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CHAPITRE 6 : DYNAMIQUE DE RÉSEAU DANS LA MISE EN ŒUVRE DES SYMBIOSES INDUSTRIELLES : LA

6.2. Quand l’organisation fait le réseau : l’action collective au prisme de l’organisation

6.2.1. Nécessité d’appropriation collective et compréhension mutuelle des enjeux

L’appropriation et la compréhension des enjeux relatifs à l’écologie industrielle constituent d’importants leviers de mise en œuvre des échanges de flux. Elles dépendent notamment de la perception et de la connaissance qu’ont les acteurs de l’écologie industrielle et de la problématique environnementale, mais aussi des compétences et capacités internes aux organisations (Kabongo & Boiral, 2017). L’écologie industrielle s’appuie ainsi sur une proximité cognitive, qui suppose des modalités communes et/ou semblables de connaissances ou de compétences techniques, managériales, écologiques entre les acteurs.

6.2.1.1. Le renforcement des capacités organisationnelles par des ressources internes

Nombreux travaux scientifiques permettent de considérer le déploiement de l’écologie industrielle repose sur différentes phases qui en facilitent l’émergence, le développement et le suivi (Baas & Boons, 2004 ; Davies & Domenech, 2011 ; Chertow & Ehrenfeld, 2012). Ainsi, pour Baas et Boon (2004), la démarche émerge d’une prise de décision autonome des entreprises, suivie de la reconnaissance mutuelle des enjeux, la confiance, le partage de connaissances, pour aller vers un écosystème industriel durable au sein duquel les acteurs possèdent une vision stratégique commune. La reconnaissance mutuelle des enjeux et la nécessité d’un partage de connaissances peuvent être lues comme l’activation d’une proximité relationnelle de nature à renforcer la propension à collaborer.

Dans nos démarches d’études, ces liens cognitifs se développent en premier lieu par la mobilisation des ressources internes au réseau. Les structures participantes bénéficient des compétences de certains acteurs internes sur les questions traitées, mais aussi de celles d’autres organisations parties prenantes. Ainsi au Kamouraska, le développement d’une filière de bois, dans le cadre des échanges de flux, s’appuie en partie sur

la connaissance qu’avait un employé d’une des entreprises participantes dans ce secteur. « Les acteurs étaient [nombreux] à penser qu’[ils avaient] tout fait ou tout trouvé avec le bois, mais [ce dernier les] a aidés sur le coup à trouver des solutions » (GRAN-ENT-KAM1). Si l’on peut rattacher l’apport de cet employé à son parcours académique et professionnel, celui-ci n’a été possible qu’en raison de sa présence sur le territoire, les liens relationnels, notamment les échanges, développés entre lui et les acteurs locaux de la filière du bois.

Mais plus largement, plusieurs entreprises parties prenantes aux deux projets disposent de personnes-ressources internes dont les parcours académiques et professionnels les ont aidées à se positionner au sein de la démarche. C’est particulièrement le cas des grandes entreprises avec des départements et des services relatifs à l’environnement, la gestion des matières résiduelles, etc. Le personnel de ces départements participe à la diffusion, en interne, des modalités conceptuelles, techniques et organisationnelles permettant le déploiement des synergies industrielles.

À l’échelle des réseaux, certaines organisations parties prenantes peuvent être mobilisées pour faciliter l’appropriation dans les structures des enjeux relatifs à l’écologie industrielle, notamment celles qui en possédaient une faible connaissance (Graphique 15).

Graphique 15 : Connaissance de l’ÉI avant le démarrage de projet au Kamouraska

Réal : Auteurs, Données : Enquête au Kamouraska, 2018 43%

14% 29%

14%

Au Kamouraska, l’organisme Co-Éco joue ainsi ce rôle en s’appuyant sur sa mission de longue date auprès des entreprises dans la gestion des matières résiduelles. Les activités de sensibilisation auprès des entreprises locales intègrent désormais la promotion des initiatives de circularité de flux, la présentation des dynamiques locales de synergies industrielles, des informations sur les procédures de demande de dérogation sur la valorisation de certains résidus de matières, etc. Néanmoins, certaines ressources externes au réseau, et travaillant spécifiquement sur l’écologie industrielle, sont mobilisées par les porteurs de projet pour intervenir auprès des structures participantes. La mobilisation de ces ressources externes au réseau démontre de l’importance des liens relationnels et de la distance fonctionnelle.

