• Aucun résultat trouvé

RELATIONS CONJUGALES

Dans le document La sexualitéet sa répression (Page 102-105)

Retour à la table des matières

Suivons le roman universel de la vie et jetons un coup d'œil sur sa phase suivante. Examinons les liens que crée le mariage auquel aboutissent, en suivant les voies parallèles, l'homme et l'animal, l'habitant des cavernes de l'âge néolithique et le singe anthropoïde. En quoi consiste en réalité le mariage chez les animaux, plus particulièrement chez les singes ? Quand les démarches sexuelles ont atteint leur point culminant, c'est-à-dire le rapprochement sexuel, la femelle conçoit. L'imprégnation met fin au rut, et avec la fin du rut cesse l'attraction que la femelle peut exercer sur d'autres mâles. Mais il n'en est pas ainsi du mâle, qui l'avait choisie, conquise et auquel elle reste soumise. Les données dont nous disposons ne nous permettent pas de dire si, à l'état de nature, les singes supé-rieurs continuent à avoir des rapprochements sexuels après l'imprégnation. Mais le fait que la femelle cesse d'exercer une attraction sur d'autres mâles, alors que son partenaire lui reste attaché, forme le lien du mariage animal. La réaction spécifique du mâle et de la femelle à la nouvelle situation, leur attachement mutuel, la tendance du mâle à rester avec sa compagne, à la garder, à l'assister, à la protéger et à la nourrir, tels sont les éléments innés dont est fait le mariage animal. C'est ainsi que cette nouvelle phase de la vie est caractérisée par un nouveau type de comportement ; elle est dominée par un nouvel anneau dans la chaîne des instincts. On peut, par opposition à l'impulsion sexuelle, appeler cet anneau « impulsion matrimoniale ». L'union animale ne repose ni sur la passion sans frein correspondant au rut, ni sur la jalousie sexuelle, ni sur la revendication, par le mâle, de droits sur la femelle en général, mais uniquement sur une tendance innée, de nature spéciale.

Dans la société humaine, la nature des liens matrimoniaux est tout à fait différente. En premier lieu, l'acte de l'union sexuelle ne constitue pas encore à lui seul le mariage. Pour qu'il y ait mariage, il faut que l'union soit sanctionnée par une cérémonie spéciale: acte social qui diffère des tabous et encouragements dont nous avons parlé plus haut. Nous sommes ici en présence d'un véritable acte créateur de la culture, d'une sanction, d'une norme qui établit de nouveaux rapports entre deux individus. La force que possèdent ces rapports découle, non des instincts, mais de la pression sociale. Le nouveau lien est quelque chose d'extérieur et de supérieur aux liens biologiques. Tant que cet acte créateur n'a pas été accompli, tant que le mariage n'a pas été conclu dans les formes prescrites par la culture, un homme et une femme peuvent avoir des rapprochements sexuels très fréquents et cohabiter aussi longtemps qu'on voudra: leurs rapports resteront toujours quelque chose d'essentiellement différent d'un mariage socialement sanctionné. Puisque l'homme ne possède pas de dispositions matrimoniales innées, le lien qui rattache l'un à l'autre tel homme et telle femme est dépourvu de

toute sauvegarde biologique. Et puisqu'il n'a pas été établi par la société, tout appui culturel lui est également refusé. En fait, dans toute société humaine, un homme et une femme qui cherchent à se comporter comme s'ils étaient mariés, alors qu'ils n'ont pas obtenu la sanction sociale appropriée, s'exposent à des pénalités plus ou moins sévères.

Nous voyons ainsi une nouvelle force, un nouvel élément entrer en jeu, pour enfermer dans des limites strictes l'instinctivité purement animale : la société, avec ses règles et ses normes. Et il est à peine besoin d'ajouter qu'à partir du moment où la sanction sociale a été obtenue, où deux individus ont consacré leur union par le mariage, ils peuvent et doivent remplir de nombreuses obligations, physiologiques, économiques, religieuses et domestiques, qu'impliquent ces relations inter-humaines. Ainsi que nous l'avons vu, la conclusion d'un mariage humain est l'effet, non d'une impulsion instinctive, mais d'un ensemble de dispositions culturelles. Mais après que le mariage a été socialement scellé et garanti, les époux se trouvent en présence d'un certain nombre de devoirs, d'obli-gations et de réciprocités à remplir, sous peine de sanctions légales, religieuses et morales. Dans les sociétés humaines, le mariage peut généralement être dissous, chaque partenaire contractant alors une autre union; mais cette procédure se heurte à de grandes difficultés, et dans certaines civilisations le prix du divorce est élevé au point de le rendre prohibitif.

