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CHAPITRE 4 : L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE AU CŒUR DE L’INNOVATION TERRITORIALE AU KAMOURASKA

4.2. De l’action publique dans l’émergence de l’ÉIT au Québec

Au Québec, les démarches d’écologie industrielle et territoriale (ÉIT) se développent sous l’influence de différents dispositifs publics, à la fois règlementaires et incitatifs. Ces outils institutionnels remontent aux instruments juridiques déployés depuis la fin des années 1970. Ils portent notamment sur la modification apportée à la section VII de la Loi sur la qualité de l’environnement de 1972 (Olivier, 2010). Cette modification concerne l’adoption d’un règlement sur les déchets solides, notamment la fermeture des dépotoirs, les limitations du nombre de lieux d’élimination et la normalisation des différents modes d’élimination (Le Goff, 2012). Ces différentes mesures se sont progressivement renforcées suivant les différents amendements à la politique québécoise de gestion des matières résiduelles.

4.2.1. Des politiques de gestion des matières résiduelles

L’opérationnalisation, vers la fin des années 1980, d’une politique de gestion intégrée des déchets a véritablement posé les jalons d’une responsabilisation des entreprises et des collectivités territoriales autour de démarches locales et concertées de récupération et de valorisation des résidus de matières (Le Goff, 2012; Olivier, 2010). Et les modifications successives apportées à cette politique de gestion intégrée des déchets, devenue plus tard la Politique de gestion des matières résiduelles (PGMR), ont permis d’amorcer une transition dans les pratiques des entreprises québécoises. Plutôt inscrits dans une logique directive et non pas directement dédiés au développement des synergies industrielles (Molaison, 2016), ces outils règlementaires viennent compléter une trentaine de lois canadiennes et québécoises qui encadrent l’impact environnemental des activités industrielles (Maltais-Guilbault, 2011).

À partir des années 2000, les synergies industrielles sont alors considérées comme des réponses aux orientations règlementaires de la Politique de gestion des matières résiduelles (Beaudin-Quintin, 2011). En effet, celle-ci établit des restrictions majeures sur l’élimination de certains résidus de matières tels que le papier- carton, le bois et les matières organiques (cf. Plan d’action 2011-2015 de la PGMR). Puis, elle intensifie la pression sur les organisations économiques autour de leur valorisation. Par ailleurs, les expérimentations de l’écologie industrielle au Québec sont davantage associées aux plans régionaux de gestion de matières résiduelles. Cela souligne l’importance de l’échelle locale dans l’institutionnalisation de la contrainte environnementale, et, plus largement, dans l’organisation territoriale du Québec. Ainsi, les plans régionaux de gestion des matières résiduelles (PGMR), élaborés et portés par les MRC à partir du tournant de la fin de la décennie 1990, se présentent comme des outils dédiés à l’amélioration des performances territoriales en matière de valorisation. À cet effet, le plus récent PGMR du Kamouraska, qui date de 2016, indique explicitement une action de mise en place d’un projet d’économie circulaire avec les industries, commerces et institutions du territoire (Tableau 12).

Tableau 12 : Quelques mesures réglementaires du PGMR 2016-2020 du Kamouraska relatives à l’économie circulaire

Actions Catégories de matières

Obligation de recyclage ou valorisation des boues de fosses septiques

Matières organiques Obligation de valoriser les résidus de béton, de brique,

et d’asphalte ainsi que du bois dans les contrats municipaux

Résidus de construction, rénovation et démolition

Adopter ou modifier la règlementation municipale afin d’interdire certaines matières dans le bac à déchets