6.2.1.2. Le renforcement des capacités organisationnelles par des ressources externes

La mobilisation des ressources externes au réseau pour le renforcement des parties prenantes à nos démarches d’ÉIT de Kamouraska et au Port Atlantique La Rochelle, met en lumière que l’action collective peut se construire exclusivement autour d’une proximité relationnelle mais aussi de l’association d’une proximité géographique temporaire et d’une proximité relationnelle. Les démarches d’écologie industrielle renvoient au fonctionnement des systèmes d’innovation numérique au sein desquels les processus de création reposent essentiellement sur l’utilisation d’interactions médiatisées. Ainsi, les différentes phases de déploiement de l’écologie industrielle, ne sauraient se matérialiser sans une interaction fréquente entre les acteurs, un transfert de connaissances, le partage d’informations, etc.

Au Kamouraska, deux ressources externes sont particulièrement mobilisées pour le renforcement des capacités organisationnelles des entreprises sur la démarche de l’écologie industrielle. Les entreprises sont mises en relation avec les partenaires techniques que sont : le CTTÉI et l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME). À cela s’ajoutent les missions d’intervention et de collaboration avec un partenaire international, l’association Organisation pour le respect de l’environnement dans l’entreprise (OREE). Et dans le cadre de la démarche MER au Port Atlantique La Rochelle, cette nécessité de renforcement de capacités organisationnelles des parties prenantes, s’est traduite par un recours conséquent à un cabinet-conseil, à l’expertise technique de l’ADEME, et à une collaboration avec l’IUT de La Rochelle et d’autres universitaires. Ici, « l’appui de ces structures est très important, notamment parce que la connaissance que les entreprises ont de l’écologie industrielle était mauvaise » (ANIM-PORT-ENTR4).

L’implication de ces ressources externes au réseau, participe au renforcement de l’appropriation interne et collective de l’écologie industrielle. Ainsi, les interactions avec ces ressources extérieures, ont l’effet d’un déclic pour les entreprises dans leurs capacités à aller chercher des partenaires, notamment dans leur entourage, sur certaines préoccupations qu’elles avaient en interne. La diffusion de l’écologie industrielle, et plus largement de l’économie circulaire, entamée tant en France qu’au Québec, depuis quelques années par les pouvoirs publics,

n’est donc pas suffisante pour mobiliser les entreprises sur les territoires. Il faut amener les entreprises à appréhender l’intérêt que cela représente, malgré le fait que des groupes industriels apportent aujourd’hui un peu d’éclairage. Cependant, l’articulation des formes de proximités possibles suit différentes séquences. Néanmoins, nos terrains mettent en évidence une forte articulation entre proximité géographique temporaire et proximité relationnelle.

Par ailleurs, il existe un décalage entre les entreprises dans l’appropriation des enjeux reliés à l’écologie industrielle. Ce décalage est à mettre en lien dans certains cas, avec les profils des entreprises du réseau. « [Au Port Atlantique de La Rochelle par exemple], les grosses entreprises qui ont des responsables QSE, QHSE à l’interne ont été très importants pour le projet. Puis, il y en a des petites qui n’en ont pas dans leurs entreprises et qui n’ont pas les moyens de l’avoir » (ORG-ParT-PORT1). Dès lors, la complémentarité entre les acteurs devient essentielle. Il est primordial d’identifier les choses à faire ensemble pour amener les petites entreprises, ou les organisations en manque de ressources, à participer activement à la démarche.

6.2.1.3. Instituer et interagir pour mieux comprendre l’objet

Nos résultats montrent que l’appropriation de l’écologie industrielle par l’ensemble des parties prenantes repose sur une dynamique irrégulière dans l’articulation des différentes formes de proximités. À certains égards sur l’institutionnalisation progressive et renforcée de la contrainte environnementale participe à la construction ou l’activation de la ressemblance que les acteurs ont du projet. Cette proximité institutionnelle peut être saisie à différentes échelles (Chapitres 4 et 5).

