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CHAPITRE 6 : PISTES DES ENSEIGNANTS

6.1 Réflexion sur les émotions

Une des pistes proposée est une réflexion sur les émotions. Certains enseignants la conçoivent comme une remise en question personnelle. D’autres l’abordent d’un point de vue collectif en incluant les élèves qui sont, comme nous l’avons vu tout au long de notre mémoire, directement touchés. Tout d’abord, nous traiterons la remise en question d’un enseignant par « une autoréflexion » puis celle qui se déroule avec la classe entière.

Autoréflexion

Dans le cadre de « l’autoréflexion » sur les émotions, plusieurs des enseignants interrogés évoquent une prise de recul afin d’obtenir une meilleure réponse :

« Je crois qu’il faut entendre ce qui se dit, éventuellement prendre des notes, y réfléchir pendant quelques jours et puis y répondre de la manière appropriée. Donc, à ces situations-là, on pourrait appliquer le dicton “la nuit porte conseil” quand on rencontre des parents qui nous font des reproches, ça arrive à tout le monde, je pense que c’est bien d’entendre, de réfléchir à ça et de pas répondre immédiatement du tac au tac. Moi, je pense que quand il y a des situations conflictuelles ou difficiles, c’est mieux de prendre un peu de temps, un petit peu de recul puis d’étudier les tenants et les aboutissants avant de répondre. » (Maurice)

« Je suis plutôt dans la part réflexive des sensations, c’est-à-dire que je ne suis pas quelqu’un d’impulsif… qu’est hystérique. Je me définis plutôt comme quelqu’un qui va réfléchir et qui va retrouver un calme avant de réagir, retrouver un certain calme avant de réagir. » (Stéphanie)

« Et pis ça c’est seulement maintenant que je commence à me dire “Wouav, c’est quand même important de faire le point avec soi-même. Se dire Comment je me sens ?”. Parce que du coup, comment je me sens, c’est aussi comment je suis, comment je me présente aux autres et comment je vais être en relation avec eux. » (Liu)

« Et pis, justement je ne savais pas comment accueillir ça. Donc en étant agressée, quand la maman vient et pis qui vous dit “De toute façon, vous êtes une

conne. De toute façon, ce que vous faites c’est de la merde”. Bah… la première fois que ça m’est arrivé, je lui ai répondu du tac au tac. Et pis, j’aurais jamais dû avec le recul. Maintenant avec le recul, je lui dirais aujourd’hui j’entends bien ce que vous me dites “Alors, vous pensez que je suis une conne et pis que le travail que j’effectue ne vous convient pas. Alors, je suis prête à discuter avec vous. Alors allons-y.” Et je le prendrais comme ça vraiment parce que voilà avec l’expérience s’en prendre plein à la gueule avec le recul… » (Liu)

« Euh alors… l’analyser tout de suite, c’est pas toujours le cas. Parce que ça sort quand même si je dois m’énerver et bah je vais m’énerver etc.[…] Alors, je pense que eux avec les avertissements qu’ils ont eus, avec ce que j’ai mis en place avec eux, plus ma réflexion, bah ça va déjà mieux depuis une semaine. Donc voilà, maintenant, c’est clair que des fois, j’arrive à réfléchir quand il y en a un qui fait un truc, il y en a des fois qui font des… enfin on répète quinze fois la même chose et pis ils arrivent quand même à faire la bêtise. Bah là, je vais quand même me dire “Bah là, tu te calmes”. Et pis je vais pas crier. » (Laurène)

Ces enseignants relèvent, à travers leurs propos, que le fait de prendre du recul face à nos émotions, nous permet de mieux les comprendre. Ils les analysent dans le but de répondre, par exemple, à la question posée par les élèves et ils n’entrent pas dans une phase défensive. En effet, nous pouvons souvent être pris de violentes réactions lorsque nous nous sentons attaqués. Notre réaction principale est de nous défendre et nous pouvons par ce fait être très blessants. Les mots sont parfois plus forts que les actes et ils restent marqués dans nos mémoires pouvant occasionner de réelles séquelles. Nous pensons que cette piste peut être généralisée à de nombreuses situations, voire même à toute situation. Un proverbe nous pousse à cette réflexion, ne dit-on pas que « la nuit porte conseil ». Une nuit est bénéfique pour prendre une décision importante. Cette nuit de sommeil représente la prise de distance nécessaire pour prendre une décision adéquate par rapport aux faits. Notre réaction s’en trouvera améliorée et proportionnelle à l’acte ayant sollicité une telle réflexion. Laurène et Stéphanie ont partagé avec nous la réflexion qu’elles ont faite sur elles-mêmes, et qui a eu pour effet de réguler la classe :