Déchets solides

Source : PGMR 2016-2020 du Kamouraska À ces mesures réglementaires à l’échelle régionale s’ajoutent, au niveau local, les règlements d’urbanisme : règlement de zonage, règlement de lotissement et règlement de construction. Ces derniers ont le pouvoir d’induire une forme de contrainte environnementale locale, tout en influençant le comportement des entreprises locales. En effet, si on considère les thématiques qu’ils abordent relativement aux pollutions et risques liés aux activités économiques, aux déchets et à la consommation de l’eau et à la localisation des activités industrielles sur le territoire, ces règlements servent de leviers aux changements de pratiques des entreprises. Cependant, on ne peut dire qu’ils constituent une législation précise relative à l’écologie industrielle au Québec. Ainsi, les normes sur les émissions ou rejets de contaminants, la qualité de l’air, l’approvisionnement en eaux usées, les matières résiduelles, les matières dangereuses, les produits pétroliers, les sols contaminés, et autres, qu’elles soient provinciales ou fédérales, constituent en grande partie des facteurs d’influence du comportement des entreprises québécoises. À tous ces éléments coercitifs qui participent au développement de l’écologie industrielle au Québec, il convient d’ajouter l’existence de mécanismes purement incitatifs. Des leviers financiers et d’aide à la gouvernance et à l’animation des démarches sont opérationnalisés à la fois par des organes fédéraux, provinciaux et aussi par les collectivités territoriales.

4.2.2. Au-delà des lois et règlementations : inciter autrement

Longtemps associées aux initiatives des acteurs économiques, les synergies industrielles québécoises bénéficient depuis 2016 au moins, d’une intervention publique directe. Celle-ci se développe autour d’un accompagnement de la structuration et/ou coordination de réseaux, et au financement et l’assistance technique. S’ils ont pris du temps à se dessiner dans les stratégies publiques, les programmes de financement permettent aujourd’hui d’inciter autant les entreprises que les territoires à développer des synergies industrielles.

4.2.2.1. Des programmes financiers pour soutenir la transition

Les mécanismes financiers dédiés au développement de l’écologie industrielle s’appuient sur différents organismes d’État. Ces programmes de financement visent, entre autres, l’amélioration des pratiques de récupération des matières recyclables (papier, carton, plastiques, verre, métal), le diagnostic de flux pour certaines entreprises et municipalités, l’acquisition d’équipements et la recherche de nouveaux débouchés pour les résidus de matières. Ainsi quatorze démarches d’écologie industrielle ont bénéficié entre 2016 et 2018, d’un financement du gouvernement du Québec dans le cadre d’un premier appel à projet intitulé « Transition vers l’économie circulaire ». Ce programme était associé à un investissement total de 2,3 millions de dollars canadiens35 (Carte 5). Ce soutien financier est destiné à « des organisations bien positionnées auprès des

industries de leur territoire pour jouer un rôle de facilitateur dans la mise en place ou l’expansion des symbioses industrielles. » 36 (ORG-PUBL-QC).

Carte 5 : Cartographie des projets de symbiose industrielle financés par Récyc-Québec en 2016-2018

35 Un deuxième appel de propositions pour la transition vers l’économie circulaire a été lancé à l’hiver 2020 (https://www.recyc-

quebec.gouv.qc.ca/entreprises-organismes/mieux-gerer/appels-propositions/appel-propositions-economie-circulaire). Il vient compléter

un ensemble de programmes financiers mis en œuvre ces dernières années qui s’intéressent spécifiquement à la valorisation des matières résiduelles tels que le plastique, des résidus de gypse, des résidus de construction, rénovation et démolition (CRD), des pneus de chariot hors d’usage, etc. Tous ces appels à propositions sont consultables ici : https://www.recyc-quebec.gouv.qc.ca/entreprises-

organismes/mieux-gerer/appels-propositions.

36 Comme organisation « bien positionnée » sur le territoire, Recyc-Québec met en avant des organisations de développement

économique (SADC, CLD, chambres de commerce, etc.), des regroupements d’entreprises (parcs industriels, regroupements sectoriels), des organismes territoriaux (régions administratives, MRC, villes, etc.), des organismes environnementaux et sociaux (les conseils régionaux de l’environnement, des organismes à but non lucratif, organismes d’économie sociale, organismes inter municipaux de gestion des matières résiduelles, etc.)