Ici apparaît nettement la différence entre la régulation purement instinctive et le déterminisme culturel. Alors que chez les animaux le mariage, inauguré par des démarches sélectivement amoureuses, se trouve conclu du fait du simple acte d'imprégnation et est maintenu par les forces de l'attachement conjugal inné, il est inauguré chez l'homme par l'action de facteurs culturels, conclu à la suite d'une sanction sociale et maintenu à la faveur de divers systèmes de pression sociale.

Et, sur ce point encore, il n'est pas difficile de se rendre compte que l'appareil culturel exerce la plus grande partie de son action dans le sens des instincts naturels et réalise les mêmes fins, quoique par des moyens différents. Chez les animaux supérieurs, le mariage est une nécessité, parce que plus la durée de la grossesse et de l'élevage de la progéniture est longue, plus la femelle d'abord, le nouveau-né ensuite ont besoin de la protection du mâle. L'affection conjugale découlant uniquement de mobiles innés, par laquelle se caractérise l'attitude du mâle pendant la grossesse de la femelle, est parfaitement conforme aux fins de l'espèce et indispensable pour assurer sa continuité.

Chez l'homme ce besoin d'un protecteur affectueux et plein de sollicitude envers la grossesse subsiste. Le mécanisme inné a disparu ; nous en avons la preuve dans le fait que, dans la plupart des sociétés, quel que soit leur niveau de culture, il arrive souvent que le mâle refuse d'assumer la responsabilité de sa progéniture, tant qu'il n'y est pas forcé par la société qui impose le contrat de mariage. Mais chaque culture développe certaines forces et adopte certaines dispositions qui jouent le même rôle que les impulsions instinctives dans les espèces animales. L'institution du mariage, dans sa base morale et dans ses aspects religieux et légal, doit être considérée, non comme une excroissance directe de la tendance matrimoniale, telle qu'elle existe chez les animaux, mais comme une substitution de cette tendance, créée par la culture. Cette institution impose à l'homme et à la femme une conduite aussi étroitement et rigoureusement conforme aux besoins de l'espèce humaine que la conduite découlant des tendances innées d'une espèce animale l'est aux besoins de celle-ci.

Ainsi que nous le verrons plus loin, le moyen le plus puissant dont la culture se sert pour attacher l'un à l'autre le mari et la femme consiste à façonner et à organiser leurs émotions, à modeler leurs attitudes personnelles. Nous aurons l'occasion d'étudier de plus près ce processus qui nous révélera les différences essentielles entre les liens conjugaux qui existent dans le monde animal et ceux des sociétés humaines. Alors que les animaux offrent à l'observation une chaîne d'instincts dont les maillons succèdent l'un à l'autre et se remplacent l'un l'autre, le comportement humain se présente sous l'aspect d'une attitude émotionnelle parfaitement organisée ou, pour nous servir d'un terme technique employé en psychologie, d'un sentiment. Alors que l'animal nous offre une série de moments physiologiques, d'événements s'accomplissant à l'intérieur de l'organisme et dont chacun détermine une réaction innée, nous trouvons chez l'homme un système d'émotions, en voie de développement continu. A partir de la première rencontre des deux futurs amoureux, on assiste au développement graduel d'un système d'émotions de plus en plus riche, dont la continuité et la consistance sont une condition de relations heureuses et harmonieuses. Dans la composition de cette attitude complexe entrent, en plus des réactions innées, des éléments sociaux, tels que règles morales, espoirs économiques, intérêts spirituels. Les phases ultérieures de l'affection matrimoniale sont déterminées dans une très grande mesure par la manière dont se sont effectuées les premières démarches amoureuses. Et d'autre part, les démarches amoureuses et l'intérêt que portent l'un à l'autre les deux futurs amants sont déterminés à leur tour par les possibilités et les avantages du mariage projeté. C'est en tenant compte, d'une part, de ces anticipations à la faveur desquelles des réactions à venir exercent d'ores et déjà leur influence sur des arrangements actuels et, d'autre part, de l'influence de souvenirs et d'expériences, ainsi que de l'ajustement incessant qui s'effectue entre le passé, le présent et l'avenir, qu'on comprend sans peine pourquoi les rapports humains sont caractérisés essentiellement par une croissance continue et homogène, au lieu de présenter, comme chez l'animal, une série de phases nettement différenciées.

Nous avons là une preuve de plus de cette plasticité des instincts dont nous avons déjà parlé en décrivant les phases antérieures, et nous voyons que, malgré la différence considérable qui existe entre les mécanismes inhérents à la vie civilisée et les dispositions purement physiologiques, les formes générales que la société imprime, à la faveur de ses normes, aux rapports matrimoniaux, suivent de près celles que la sélection naturelle impose aux espèces animales.

5

L'AMOUR DES PARENTS

Dans le document La sexualitéet sa répression (Page 102-105)