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CHAPITRE 4 : L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE AU CŒUR DE L’INNOVATION TERRITORIALE AU KAMOURASKA

4.3. La région de Kamouraska : entre relance économique et préservation du capital naturel

Située à environ 120 kilomètres à l’Est de la ville de Québec et mêlant des attraits ruraux et urbains (Carte 6), la région de Kamouraska est soumise à de profondes mutations économiques et démographiques. À l’instar des communautés rurales du Québec, elle a connu une systématisation des activités économiques locales, notamment dans l’agriculture et le bois (Hughes, 1938). Toutefois, la région s’est démarquée avec l’implantation et le développement d’activités manufacturières d’envergures dans le secteur du transport (Dufour,1981). Ce regain industriel, au début des années 1960, a contribué à une profonde transformation du territoire, et à la mise en place d’une pluriactivité rurale dont le Kamouraska garde l’héritage encore aujourd’hui.

Cette économie plurielle a fait, au fil des années, la réputation du Kamouraska. Néanmoins, l’activité économique se concentre autour des villes de Saint-Pascal et La Pocatière37 avec, comme conséquence, une

dévitalisation des territoires agricoles et forestiers de la région. Ce déséquilibre économique se conjugue à une rareté pressante de la main d’œuvre pour les entreprises locales et à un vieillissement démographique. Ainsi, avec ses 21 000 habitants, la région de Kamouraska mêle des opportunités et défis économiques et démographiques. Cependant, elle dispose de nombreuses potentialités qui en font un territoire d’innovations.

4.3.1. Le Kamouraska : un territoire à la relance

Contrairement à d’autres communautés rurales du Québec, les structures productives sont encore bien présentes à l’échelle de la MRC de Kamouraska. On peut ainsi noter la présence de grands groupes industriels et manufacturiers, de petites et moyennes entreprises dans le secteur des services de proximité. Sur le parc industriel de La Pocatière38, on dénombre des entreprises de haute technologie dans le transport, de

l’agroforesterie, de la transformation agroalimentaire, etc. Dans la Ville de Saint Pascal, l’activité économique se caractérise par une diversité d’entreprises, allant de la machinerie agricole et lourde à l’automobile, en passant par une gamme variée d’entreprises de services (construction, excavation, gestion de matières résiduelles, etc.). Cependant, l’industrie kamouraskoise reste principalement associée à l’usine du groupe Bombardier à La Pocatière. Celle-ci y assure depuis près de 50 ans la fabrication des engins ferroviaires. Toutefois, le Kamouraska regorge de nombreuses réussites locales, notamment des entreprises ayant survécu aux périodes de crises. Ces entreprises participent durablement à la diversification et au renforcement de l’économie régionale.

Par ailleurs, en tant que région-ressource39, le Kamouraska bénéficie d’une nouvelle génération d’entreprises,

notamment du secteur des services. Leur présence est héritée d’un savoir-faire particulier de nature artisanale ou manufacturière à petite échelle. Une cinquantaine d’entreprises ont ainsi été créées, chaque année, entre 2009 et 201640. Et l’emploi total a connu une hausse d’environ 16%, sur la même période41. Cette effervescence

s’illustre également par le développement de centres d’innovation et de recherche spécialisés dans la mise en place de nouveaux procédés manufacturiers, et de produits bioalimentaires. Trois centres collégiaux de transfert de technologie (Solutions Novika, Biopterre, Optech), un incubateur en développement de produits

37 Ces deux villes disposent chacune d’une gare ferroviaire. 38 On parle de plus en plus du Parc de l’Innovation de La Pocatière.

39 La politique de « région-ressources » est un programme du gouvernement provincial qui permet d’accorder à des entreprises de

certaines régions du Québec des avantages fiscaux dont des crédits d’impôts pour les activités de transformation et d’investissement. Cette politique provinciale n’est pas sans susciter de réels débats, notamment en raison des tensions qu’elle fait naître entre territoires voisins : https://www.leplacoteux.com/decret-de-population-2019-petite-augmentation-kamouraska-forte-baisse-lislet/

40 Le nombre d’entreprises créées au Kamouraska est passé de 1092 en 2009 à 1416 en 2016, soit une hausse d’environ 30%. 41 L’effectif total d’emplois dans les entreprises de 8 736, en 2009, est évalué à 10 185 en 2016, et respectivement à 11%, 25% et 64%

bioalimentaires (le Centre de développement bioalimentaire du Québec), des cabinets indépendants d’innovation technologique (Inno 3B), ou encore des écoles de formation supérieure (Cégep de La Pocatière, Institut de technologie agroalimentaire) constituent des ressources territoriales importantes au développement du milieu.

Enfin, le tourisme représente un pilier important de l’économie kamouraskoise, laquelle reste aussi fragile que celle de l’ensemble du Québec42 (Bouchard, 2017 : 23). Dès lors, de nombreuses initiatives de valorisation du

potentiel touristique de la région sont développées par de jeunes entrepreneurs locaux ou par des néo-ruraux, s’inscrivant aussi dans la préservation d’un patrimoine culturel et naturel. En effet, les aménités environnementales et la villégiature ont toujours été d’une importance capitale dans le développement économique et le peuplement du Kamouraska (Bouchard, 2017), et leur préservation devient pressante. L’enjeu réside dans la conciliation de la préservation de ce « capital naturel » et du maintien d’une qualité environnementale avec les initiatives de diversification et de renforcement économiques.