Par ailleurs, d’autres organismes publics comme la Société du Plan Nord (SPN), le Ministère des relations internationales et de la francophonie (MRIF) apportent des soutiens financiers au développement des synergies industrielles au Québec. À cela s’ajoutent des enveloppes financières offertes souvent par les collectivités locales sur des problématiques spécifiques dans la mise en œuvre des projets. Ces financements concernent la communication, l’organisation d’événements spécifiques tels que des séminaires et/ou ateliers de recrutement d’entreprises. Il ne faut néanmoins pas occulter les interventions d’organismes fédéraux. Ainsi, Développement Économique Canada (DEC) accompagne les fonds d’investissement local (FIL) qui contribuent, à leur tour, au déploiement de l’écologie industrielle dans leur territoire. Cette intervention fédérale a ainsi permis d’octroyer une aide financière de 75 000 dollars canadiens pour la mise en œuvre du projet de symbiose industrielle du Kamouraska (Figure 6).

Figure 6 : Acteurs publics dans le financement du projet de symbiose industrielle au Kamouraska

Réal : Auteur, Source de données : SADC Kamouraska, Avril 2018 L’autre dimension non négligeable de l’action publique québécoise dans le développement de l’écologie industrielle réside dans l’accompagnement stratégique accordé aux organismes de projet pour la mobilisation des acteurs territoriaux, l’animation et la coordination des démarches.

4.2.2.2. Contribution publique à la gouvernance de l’ÉIT au Québec

Les symbioses industrielles québécoises naissent dans différentes régions, portées par des organismes publics et parapublics. Au chapitre de l’animation et de la coordination, on peut notamment souligner le rôle des municipalités régionales de comté (MRC), des Sociétés d’aide au développement de la collectivité (SADC), et des Centres locaux de développement (CLD). Plus spécifiquement, les MRC et les collectivités territoriales participent de manière considérable à la structuration des réseaux d’organisations.

En ce qui a trait à l’appui technique et le conseil aux porteurs de projets, la société d’État Recyc-Québec, s’investit particulièrement, en partenariat avec le Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI), en plus d’offrir du suivi dans l’application des mesures règlementaires et du financement. Plus récemment, la création du Pôle québécois de l’économie circulaire aide à identifier et développer des outils permettant à une pluralité d’acteurs de comprendre les enjeux. La mise en place du comité interministériel sur l’économie circulaire illustre, quant à elle, l’intérêt des acteurs publics de se pourvoir d’une vision globale dans la mise en place de démarches territorialisées. Ainsi, une douzaine de ministères et d’organismes publics « se rencontrent une fois tous les trois mois pour échanger autour de leurs projets qui touchent à l’économie circulaire » (ORG-PUBL-QC). Ces rencontres sont l’occasion de coordonner les efforts et visent à développer une compréhension commune de l’économie circulaire.

L’intervention publique apparait comme un levier d’actions pour dépasser les enjeux institutionnels, organisationnels et techniques du développement de l’économie circulaire. Par ces structures et le soutien offert, elle définit un processus participatif favorisant le développement des démarches d’écologie industrielle et territoriale. Conformément à ce que Buclet (2015) définit comme un langage institutionnel de l’écologie industrielle et territoriale, les politiques et les plans d’actions gouvernementaux québécois œuvrent ainsi pour un développement à grande échelle des démarches. Néanmoins, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de perspective de législation autour de l’économie circulaire comme c’est le cas dans d’autres pays (Allemagne et Chine par exemple). Il n’y a pas non plus, au Québec, d’intégration de l’approche dans des documents législatifs, comme on en trouve en France avec la loi Transition Énergétique pour la Croissance Verte (TEPCV).

De possibles mutations sont attendues dans l’action publique, notamment pour renforcer les solutions promues au développement de l’économie circulaire. Elles peuvent être appréhendées comme une forme d’innovation institutionnelle visant à définir de nouvelles similitudes et/ou liens relationnels entre les acteurs territoriaux autour de l’écologie industrielle. Cependant, l’absence de cadre institutionnel formalisé autour de l’écologie industrielle ne constitue pas une condition sine qua none au déploiement des projets territoriaux. Et les projets émergents – comme celui du Kamouraska – s’apparentent dorénavant à des cadres d’apprentissage, de construction et/ou de redéfinition de l’action publique. Plus spécifiquement, l’écologie industrielle se distingue ici comme un projet

structurant pour le territoire, notamment dans la conciliation du développement économique et la préservation du capital naturel.