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CHAPITRE 1 : ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE : PERSPECTIVE HISTORIQUE ET THÉORIQUE

1.3. L’écologie industrielle comme systèmes d’innovations

En proposant une mutation dans les modes de production, de consommation et d’organisation de l’activité économique et sociale, l’écologie industrielle s’appuie sur un ensemble de modalités techniques et organisationnelles qui peuvent être lues comme de potentielles sources d’innovations (Buclet, 2014). La transformation dont il est question, regroupe à la fois des changements techniques, de nouvelles formes d’organisation et/ou de management, des interactions sociales reposant toutes sur une multitude d’acteurs.

1.3.1. Écologie industrielle : entre simples échanges de flux et enjeux techniques

La rupture avec le caractère insoutenable du fonctionnement traditionnel des systèmes anthropiques nécessite un ensemble de modalités techniques, voire d’améliorations technologiques (Erkman, 2004 ; Graedel & Allenby, 2010). Les changements dans les procédés pour la réduction de l’utilisation des matières premières et de l’énergie, engagent la capacité des firmes, et plus globalement des parties prenantes à relever des défis techniques liés à l’expérimentation de nouveaux procédés, mais aussi à la maîtrise de flux de matières résiduelles à valoriser (Boiral & Kabongo, 2004 ; Kabongo & Boiral, 2017 ; Varlet, 2012). Le bouclage des flux résulte parfois d’une stratégie de recherche et développement, de requalification du personnel, etc. (Pereira & Vence, 2012).

Et dans une vision positiviste (Allenby, 2006 ; Allenby & Richards, 1994), la dimension technologique se détache même du contexte social, idéologique et managérial (Erkman, 2002). Les synergies industrielles sont alors

10 Dans le cadre de cette thèse, nous n’abordons pas l’économie circulaire à proprement parler. Nous défendons d’ailleurs l’idée d’une typicité entre les deux projets (écologie industrielle et économie circulaire) tant du point de vue historique, conceptuel que de leur positionnement en matière de durabilité. Cependant, afin de faciliter la compréhension de nos propos, nous admettons l’articulation entre l’écologie industrielle et l’économie circulaire, mais sans réduire la première à une simple composante de la seconde. Pour rappel, l’économie circulaire permet de générer des actions à différentes échelles pour la préservation des ressources naturelles, la réduction des déchets, des émissions dissipatives, etc. (Beaulieu & Normandin, 2016). Toutefois, il s’agit d’un concept non stabilisé et renvoyant à de multiples définitions et différentes formes d’expérimentations (Maillefert & Robert, 2017; Murray et al., 2017).

considérées au sens des relations entre activités et/ou flux ou entre industries et environnements (Allenby, 2009). Les acteurs sont aussi constamment à la recherche de l’expertise technique capable d’aider à identifier les synergies potentielles, et à leur mise en œuvre (De Marchi, 2012 ; Triguero et al., 2013). Toutefois, il apparait suffisamment difficile de retracer de manière convenable les évolutions techniques engendrées par l’écologie industrielle (Chembessi & Beaurain, 2019; Merlin-Brogniart, 2017).

La difficulté à énumérer les changements techniques liés à l’écologie industrielle réside dans les déficits d’informations disponibles sur les flux des entreprises et les procédés industriels. Surtout que l’écologie industrielle s’articule très peu à la mise en place de nouveaux systèmes technologiques, ou à un changement radical de techniques et de pratiques (Buclet, 2014). En effet, elle se réfère davantage à des innovations incrémentales qui constituent une amélioration de la technologie existante sans changer les usages et les pratiques institutionnels, ou à des innovations organisationnelles et sociales12. Cependant, l’enjeu technique est un déterminant important dans le développement des modes circulaires de production tels que portés par l’écologie industrielle (Allenby, 2005). Il aide à réduire le volume de matières non-renouvelables et la quantité produite de déchets (Cooper & Gutowski, 2017; Beers et al., 2007 ; Geng et al., 2007).

