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CHAPITRE 2 : L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE COMME ESPACE D’ACTION COLLECTIVE : LA THÉORIE DES

2.2. L’école néerlandaise ou anglo-saxonne de la proximité : enrichissement, affirmation et distinction

2.2.2. La proximité organisationnelle et institutionnelle : de nouveaux éléments de repérage

L’une des limites du modèle français des proximités est qu’il ne mobilise pas suffisamment la déclinaison de la proximité organisée suivant les logiques d’appartenance et de similitude (Gallaud, 2018) qu’il a lui-même développées. D’une part, les auteurs abordent trop souvent la coopération au travers de l’appartenance des

acteurs à un même espace collectif, qui leur ouvre un potentiel d’interactions plus important qu’avec des acteurs extérieurs. D’autre part, ceux-ci appréhendent plutôt dans leurs travaux, la similitude comme résultante de la coopération et/ou du déroulement du projet, alors même qu’ils le considèrent du point de vue théorique comme facteur d’émergence de la coopération. De plus, le courant institutionnaliste français de la proximité ne permet pas véritablement de combler ces insuffisances dans la mobilisation de la proximité organisée. Ces différents éléments suggèrent le renouvellement de la conceptualisation par l’école française de la proximité non géographique afin de rendre compte de la dynamique de l’action collective (Gallaud, 2020). Il s’agit ainsi de reconsidérer dans la mise en place d’une coopération, la similitude et plus uniquement l’appartenance. En réponse à cette complexité française, l’approche néerlandaise associe la proximité institutionnelle – tout en admettant que celle-ci peut être capitalisée sur des expériences antérieures – au cadre institutionnel et politique au niveau macro (Boschma, 2004b : 17).

2.2.2.1. Entre néo-institutionnalisme et régulation sociale

Le développement théorique hollandais de la proximité institutionnelle s’inspire, à mon sens, de la théorie néo- institutionnelle (DiMaggio & Powell, 1983) et de la théorie de la régulation sociale (Reynaud, 1997). En effet, ces deux théories permettent de déterminer les mécanismes institutionnels et de régulation qui sous-tendent l’exécution d’un leadership et de la vision des parties prenantes à une action collective. Elles offrent aussi de mesurer ou comprendre les capacités de ces parties prenantes et leur propension à collaborer. Constituées et s’articulant autour de la question des institutions et des modalités sociales, elles aident à analyser les dispositifs de transfert des droits et des connaissances (De Terssac, 2012 ; Menard, 2003), tout en établissant une séparation entre ce qui relève de la norme légale à caractère obligatoire (contrainte), et ce qui relève du volontarisme (Klarsfeld & Delpuech, 2008).

L’aménagement institutionnel se réfère ici aux normes et valeurs de comportements des différents acteurs, puisque les normes et valeurs incorporées dans les relations d’échanges s’expliquent au travers de la proximité organisationnelle (North, 1990). Il s’agit d’un « cadre institutionnel fort s’appuyant sur des lois, règlements applicables et cohérents, un gouvernement actif et capable de réactions, une structure culturelle forte avec une langue et des habitudes communes » (Boschma, 2004b :18). En d’autres termes, l’action collective n’émerge que lorsque les individus et organisations partagent le même environnement politique et règlementaire. Par ailleurs, si l’échelle d’appropriation de la dimension institutionnelle de la proximité diffère de celle de l’école française, ces deux écoles s’accordent sur deux points importants.

En premier lieu, l’inertie institutionnelle peut faire obstacle à la mise au point de nouvelles démarches nécessitant la construction d’une action collective. En second lieu, l’aménagement institutionnel peut favoriser l’apparition d’un réseau, par le biais de politiques d’incitations et/ou mesures coercitives. L’approche théorique néerlandaise ne remet donc pas en cause la proximité organisationnelle à la française. Elle la complète par les déterminants

institutionnels macro, micro et méso, puis s’attache à mettre en évidence la problématique de l’intensité des interactions et des collaborations dans les réseaux (Balland, 2012). Elle propose ainsi la distinction entre une proximité organisationnelle faible (aucun ou faible lien entre les acteurs) et une proximité organisationnelle forte (présence de liens forts et hiérarchisés).

Par ailleurs, l’approche néerlandaise établit la possibilité pour les acteurs, de passer d’un niveau d’intensité à un autre. Autrement dit, le maintien des relations entre les acteurs peut être remis en cause, en fonction des objectifs et de la façon dont les relations se construisent dans la durée. Car le niveau de densité évolue dans le temps (Filippi, 2005 ; Gilly et al., 2000). À cet effet, les travaux de Boschma et ses collègues émettent l’hypothèse que plus les réseaux sont grands, plus les intérêts divergent. Dans le même sens, l’exercice de contrôle et/ou de coordination devient difficile et les relations asymétriques. Cela a comme conséquence de favoriser une gouvernance hiérarchique des réseaux d’acteurs (Grabher, 1993). Autrement dit, la proximité organisationnelle et/ou institutionnelle ne saurait empêcher l’apparition, ni résoudre les conflits. Cependant, la proximité organisée offre des ressources pour la coopération et la négociation entre les acteurs. Il s’agit alors de savoir s’il faut empêcher les conflits, s’il faut les prévenir, ou encore minimiser leurs impacts sur le système d’acteurs.

2.2.2.2. Des leviers de régulation et de coordination entre acteurs

Pour l’école néerlandaise, la proximité non géographique est appréhendée comme un référentiel de solutions et d’arrangements dans la construction de l’action collective territoriale. Suivant cette perspective, si l’institution est régulatrice et créatrice de normes, elle est aussi organisatrice. Le côté normatif se lit à l’échelle des règles, lois, contrats, conventions, etc. L’aspect organisationnel, lui, est à comprendre sous le prisme des liens sociaux et de confiance. Il s’agit alors d’une articulation contrat-confiance (Beaurain & Varlet, 2015 ; Decouzon et al., 2015) qui peut être saisie à travers deux formes particulières de proximité : cognitive et sociale. Celles-ci expliqueraient pourquoi certains aménagements institutionnels ou certaines interactions entre acteurs se développeraient et fonctionneraient mieux que d’autres. En d’autres termes, il existerait potentiellement un certain degré optimal d’encastrement social des relations économiques et/ou d’institutionnalisation des relations (Bouba-Olga & Grossetti, 2018 : 1401).