À l’échelle du réseau, par exemple, l’adoption de la charte du développement durable, en 2010, au Port Atlantique La Rochelle se distingue comme un élément précurseur de la démarche d’écologie industrielle. En effet, cette charte a renforcé la contrainte pour les entreprises, d’adopter des pratiques durables. Mais on ne saurait faire reposer la dynamique de réseau sur des normes et/ou règles d’actions formellement établies. À cet égard, les rencontres-déjeuners du développement durable (DDD) au Kamouraska, ont grandement contribué à l’appropriation de l’écologie industrielle par les acteurs territoriaux. Ces organisations « avaient besoin de partager les mêmes concepts, les mêmes idées puis apprécier le potentiel de la démarche, voir ce que ça peut apporter » (ANIM-KAM). De plus, ces interactions directes entre les parties prenantes apparaissent plus productives pour expliciter les objectifs de la synergie, dans un contexte où la maturité des entreprises sur la prise en compte des questions environnementales est extrêmement variable. En d’autres termes, la proximité institutionnelle, lue comme règles d’organisations de l’action collective, ne saurait à elle seule, assurer une vision commune autour des projets : elle a besoin des relations entre les individus pour rendre cette vision commune plus sensible.

L’autre enjeu se situe dans le maintien ou le renouvellement de ces interactions facilitantes entre les acteurs dans un contexte où les leaders sont sursollicités. Au Kamouraska, par exemple, ce sont constamment les mêmes organisations qui sont mobilisées sur les différents projets territoriaux. Et « ce n’est pas nécessairement bon d’avoir les mêmes personnes tout le temps, des mêmes organismes dans les mêmes implications. À un certain niveau, c’est un ralentissement » (PME-KAM3). Les synergies visant la complémentarité des ressources, un tel fonctionnement en huis clos peut constituer un facteur de blocage dans l’acquisition des nouvelles modalités nécessaires au déploiement des projets. Ainsi, l’appropriation des enjeux relatifs à l’écologie industrielle peut nécessiter le leadership d’un acteur ou l’initiative des parties prenantes clef du réseau.

6.2.1.4. Du leadership local dans l’appropriation collective des enjeux

Dans les deux démarches étudiées, les organismes de projet sont en première ligne comme facilitateurs de l’internalisation de l’écologie industrielle dans les organisations parties prenantes. Au Kamouraska, la SADC constitue un maillon essentiel de la transmission et de l’intégration des logiques environnementales : « La SADC travaille super fort pour faire en sorte de faciliter l’intégration du concept dans les entreprises. Les entreprises doivent travailler fort aussi mais elles ont surtout besoin d’appui. Elles sont tellement occupées, elles sont tellement dans le jus qu’elles ont besoin de la SADC. » (COL-LOCAL-KAM1)

Il en est de même dans la démarche MER, où le Grand Port Maritime est en avant-garde de la veille réglementaire sur les pratiques environnementales au niveau de l’espace portuaire. Cela en fait un acteur-clé sur le chantier de l’écologie industrielle. Néanmoins, le positionnement des organismes de projet comme acteur majeur dans la compréhension mutuelle des enjeux soulève des questions relatives à l’existence d’une réelle dynamique de construction collective des démarches. En effet, les partenaires techniques externes mobilisés, tant au Kamouraska qu’à La Rochelle, sont opérationnels sur plusieurs démarches d’écologie industrielle. C’est particulièrement le cas au Québec, où le CTTÉI intervient sur la plupart des démarches québécoises d’ÉIT. En France, les périmètres territoriaux d’intervention de l’ADEME sont régionalisés, les choses sont un peu différentes.

Pour ce faire, la nécessité d’appropriation collective et/ou de compréhension mutuelle de l’écologie industrielle est à mettre en perspective avec les dynamiques de pouvoir. Celles- ci traduisent l’influence et le pouvoir social de certains acteurs dans un changement organisationnel (Haley, 2018 ; Boonstra & Gravenhorst, 1998 ; Munduate & Gravenhorst, 2003). Toutefois, les structures organisationnelles ne sont pas statiques. Les changements institutionnels internes aux organisations parties prenantes doivent être considérés comme des déterminants dans le déploiement des échanges de flux (Chapitre 7). Dès lors, les échanges de flux se confrontent davantage à la nécessité d’un projet qui vise le bénéfice de toutes les parties prenantes et à l’importance de la prise en compte du leadership territorial et de la souveraineté locale de certains acteurs.

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