Proven and viable process technology and equipment is necessary to develop a regional synergy. The by-product must be transported between sites and may need to be processed to meet technical and market specification… (Van Beers et al., 2009: 370)

En outre, les trajectoires technologiques ne permettent assurément pas aux échanges de flux de corriger les faiblesses environnementales des organisations industrielles (Diemer, 2012 ; Du Tertre, 2011 ; Erkman, 2004). Elles ne permettent pas non plus de contrer l’effet rebond de la circularité des flux (Figge & Thorpe, 2019 ; Zink & Geyer, 2017). Le progrès technique devient alors un « objet inerte » presque incapable de conduire à la transition écologique.

Par ailleurs, le progrès ne peut être appréhendé isolément de l’agenda public et/ou politique (Macnaghten et al., 2019; Nußholz et al., 2019; Costa, Massard & Agarwal, 2010), ni du contexte social et/ou du système d’acteurs dans lequel s’intègre la démarche d’écologie industrielle (Carberry et al., 2019; Green & Randles, 2006). Ainsi, l’écologie industrielle renvoie à des interactions entre différents sous-systèmes techniques, organisationnels et institutionnels (Arnsperger & Bourg, 2016), qui permettent de connecter l’enjeu technique à des intentionnalités

12 Cette distinction des possibles innovations induites par l’écologie industrielle se base sur les typologies de l’innovation de Freeman et Perez (1998) et de Galiègue (2012) qui identifient quatre types d’innovations : incrémentales, organisationnelles et sociales, transformatrices et technico-fixes. Les innovations technico-fixes supposent des changements techniques radicaux qui préservent les pratiques existantes. Elles sont très peu associables à la transformation écologique des sociétés industrielles qui supposent le dépassement ou la rupture avec les pratiques existantes.

humaines, des questions managériales, etc. (Boons & Roome, 2000 ; Ehrenfeld, 2004 ; Korhonen, 2004). Dès lors, les facteurs humains (valeurs, choix, conflits, etc.) deviennent déterminants dans la mise en œuvre de l’écologie industrielle (Christensen, 2006 ; Cohen-Rosenthal, 2000 ; Mirata & Emtairah, 2005). Elle peut être appréhendée dans une approche plus constructiviste, supposant des interactions (échanges d’informations, de connaissances et de techniques) et des modalités d’organisation (co-localisation, réseaux d’échanges), afin de maîtriser les effets rebonds ou les possibles externalités négatives du tout technologique (Magnusson et al., 2019; Jensen et al., 2011).

1.3.2. Écologie industrielle : enjeu institutionnel et organisationnel

L’écologie industrielle a la particularité de ne pas être un système fermé, ni statique. La structure sociale joue un rôle fondamental dans son fonctionnement (Magnusson et al., 2019; Green & Randles, 2006). Celle-ci peut être lue au regard des interactions et des relations entre les acteurs (Beaurain et al., 2017 ; Brullot et al., 2014 ; Chertow & Ehrenfeld, 2012), mais également en s’intéressant aux valeurs, normes et réglementations que ceux-ci partagent (Costa et al., 2010 ; Jiao & Boons, 2014 ; Korhonen et al., 2004). Ces normes et règles tendent à positionner l’écologie industrielle au cœur d’un processus d’innovation sociale, qui s’appuie sur la créativité des acteurs et en particulier des acteurs privés13.

1.3.2.1. Des changements internes aux parties prenantes

Les relations interindustrielles nécessitent des changements organisationnels, qui touchent particulièrement les entreprises. Ces changements supposent des ajustements et des efforts parfois considérables en termes de ressources et de compétences (Boiral & Kabongo, 2004 ; Kabongo & Boiral, 2017). L’acquisition, la diffusion, la production de connaissances et/ou de compétences permettent de s’adapter individuellement et collectivement aux exigences des synergies industrielles. Cela requiert la plupart du temps un processus d’apprentissage collectif, exige un savoir-organisationnel de réseau (Merlin-Broignart, 2017). Face à ces exigences, on assiste, par ricochet, à des différenciations et à l’émergence d’avantages comparatifs à l’égard de la concurrence (Short et al., 2014).