« C’est clair que là faut se prendre le temps de réfléchir et pis se dire que « Là, j’ai été un peu dure avec cet élève. Il faut que je me calme. » (Stéphanie)

« Maintenant, c’est vrai, qu’il y a des fois bah… par exemple, depuis qu’ils sont revenus de vacances, ils sont hyper excités. Donc moi, il y a eu punitions. Il y a eu lettres aux parents etc. Bah après, je me suis quand même dit cas classique “Est-ce que ce problème ne vient pas de moi?”. Enfin, tout le monde se dit “Bah c’est peut-être moi le problème.” Et pis, je me suis demandée “Est-ce que tu es bien depuis le retour des vacances ? Est-ce que t’es fatiguée ? Est-ce que je me sens un petit peu sous tension, sous stress ?” Ce qui fait que je leur ai transmis quelque chose. Ce qui fait que moi, après, j’ai aussi essayé de faire attention à comment j’étais pour voir si c’était ça.

Alors, je pense que eux avec les avertissements qu’ils ont eus, avec ce que j’ai mis en

place avec eux, plus ma réflexion, bah ça va déjà mieux depuis une semaine. » (Laurène)

Là, Laurène et Stéphanie nous donnent les raisons d’une réflexion qu’elles ont eue sur elles-mêmes. Stéphanie l’effectue pour interpréter ou analyser sa réaction. Elle trouve important de prendre le temps de réfléchir pour éviter des réactions trop violentes face à un enfant. Laurène, quant à elle, nous explique la relation entre sa réflexion et les changements de comportement dans sa classe. Si la dynamique de classe s’avère difficile, il est parfois nécessaire de se remettre en question pour analyser le problème et en déterminer la cause et les régulations possibles. Ce dernier peut découler inconsciemment d’un enseignant. Laurène illustre cette problématique par son vécu : en régulant ses émotions, son ambiance de classe s’est considérablement améliorée.

Dans ces premiers extraits, nous avons tout d’abord une remise en question ayant pour but de construire une réaction appropriée. Puis, nous avons les raisons qui nous poussent à faire cette réflexion et un résultat probable énoncé par Laurène.

Cette idée est soutenue par la théorie du « praticien réflexif » exposée par Léopold Paquay (1994) lorsqu’il expose les six paradigmes d’un enseignant. Dans le paradigme ici concerné, un enseignant prend une position où il est critique. Il a accumulé, tout au long de sa vie, un savoir basé sur les expériences qu’il a acquises et qu’il remet sans cesse en question. Ici, il devient en quelque sorte un chercheur qui accumule du savoir d’un œil critique. Son savoir et ses méthodes sont donc tout le temps « remis à jour » et remis en question. Comme dans nos entretiens, nous remarquons ici qu’une « autoréflexion » est nécessaire au développement des compétences d’un enseignant. La réflexion permet une réaction adéquate.

Avec les élèves par une discussion

Certains enseignants que nous avons interviewés partagent l’idée d’élargir ce qu’ils ressentent en classe, dans une discussion avec les élèves. Par ce dialogue, ils se remettent en question en s’exprimant au groupe classe et ils dérivent vers un sujet qui touche tous leurs élèves. Voici comment ils l’expriment :

« Je pense que c’est au maître d’organiser une discussion au calme. Pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Et de redéterminer les responsabilités et les excuses éventuelles. » (Maurice)

« Moi, je serais plutôt à partager, mais à partir dans une discussion très générale sur… bah le sentiment de tristesse : quand quelqu’un de proche décède ou des choses comme ça. » (Eric)

