« Simplement, le fait de t’ouvrir c’est que tu vas à la rencontre de l’autre.

Donc, tu vas être avec lui sur un certain niveau. Et pis, le fait de ne pas t’ouvrir, t’es quand même avec l’autre, mais sur un autre niveau. Donc maintenant, au niveau personnel, vraiment tout à fait personnel, je me dis que c’est super enrichissant d’être sur ce plan là. Parce que tu apprends de l’autre je veux dire : tu apprends à le toucher dans sa réalité à lui d’enfant euh ce qui est radicalement différent de la tienne. » (Liu)

Dans cette partie, nous abordons la problématique du rapport à l’autre. Tout d’abord, Sylvie nous confie le besoin d’acquérir la faculté d’empathie. C’est une « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent » (Le petit Larousse illustré 2001). Liu, quant à elle, aborde la richesse d’une ouverture vers l’autre. Cifali aborde ce thème « moi et l’autre » dans son livre « Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique » (2005). Elle nous apporte un éclaircissement sur la relation avec l’autre en disant qu’il est indissociable de nous-mêmes :

« Ce que je rejette de lui, c’est une part de moi. Si j’ai de la peine à vivre avec lui, c’est que j’ai de la peine à vivre avec moi ». (2005, p124)

Dans le petit guide de l’exposition « Nous autres » (2005), nous découvrons une opinion similaire à Cifali comme quoi « les autres c’est peut-être nous » (p5).

De cet extrait, nous pouvons construire différents avis. Notre interprétation rejoindrait l’idée de Liu. Si nous nous ouvrons à l’autre, nous nous ouvrons en quelque sorte à nous-mêmes. C’est un enrichissement des deux côtés. Dans l’exposition « Nous autres », l’autre est considéré soit comme un problème soit, comme Liu nous le fait remarquer, comme une richesse. Il s’agit de devenir empathique afin de mieux se découvrir. C’est en apprenant l’autre que nous accéderons à la connaissance de soi et à une plus grande richesse.

Certains enseignants se mettent à la place des enfants à travers ce qu’ils pourraient ressentir dans la même situation. Cette fois nous désirons traiter l’aspect compatissant dans la relation avec l’autre :

« Je leur ai dit “Oui, je comprends qu’elle soit triste et tout, moi aussi je le serais si ça devait m’arriver, alors soyez gentils avec elle…” » (Valérie)

« Evidemment, faut pas s’étendre dans les discussions. “Oui, j’ai perdu mon chat, mes chats et oui j’ai pleuré. Ça a été très difficile parce que je les aimais beaucoup puis ça m’a rendue triste.” Ça t’a pris trente secondes maintenant nous on fait des maths. » (Sylvie)

« Non, je leur dis pas “Si vous faites pas comme ça, je vais me fâcher”. Parce que je me dis toujours que si j’arrive dans cet état. Ça m’est arrivé. C’est pas le bon

jour. Ils peuvent aussi arriver dans le même état et pis je sens des fois, il y a des élèves qui arrivent que c’est pas leur journée. Donc, je me dis aujourd’hui je les laisse un petit peu tranquille, mais par contre je leur dis “J’ai … je me sens pas bien” ou alors “J’ai très mal à la tête donc aujourd’hui s’il vous plaît, faites attention, essayez de chuchoter” etc. ». (Laurène)

Dans ces fragments, les enseignants sont compatissants parce qu’ils imaginent ce que nous pouvons éprouver face à un tel événement. Si nous nous connaissons bien, nos propres émotions nous permettent d’être empathiques. Par cette qualité, nous pouvons développer une forme d’attention envers nos élèves. Nous leur montrons un intérêt, une compréhension à ce qu’ils ressentent. Ce qui développe chez nos élèves : le droit de ressentir, le sentiment d’être compris et d’autres notions que nous aborderons plus loin.

Pour conclure, il existe un lien très fort entre les autres et nous-mêmes. L’empathie nous permet d’accroître nos qualités d’être humain. Nous avons essayé d’apporter un regard sur le métier d’enseignant. En effet, en levant le voile sur nos émotions, nous montrons aux élèves que nous sommes des êtres humains comme tout le monde et surtout comme eux.

Nous mettons en évidence plusieurs qualités dont une personne peut s’outiller. Dans un idéal nous devrions tous avoir l’esprit compatissant et des valeurs telles que l’honnêteté et l’empathie car elles sont indispensables à notre évolution. Ces points constituent un fondement dans notre relation avec autrui.

Un enseignant est une personne avec des valeurs

Troisièmement, un enseignant possède des valeurs. Il fait part de ses émotions pour rester honnête et s’éloigner du mensonge :

« Moi, je leur dis quand ils… ouais, quand j’ai été déçu de tel comportement, mais généralement c’est… enfin c’est… si j’ai eu ces réactions, c’est par rapport à l’honnêteté, parce que moi je crois que je suis assez droit et pis assez honnête, donc j’attends en retour qu’il y ait la même chose. » (Eric)

« Et pis, dans ce cas, je ne me verrais pas leur mentir, leur dire “bah là j’étais malade”. » (Laurène)

« Maintenant, si je m’absente deux semaines pour un décès, je vais pas arriver avec le sourire et dire aux élèves que je me suis prise deux semaines de vacances, je vais pas mentir, ils doivent le savoir. » (Valérie)

« Alors, moi le mensonge, moi, j’aime pas du tout. » (Maurice)

« Je pense qu’en parlant pas, qu’en étant pas honnête, entre guillemets car c’est pas forcément le bon terme. En, en parlant pas, je pense qu’au final la tristesse ou quelque chose comme ça, ça fini par se ressentir. » (Natacha)

« […] je vais pas mentir, ils doivent le savoir. Alors oui, j’en parlerais mais parce que ça a touché l’école et parce que quelque part j’avais pas le choix. » (Valérie)

L’élément, mis en évidence ici est l’importance que la plupart des enseignants met sur l’honnêteté, l’une des raisons principales qui les poussent à se confier à leurs élèves et d’éviter le mensonge. La franchise et l’honnêteté amènent les professionnels du monde scolaire à se livrer pour montrer en quelque sorte l’exemple. Ces deux qualités sont primordiales chez un être humain. C’est pourquoi, un enseignant développe cette valeur chez ses élèves. Pour ce faire, il en est le représentant. Cette idée avoisine la conception que nous avons déjà abordée qui fait référence au rôle de modèle qu’endosse un enseignant face à ses élèves.

Finalement, les valeurs constituent notre personnalité. Elles contribuent à l’évolution du citoyen que nous sommes. Il est important que nos élèves acquièrent un certain nombre de valeurs durant leur enfance et leur adolescence. Par la suite, ils se les approprieront comme ils le désirent.