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CHAPITRE 2 : L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE COMME ESPACE D’ACTION COLLECTIVE : LA THÉORIE DES

2.2. L’école néerlandaise ou anglo-saxonne de la proximité : enrichissement, affirmation et distinction

2.2.4. Du lien social dans la théorie des proximités

2.2.4.2. Des relations de confiance

Déterminante dans la dynamique de réseau, la confiance facilite l’échange d’informations, de connaissances et de compétences entre les acteurs. Elle permet aux acteurs d’être davantage ouverts à la mise en œuvre de démarches collectives. Elle est appréhendée tant à l’échelle des individus que des organisations. La confiance est alors considérée comme un facteur de création d’un système de règles communes – parfois implicites – à l’ensemble du réseau d’acteurs (Dupuy & Torre, 2000). Elle s’apparente ainsi à l’activation d’une relation de loyauté qui masque l’existence d’un certain opportunisme propre aux relations industrielles et coopératives. En effet, la confiance peut être restreinte au sein du réseau. Quand la confiance se résume à quelques acteurs individuels et/ou organisationnels du réseau, il y a risque d’enfermement des relations sociales à des acteurs unis par des liens d’amitié et/ou de collaboration (échange). Les liens de confiance préexistants ou créés par les interactions successives s’érigent alors comme de potentielles entraves au réseau. On parle des risques de rupture de liens de confiance. Autrement dit, la dimension sociale des relations économiques a une influence positive sur les réalisations des acteurs jusqu’à un certain seuil. Mais il ne faut pas occulter les possibles impacts négatifs sur le réseau des rapports sociaux et des liens de confiance (Boschma, 2004).

En effet, les dynamiques de réseaux sont le fruit de processus multiples dont certains dépendent directement des liens sociaux ou des relations, et d’autres résultent des rapports de confiance entre les acteurs. Les dynamiques de réseaux se construisent donc au travers du renouvellement et/ou de la reconfiguration importantes des relations sociales et/ou des rapports de confiance. Cela suppose de mon point de vue, qu’il est possible de distinguer les relations sociales des rapports de confiance dans une dynamique de réseau. Ainsi, bien qu’une rupture des rapports de confiance puisse avoir des effets sur les relations sociales, il ne peut être établi un affaiblissement immédiat ou systématique des liens sociaux. Par contre, les ruptures de liens de confiance entraînent souvent un affaiblissement de la dynamique de réseau (Figure 1). La complexité des rapports entre liens de confiance et relations sociales participe ainsi à la reconfiguration permanente des réseaux. Comme le soulignent Grosseti et Barthe (2008), le déplacement des liens de tous genres entre acteurs influence la capacité de leur réseau à créer de nouvelles ressources ou mobiliser celles existantes. Ainsi, l’existence de liens sociaux voire de relations de confiance ne garantit en rien l’absence de conflits, de divergences voire d’une altération du processus collectif.

Figure 1 : Courbe "U" inversée sur les liens de confiance

Réal : Auteur La confiance est donc déterminante dans la construction d’un réseau. Il s’agit d’un mécanisme de coordination entre agents économiques (Williamson, 1993), alternatif à la contractualisation marchande (Simon, 2007), pour prendre en compte de nouvelles formes de relations qui émergent dans les structures (Granovetter, 1985), dépassant ainsi les approches économiques dominantes de rationalité des acteurs. La confiance peut être institutionnelle, c’est-à-dire attachée à une structure formelle qui garantit les attributs spécifiques d’un individu ou d’une organisation (Zecker, 1986 ; Williamson, 1993, 1975; Young & Wilkison, 1989), interpersonnelle fondée sur les liens sociaux comme par exemple l’appartenance à une famille, une ethnie, un groupe donné etc. (Zecker, 1986; Granovetter, 1985), ou relationnelle construite autour des échanges passés ou attendus (Zecker, 1986). Cependant, si la confiance devient centrale dans toute transaction sociale, elle n’occulte en rien les risques d’opportunismes et les incertitudes dans les transactions. La confiance est avant tout une décision risquée (Bornarel, 2017; Woolthis et al., 2005; Skander & Prefontaine, 2016), puisqu’elle vient les compléter les contrats dans des groupes humains où personne ne maîtrise l’ensemble des paramètres sociaux (Laurent, 2019). Autrement dit, la confiance vient se substituer à une information manquante. Ainsi, la confiance est déterminante dans l’action collective, la constitution de collectifs au niveau local, voire plus simplement dans les interactions locales (Dupuy & Torre, 2004). Par ailleurs, ces relations de confiance se construisent le plus souvent dans des contextes locaux d’interactions bien qu’il ne faille pas exclure les interactions a-spatiales. Et comme nous l’avons souligné dans les sections précédentes, la question des interactions locales se rattache aux logiques de proximités. Ainsi, appréhender la confiance dans un réseau d’acteurs – comme mécanisme de