« Bon effectivement, si c’est quelque chose qui peut me toucher énormément, je vais quand même plutôt en parler. Leur expliquer ce qui s’est passé. Et pis après…

mais engager sur une discussion euh… qui puisse aussi toucher les enfants quoi… où ils ont quelque chose à en dire. » (Eric)

« Donc j’explique pourquoi j’ai été énervée, pourquoi ça m’a fait de la peine de voir ça parce que c’est pas normal, parce qu’il n’y a personne qui a envie qu’il se fasse du mal enfin etc. Donc après, le fait de le partager, ils le comprennent aussi et pis moi, ça me libère un petit peu. C’est pas non plus une thérapie de groupe avec les élèves quoi euh (rires), mais ça fait quand même du bien, de leur dire, des fois. Parce que même eux, ils ont assisté à la scène finalement. Ce qui me fait de la peine, ça leur en fait aussi souvent à eux parce qu’ils assistent aux mêmes choses que moi. » (Laurène)

« Ensuite, au conseil de classe, je parlerais au groupe et à l’élève en disant

“Bah moi, je suis pas du tout contente de ça. Donc, il faut qu’on se donne un contrat.”

J’écouterais les échos des autres élèves aussi. Parce que s’il n’y a que lui peut-être que les autres élèves viendront sans plaindre. Ou peut-être ils diront que nous on le suit parce qu’il est fort, parce qu’il nous menace. Peut-être que des choses vont émerger de tout ça. En tout cas, avec tout ce qui sortirait des élèves et de mes idées à moi, de ma réflexion…je mettrais en place des stratégies pour que cet état s’améliore avec une sorte… avec un système de contrat à respecter. » (Stéphanie)

Dans ces divers propos, l’idée de dériver sur une discussion partant de l’émotion d’un enseignant est présente dans chacun d’eux. Ici, nous entrons dans la question de la communication émotionnelle traitée dans le livre de Tcherkassof « Les émotions et leurs expressions » (2008, p111) dans lequel elle informe que les émotions ainsi que leurs expressions découlent d’un apprentissage social lié à une identification aux autres. De là, nous pouvons déduire que le partage au sein de la classe vise à construire notre socialisation, notre communication émotionnelle. La communication émotionnelle enclenche notre développement personnel par rapport au monde culturel qui l’entoure. Les discussions sont utiles pour apporter de la matière à chacun des élèves. En effet, chaque personne va réagir différemment lors de cet échange et chacun va pouvoir dialoguer avec les émotions des autres. Cette piste, concernant une discussion générale en classe, est très intéressante et très instructive pour un enseignant mais également pour ses élèves. La théorie nous amène à penser que la socialisation passe fortement par l’échange émotionnel. Dans ce même livre, l’auteur développe l’idée (p.99) qu’une personne qui converse avec une autre transmet, dans son discours, des marques de ses émotions, afin que l’interlocuteur les partage et les

ressente. C’est en partageant avec une dose d’émotions que l’interlocuteur prend un quelconque intérêt pour ce que nous lui disons.

De plus, Tisseron (2005) expose dans son ouvrage (p.196) qu’il est parfois nécessaire qu’autrui nous livre une remarque pour que nous puissions entrer dans un « dialogue intériorisé ». En effet, certains points de notre émotionnel sont tellement enfouis en nous, que le regard extérieur d’un interlocuteur peut nous amener de multiples interrogations auxquelles nous n’avions pas pensé.

En conclusion, le partage est primordial dans la construction des liens sociaux et dans la construction de notre conception des émotions. Il peut en outre révéler des aspects de notre passé émotionnel enfouis au plus profond de nous.

6.2 « Se décharger » avec des personnes extérieures à la classe

Une autre piste intéressante est celle de la discussion avec un collègue ou une autre personne extérieure à la classe. Selon les enseignants interrogés, cette discussion a pour but de nous décharger de ce poids lourd qu’est l’émotion ressentie et gardée intérieurement.

