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2.1. L’école française de la proximité : genèse d’un champ théorique et analytique

2.1.2. La proximité organisée : logique interactionniste de l’action collective

Fondée sur les interactions effectives et de natures diverses entre les acteurs situés très souvent au sein d’un même espace (Gilly et al., 2000), la proximité organisée renvoie à l’idée d’une démarche collective résultant des actions d’un groupe humain, des structures de gouvernance appartenant à un espace géographique dont les frontières peuvent varier au gré des interactions (Torre & Beuret, 2012). Plus spécifiquement, la proximité organisée traite de la séparation économique des agents. Elle aborde les rapports entre les acteurs, que ces rapports soient marchands ou non. Elle désigne les interactions, qu’elles soient intentionnelles ou pas. La proximité organisée est également façonnée par les représentations des individus (Angeon & Callois, 2005). Cette proximité organisée se décline en deux logiques : l’appartenance et la similitude (Gallaud et al., 2012 : 266).

17 Les mutations dans les activités économiques s’accompagnent d’une (ré)organisation de l’espace. Ils en résultent ainsi des usages ou des représentations différentes entre usagers permanents et temporaires (Torre & Filippi, 2005). La proximité géographique temporaire suppose que les acteurs se rencontrent en un lieu donné pour un temps défini par les besoins de l’interaction (Gallaud et Torre, 2005; Torre, 2011). Et la proximité géographique permanente correspond à la distance le plus souvent kilométrique séparant deux acteurs (Gilly et Torre, 2000), leur accessibilité et la disponibilité des ressources (Torre, 2009).

2.1.2.1. Entre logique d’appartenance et de similitude

La proximité organisée relève des interactions et représentations communes qui conduisent à activer des collaborations entre des agents (Torre, 2016). L’analyse des interactions est appréhendée au travers d’une logique d’appartenance (appartenance des acteurs à un même espace de rapports et d’interactions) et de similitude (partage d’un même espace de valeurs, de modèles de pensées, d’actions et/ou de ressemblances). Il s’agit de mettre en évidence les capacités d’une organisation, d’un réseau, voire d’un territoire, à faciliter les interactions entre les acteurs, ou à les rendre à priori plus faciles qu’avec des unités extérieures (Torre & Rallet, 2005).

Cette proximité évoque les liens existants au sein du réseau d’acteurs. On parle d’une connectivité, qui peut se mesurer. Le potentiel d’interactions ou d’actions communes pouvant s’appliquer à des groupes d’acteurs, à des organisations ou à des institutions devient l’indicateur de mesure (Torre & Beuret, 2012). Les interactions peuvent être matérielles (échanges de flux physiques) ou immatérielles (échanges d’informations), et assurent un certain niveau de compréhension mutuelle entre les acteurs (Brullot, 2009). Cependant, la proximité organisée constitue une dynamique en construction permanente par l’ajout ou la suppression de nouvelles connexions dans les relations humaines.

En effet, de nouveaux liens se créent, ou se défont ; des alliances se nouent et donnent naissance à des regroupements d’acteurs plus ou moins durables. La proximité organisée s’articule alors à une recomposition de réseaux d’acteurs. Si elle permet la mise en place de nouvelles relations et des rapprochements, elle engendre aussi des conflits. Comme elle renvoie sensiblement à la prise en compte des intérêts et/ou des objectifs d’une pluralité de parties prenantes, cette proximité peut engendrer des tensions. Ainsi, la proximité organisée fait des relations entre les acteurs un déterminant des phénomènes spatiaux. Néanmoins, les relations doivent être partagées avec des intensités ou plus moins soutenues, et des degrés d’autonomie plus ou moins importants pour les acteurs dans leur établissement (Beaurain & Brullot, 2011 ; Beaurain & Varlet, 2015). Cependant, ces relations n’émergent que de l’activation de certains déterminants organisationnels qui en sont aussi la résultante.