coordination économique – revient à se pencher sur l’influence des différents types de proximités, notamment à partir des relations spatiales entre les acteurs. En effet, la proximité géographique constitue un élément important dans la mise en place d’une relation de confiance au niveau local (Dupuy & Torre, 2004). Cependant, puisque l’action collective relève des intentionnalités humaines et des structures d’action, les dimensions organisationnelles et institutionnelles ne sauraient être occultés pour caractériser les relations de confiance. De ce point de vue, la proximité offre un cadre intéressant dans la description ou l’analyse des réseaux d’acteurs, et va bien au-delà de la simple géographie ou d’une représentation spatiale des acteurs (Amin & Wilkinson, 1999). Elle suppose que les interactions au sein d’un réseau d’acteurs ne sont donc potentiellement porteuses de bénéfices qu’à partir du moment où elles mobilisent les relations sociales, les interactions coordonnées et structurées, les logiques institutionnelles et conventionnelles, dans une représentation spatiale donnée. En d’autres termes, la dynamique de réseau ne se construirait qu’au travers des alliances formelles et marchandes (contrats, conventions, par exemple), des normes institutionnelles et réglementaires, des relations informelles et non marchandes, etc. Ces différents leviers mettent en évidence l’importance de la confiance dans un processus collectif.

Cependant, la proximité sociale ne saurait, à elle seule, corriger les faiblesses de relations au sein d’un réseau d’acteurs, ou consolider les mécanismes institutionnels, organisationnels et cognitifs. À cet effet, l’articulation des proximités aux projets collectifs s’est récemment nourrie de nouvelles perspectives et/ou champs d’analyse (Tableau 4). Ces nouvelles perspectives viennent témoigner d’un nouveau regain pour la théorie des proximités et/ou d’une volonté de sortir d’une réflexion statique. En effet, longtemps, la théorie des proximités ne fut exploitée que pour décrire et/ou analyser les trajectoires de coopération, en occultant les trajectoires interrompues et celles de reconduction des coopérations (Gallaud, 2018). Ainsi, à l’instar de l’école française, les développements théoriques de l’école anglo-saxonne se sont particulièrement enrichis, ces dernières années, en proposant une perspective dynamique des proximités et s’articulant les unes aux autres (Gallaud, 2018 ; 2020). Et quoique restée dans l’ensemble attachée aux formes originelles de la proximité - telles qu’elle l’a définies – l’école française se nourrit des différents développements de l’école néerlandaise.

Tableau 4 : Autres formes de proximités dans l'analyse des réseaux d'acteurs

Auteurs Formes de

proximités

Types et/ou objectifs de

liens Points forts Points faibles

Fournier et al., (2005)

Proximité familiale Liens préexistants entre les membres d’une même famille ou d’une même communauté.

• Appartenance à une communauté • Adhésion à un certain nombre de

normes et de valeurs communes • Existence d’un dispositif de

sanctions propres à la communauté

• Application à des unités familiales et artisanales

• Processus social traditionnel

• Modes de coordinations domestiques appuyées sur des faits et pratiques locaux Proximité professionnelle (ou industrielle) Liens créés entre professionnels impliqués dans la même activité ou comprenant leurs intérêts à coopérer.

• Mécanisme de production collective en vue de réaliser des économies d’échelles

• Mobilisation incertaine

• Relations de confiance très formalisées et fébriles face aux conflits

Bahers et al., (2017)

Proximité industrielle Liens créés pour répondre à des enjeux techniques et d’économie d’échelles.

• Structuration de réseaux en fonction

des logiques économico-

institutionnelles

• Emphase sur les enjeux techniques

• Lecture trop axée « filières » ou « activités » du projet collectif

• Vision et/ou approche très économique de la proximité

• Faible considération, voire abandon, de la proximité spatiale

Proximité

environnementale

Liens créés pour répondre à des problématiques environnementales.