Nous essayons de la partager, afin que les répercussions pesantes sur notre état d’esprit s’allègent. Voici ce qu’ils en disent :

« On a nos collègues qui sont là pour ça, en plus c’est vrai que de nouveau, dans le secteur spécialisé on a la chance une fois par semaine d’avoir un responsable thérapeutique. Donc, c’est un psychologue qui vient et avec qui on peut parler. C’est plus dans ces moments là qu’on peut parler de nos émotions et de notre ressenti. » (Valérie)

« Après que tu craques à la salle des maîtres ou à d’autres moments voilà mais en classe… ça va pas quoi. Je dis pas, je dis pas que je le ferais jamais et je condamne pas la personne qui le fait, on est d’accord, mais c’est… la théorie disons que... »(Valérie)

« Moi, je crois que j’ai besoin de pouvoir en parler après alors que ce soit avec un collègue ou avec euh… de la famille, ou mon amie » (Eric)

« On est quand même beaucoup plus sollicité de… je pense, de ce côté en tout cas quand je parle avec mes collègues, ils ont quand même plus souvent besoin de parler de telle situation ou de tel enfant etc. »(Eric)

« Y a des choses que j’ai pas besoin d’en parler. Y en a d’autres que… elles sont très lourdes, donc là, j’ai besoin que ça sorte. Donc, ça peut sortir avec plusieurs personnes, dans différents contextes. Ça dépend aussi de ce qu’on attend des personnes à qui on le dit : aux collègues je… je vais…quand je leur parle, j’attends une aide, un soutien et pis des pistes pour faire quelque chose quand ça touche l’école et pis quand j’en parle à un ami ça peut être euh… euh tout simplement pour me soulager et pis enfin voilà. » (Laurène)

Chacun de ces enseignants exprime le besoin d’en parler. Certaines personnes éprouvent plus ou moins cette nécessité. D’une part, le fait de parler nous aide à extérioriser l’émotion bloquée intérieurement et à l’estomper. Suite à ce genre de discussions, nous sommes plus tranquilles et plus aptes à poursuivre notre journée. Nous éprouvons une sensation de soulagement. D’autre part, parler et échanger sur une émotion qui nous pèse nous permet de voir la situation sous un autre angle afin de positiver et de se sentir plus serein. Par cette occasion, nous acquérons plus de recul sur la situation.

Dans nos entretiens, la différence entre les enseignants interrogés réside dans la personne à qui nous confions notre ressenti. Ils citent bien entendu les collègues qui sont les plus aptes à dialoguer sur un sujet découlant de l’école. Puis, ils abordent la possibilité d’en parler avec un membre de la famille ou autres. Laurène est l’enseignante qui nous clarifie le plus précisément comment elle choisit la personne à qui elle va en parler. Elle nous dévoile qu’il s’agit tout simplement d’une question d’attentes. En effet, selon la réponse que nous attendons, nous allons choisir telle ou telle personne. Par exemple, s’il s’agit d’un conflit ayant sa source à l’école, si elle désire éprouver un simple soulagement, elle discute avec un ami. Par contre, si elle attend une aide, un soutien, des réponses concrètes avec une éventuelle piste, elle en parle avec un collègue.

Yves de La Monneraye (2004) parle dans « La parole rééducatrice » de la discussion avec autrui : psychologues et rééducateurs scolaires en vue d’une « rééducation de l’Ecole » :

« Leur première tâche me paraît être de créer avec leurs collègues ce lieu d’écoute à l’intérieur de l’école ; il sera à la fois un lieu protégé, pour qu’on puisse y parler sans danger, mais non un lieu complètement clos, ignorant par principe les objectifs fondateurs de l’Ecole. » (2004, p.37)

En conclusion, l’échange avec quelques adultes peut être plus libre que celui avec les élèves. En effet, le choix des mots reste important, mais les quelques confusions pourront être éclaircies. La discussion avec un adulte n’est pas abordée de la même manière qu’avec la classe. Comme nous le détaille Laurène, les attentes diffèrent selon l’interlocuteur. De plus le vocabulaire employé va aussi différer que l’on soit en présence d’enfant, de la hiérarchie ou de gens proches. Le fait de pouvoir dire ce que l’on pense sans devoir peser nos mots permet une meilleure « décharge ». Nous désirons garder cette piste en mémoire, parce qu’il n’y a rien de plus déstabilisant que de se retrouver seul dans une situation dont on

ne trouve pas la porte de sortie. Nous tenons tout de même à préciser qu’il s’agit là de se décharger « avec » et non « sur » autrui.