4.3.2. De la préservation du capital naturel : récits d’enjeux écologiques locaux

L’économie du Kamouraska se veut attractive et multifonctionnelle afin de répondre aux actuels défis locaux, dont la dévitalisation des municipalités rurales. Pourtant, les réponses ne sauraient occulter les problématiques environnementales locales, et plus largement les enjeux globaux de transition écologique. Trois enjeux majeurs se dessinent dans la préservation du « capital naturel » et/ou la prise en compte des rapports entre les humains et la nature, de manière à « structurer et organiser le Kamouraska en termes de niveau de vie (développement économique), de milieu de vie (développement socioculturel) et de cadre de vie (développement de l’environnement naturel et bâti) » (Schéma d’aménagement, 2016 : p.47).

4.3.2.1. Des ressources naturelles et du patrimoine paysager

En dépit du développement de l’économie des services et du savoir, l’économie kamouraskoise doit faire face à quelques défis liés à l’exploitation de ressources naturelles. En effet, on dénombre sur le territoire des ressources minérales (carrières, gravières et sablières), forestières et agricoles (y compris la pêche), et de la tourbe (Carte 7). Et la prise en compte de ce potentiel relève d’un triple enjeu indissociable d’occupation du territoire, de développement socioéconomique des communautés rurales et de leur exploitation durable.

42 Cette fragilité de l’économie kamouraskoise est liée, d’une part, à la pénurie de la main d’œuvre et, d’autre part, aux secteurs d’activités

Carte 7 : Ressources extractives au Kamouraska

Ces ressources naturelles occasionnent fréquemment, pendant les phases d’exploitation, des pollutions (les plus importantes sont les poussières et le bruit) et une altération du réseau routier local (en raison de l’intensification soudaine du trafic). Par ailleurs, très souvent laissés à l’abandon après de longues périodes d’activités, la dépollution des sites miniers devient problématique. De plus, l’extraction minérale influence la quantité et la qualité de l’eau souterraine et/ou des eaux de surface. L’enjeu écologique a ici de multiples dimensions : l’incapacité d’une régénération naturelle du sol, une accentuation de l’érosion du littoral, l’accroissement des émissions de poussières, un abaissement de la nappe phréatique, la dégradation de la qualité des cours d’eau par l’accroissement de l’apport en sédiments (Schéma d’aménagement, 2016). Mais l’enjeu n’est pas uniquement celui de la préservation des ressources extractives. C’est aussi celui de la protection d’un paysage naturel.

En effet, le paysage naturel, façonné par endroits par l’activité humaine, soulève aujourd’hui des incertitudes en raison de l’intensification des activités touristiques, agricoles et du développement de quelques unités manufacturières. Les exploitations des carrières menacent ainsi les nombreux reliefs rocheux résiduels présents sur le territoire. Par ailleurs, l’industrie touristique au Kamouraska renvoie à une relation spécifique à la nature (Dufour, 2017), notamment à une biodiversité locale très riche entre forêts, montagnes, plans d’eaux, zones humides, etc. La préservation de cette biodiversité devient donc primordiale dans un double objectif économique et écologique.

4.3.2.2. De la biodiversité et de l’environnement naturel

La sauvegarde de la biodiversité et la préservation de la qualité de l’environnement constituent des enjeux stratégiques locaux dans le développement économique du Kamouraska. Les activités économiques locales passées et actuelles ont, d’une part, favorisé la dégradation physique de l’environnement et, d’autre part, soulevé de nombreuses questions de santé publique. Par exemple, selon les estimations de la MRC (2016), l’intensification de l’agriculture et l’accroissement des superficies agricoles ont engendré une carence d’environ 30% du couvert forestier. Cette situation compromet le maintien de la biodiversité associée à la forêt. De plus, les rejets indirects des déjections animales dans l’environnement naturel, la contamination des sols et des plans d’eau par l’usage d’engrais organiques ou minéraux constituent des problématiques majeures dans la préservation de la biodiversité, et de la qualité de l’air. Il en est potentiellement de même pour les activités urbanistiques et touristiques, et dans une certaine mesure pour le secteur industriel. À cela s’ajoutent l’épandage des pesticides, les rejets industriels, l’extraction de sols, la présence de sites d’entreposage d’hydrocarbures, etc.

La protection de la biodiversité a ainsi conduit à la détermination de zones de contraintes naturelles et anthropiques (inondation, érosion, carrière, site d’élimination des déchets, etc.). Il en va de la préservation d’un écosystème sensible et de différents sites d’intérêt écologique sur le territoire. Mais l’enjeu primordial concerne la gestion des matières résiduelles et autres formes d’externalités environnementales liées essentiellement à des émissions atmosphériques et à la pollution de l’eau. Le développement économique du Kamouraska repose alors sur une volonté manifeste de prise en compte des enjeux écologiques. Et c’est dans le respect de ce principe que se constitue, depuis 2016, un réseau local d’acteurs autour du projet de symbiose industrielle.

4.4. Le réseau d’acteurs de la symbiose industrielle de Kamouraska : entre petites et moyennes