• Adhésion à des valeurs

environnementales communes • Appartenance à une dynamique de

réseau liée à l’environnement

• Appropriation presque exclusive sur les questions liées à l’environnement • Faible mobilisation pour analyser

• Considération floue et variée de la proximité spatiale

Proximité politico- administrative

Liens créés pour répondre

à des contraintes

règlementées.

• Normes institutionnelles

règlementaires de l’action publique • Impulsion citoyenne et acceptation

sociale des projets

• Emphase sur l’action publique locale • Approche plus contraignante et moins

coercitive

• Logique de relations très formalisées, voire conflictuelles

Proximité socio- économique

Liens créés pour répondre

à une volonté de

développer le territoire local.

• Valorisation des ressources territoriales

• Articulation de la dynamique de réseau à des enjeux sociaux locaux

• Approche d’analyse très localisée • Forte articulation à des problématiques

de développement territorial

• Faible ou absence de considération d’une valeur immatérielle de la coopération

Cirelli et al., (2017)

Proximité contestée Liens créés pour faire émerger des contestations et/ou des conflits en lien avec les représentations des individus

• Mise en évidence de l’importance de la prise en compte des conflits de proximité

• Mise en évidence des insuffisances des mécanismes institutionnels

• Emphase sur les conflits • Unité spatiale assez restreinte

• Pas de frontières claires de l’écosystème d’acteurs

• Forte articulation aux projet relatifs à l’environnement

Beaurain et al., (2017)

Proximité relationnelle

Interactions entre les acteurs et modes de coordination des actions.

• Appartenance à un réseau d’interconnaissance

• Similitude dans les cadres cognitifs

• Faible articulation à certains profils d’acteurs (notamment publics) et aux démarches très formalisées

• Appropriation parfois exclusive d’autres types de proximités et/ou de relations

Ces différents développements théoriques et empiriques autour des proximités font de celles-ci des mécanismes d’efficience de l’action collective. Dans le cadre de cette thèse, je fais quelques hypothèses fondamentales. En premier lieu, les proximités se renforcent mutuellement. En second lieu, elles peuvent être lues comme sources et résultantes d’une action collective. Ces hypothèses s’inscrivent dans le prolongement de celle de Fournier et al. (2005) : le type de proximité originellement constitutive du réseau influe largement sur le type d’activités développées, les modalités d’interactions entre les acteurs, sa durabilité et les conditions de son institutionnalisation. Ainsi, si l’on s’inscrit dans une perspective territoriale de l’écologie industrielle, il s’avère que la coordination par le marché du réseau est insuffisante. Les échanges de flux s’articulent à des relations complexes, construites autour de la localisation des acteurs, une pluralité de valeurs en jeu, des interactions sociales, etc. Puis ces relations complexes et asymétriques nécessitent des formes nouvelles de gouvernance et/ou de coordination. Comme le suggèrent Beaurain et al. (2017), la complexité de ces relations amène à distinguer dans l’analyse des démarches d’écologie industrielle, une proximité spatiale et une proximité de naturelle relationnelle qui elle, renvoie aux modalités d’agencement des activités humaines, aux différentes manières d’être proches hors de la proximité géographique (appartenance à un réseau, à une organisation, etc.). Si leur raisonnement se concentre sur une dimension interactionniste de la proximité, l’on ne peut occulter l’importance des mécanismes institutionnalisés. Dès lors, mon cadre proximiste repose sur trois dimensions essentielles (Tableau 5).

Tableau 5 : Cadre d'analyse proximiste adopté

Types de proximité Déterminants Modalités

Proximité géographique • Distance métrique et fonctionnelle • Proximité géographique recherchée et subie Le territoire comme ressource

Proximité institutionnelle

• Micro : valeurs, normes communes, modèles d’actions et de pensées partagés

• Méso : mécanismes institutionnels de la coordination du réseau et des interactions entre acteurs

• Macro : normes institutionnelles et règlementaires de l’action publique, modalités incitatives des institutions publiques

Contraintes et ressources

institutionnelles

Proximité relationnelle

• Modalités organisationnelles de structuration et de coordination du réseau

• Interactions marchandes et/ou formelles liées à la collaboration

• Relations sociales et interactions non marchandes liées à la collaboration

• Apprentissage collectif et mutuel

• Partenariats économiques et environnementaux

Gouvernance locale et processus de développement territorial