S’ils permettent de sortir du lot de la concurrence, ces changements internes participent aussi à renforcer la similitude des normes, des valeurs et/ou des pratiques des parties prenantes. Ce partage d’éléments communs permet aux acteurs de disposer d’une compréhension mutuelle des enjeux pour s’employer, chacun à son niveau et collectivement, à apporter des solutions aux problèmes rencontrés. Néanmoins, une fois l’adhésion

13 L’innovation sociale renvoie à un déplacement du regard, de la technologie ou de l’entreprise vers la société (Richez-Battesti, Petrella, & Vallade, 2012 : 15), s’appuyant sur l’association devenue presque normative de toute démarche entrepreneuriale à une dynamique sociale (Idem : 16).

des acteurs à l’écologie industrielle acquise, l’enjeu réside dans la gouvernance de la démarche, allant même au-delà du système industriel en question (Farla et al., 2012). À cet effet, l’écologie industrielle se fonde sur des modes de management coopératif capables de générer de manière plus systémique, et à un niveau local, des réponses collectives et concertées (Buclet, 2014 ; Chertow & Ehrenfeld, 2012).

1.3.2.2. Des modalités de gouvernance et de régulation

L’écologie industrielle s’analyse en fonction des implications de différentes échelles spatiales et/ou institutionnelles. Celles-ci concernent les valeurs et normes individuelles des entreprises (micro), le rôle et les dynamiques au sein du réseau ou le cadre institutionnel dans lequel évoluent les acteurs (méso), et l’influence des politiques publiques, de l’agenda politique, du rôle citoyen ou des mouvements sociaux (macro). La mise en relation de ces différentes échelles apparait de plus en plus nécessaire dans la diffusion de l’écologie industrielle. De plus, la multiplicité des acteurs et des démarches qu’elles soient spontanées ou planifiées, et la spécificité des territoires de projets, mettent en lumière l’importance des modalités organisationnelles dans le déploiement de l’écologie industrielle.

Ces modalités organisationnelles sont lues au travers des capacités des acteurs à prendre en compte la complexité du réseau, définir des processus de communication, développer des interactions marchandes ou non, afin d’assurer une appropriation collective des échanges de flux de matières et d’énergies ou des synergies de mutualisation (Chertow, 2007 ; Ehrenfeld & Gertler, 1997). Cela regroupe l’ensemble des mécanismes individuels et collectifs pour la coordination et la régulation des interactions entre les acteurs, et répondre aux incertitudes et aux possibles conflits qui peuvent exister au sein du système (Beaurain & Varlet, 2015 ; Brullot et al., 2014 ; Chertow & Ehrenfeld, 2012; Konietzko et al., 2019). Elles dépendent essentiellement des acteurs en présence : ceux qui imaginent ou structurent le réseau et les ressources ; et ceux qui les utilisent et participent à son développement (Musiolik et al., 2012).

Pour ce faire, l’écologie industrielle dépend des évolutions positives des relations sociales entre les acteurs et/ou des normes établies entre eux. Lesquelles dépendent du contexte territorial, notamment du contexte social originel, support inévitable de toute activité industrielle (Cerceau et al., 2014 ; Merlin-Brogniart, 2017). Autrement dit, l’écologie industrielle ne peut se détacher d’une certaine interdépendance avec le milieu, c’est-à-dire le territoire. Ainsi, elle s’inscrit dans une planification à la fois individuelle, c’est-c’est-à-dire les nouvelles orientations des acteurs, et collective avec comme objectif ultime de resituer l’activité industrielle au cœur des enjeux de préservation de la biosphère et dans la perspective d’un partenariat « gagnant-gagnant » pour l’ensemble des parties prenantes (Esty & Porter, 1998; Sullivan et al., 2018).

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