2.1.2.2. Facteurs d’émergence de la proximité organisée

Si l’on remonte aux origines des théories de proximités qui s’intéressent à la localisation des systèmes de production, la proximité organisée se réfère à la mise en place des interdépendances techniques, des relations de dépendance/interdépendance économique et financière entre des acteurs d’un même réseau (Kirat & Lung, 1999). Cette considération a longtemps limité les interactions à leurs formes intentionnelles (marchandes ou formelles) alors que celles-ci peuvent bien être non intentionnelles (non marchandes ou informelles) (Gilly & Torre, 2000). Ainsi, dans la perspective d’une action collective territorialisée, les chercheurs adoptant une approche interactionniste - c’est-à-dire qui donne préséance à la lecture des interactions entre agents du

système sur la lecture des autres dimensions de ce système - font davantage référence aux modalités des relations plutôt qu’aux structures qui les gouvernent.

La proximité organisée est ainsi déterminée par la constitution d’un réseau d’acteurs fondé sur des relations de confiance et de coopération dans le but de préserver un système local. La confiance est assimilée comme un facteur permettant de mettre en place et de maintenir un processus de solidarisation des acteurs. Ce processus s’apparente davantage à l’apparition d’un comportement collectif qu’à une relation de nature explicitement coopérative (Dupuy & Torre, 2000). Cependant, la coopération est essentielle. La coopération se réfère aux alliances stratégiques, aux structures de groupes, aux liaisons économiques et techniques permettant de mesurer le degré d’intégration ou de séparation des organisations (Vicente, 2016). La confiance et la coopération constituent donc des instruments de facilitation de la nécessaire coordination de l’action collective (Antonelli, 1995).

Ainsi, du point de vue de la logique interactionniste, la proximité organisée renvoie à l’existence d’un réseau établi, fonctionnant au sein d’un périmètre spatial. Néanmoins, cet espace géographique ou périmètre de coordination (Maillefert & Schalchli, 2010) peut, dans le cas de certains projets, dépasser le cadre d’une zone d’activités, ou d’un territoire. La proximité organisée apparait alors comme un modèle d’organisation stylisé, s’articulant autour d’une relation entre la structure (le réseau) et les adhérents (les acteurs), le partage du risque économique et la nature de l’ancrage territorial (Filippi, 2005). L’abondante littérature sur la proximité organisée – notamment promue par les interactionnistes français – se heurte à la réalité des pratiques de l’action collective.

2.1.2.3. Au-delà du réseau : des questions en suspens

L’action collective est hétérogène. Elle est soumise à des spécificités du territoire ou du projet qu’elle porte. Ainsi, bien qu’elle dépende de la mise en place et/ou de l’existence d’un réseau d’acteurs, l’action collective regorge de nombreuses zones d’ombre non encore élucidées. Ainsi, la littérature ne précise pas la taille qu’un réseau doit avoir pour être efficient, ni le degré de connectivité, ou encore le niveau acceptable de complexité dans les interactions. Les études de la proximité organisée ne spécifient pas non plus l’intensité des relations et des modes de coordination à privilégier.

Seul le besoin de coordination du réseau fait l’unanimité au sein de la communauté de chercheurs. Cependant, mesurer la proximité organisée se limite souvent à décrire et/ou comprendre la capacité des acteurs à mettre en œuvre des interactions coordonnées. Dans ce contexte, une dimension institutionnaliste émerge de la lecture de la proximité pour proposer une nouvelle voie à la compréhension de la formation et le fonctionnement des réseaux d’acteurs (Talbot, 2005, 2008). Celle-ci fait l’hypothèse d’une diversité des formes organisationnelles. Elle considère que les interactions au sein d’un réseau sont fortement influencées, modelées et limitées par l’environnement institutionnel des différents acteurs. En effet, l’adhésion à un même espace de référence

renvoie, pour les auteurs que l’on peut désigner comme les institutionnalistes, à des règles de coordination internes aux organisations définies en référence aux institutions (Gallaud et al., 2012 ; Talbot, 2008). Autrement dit, l’action collective relève du domaine institutionnel (Angeon & Callois, 2005), qui se distingue tant comme une contrainte ou une ressource (Talbot, 2008). On parle alors d’une proximité institutionnelle, considérée parfois comme un registre à part de la proximité (Angeon & Callois, 2005), parfois comme une source de la proximité organisée (Hamouda & Talbot, 2018; Gilly et al., 2004 ; Talbot, 2005). Il demeure difficile de souligner avec précision l’existence d’une ligne de fracture tangible et/ou irréfutable entre les interactionnistes et les institutionnalistes.

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