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CHAPITRE 5 : DES SYNERGIES INDUSTRIELLES COMME LEVIERS DE COMPÉTITIVITÉ TERRITORIALE AU PORT

5.2. De l’ÉIT dans les politiques publiques en France : un nouvel enjeu de l’aménagement du territoire

Depuis les années 1990, la sphère publique française s’emploie particulièrement à investir les champs d’actions capables de conduire à une transformation écologique et sociale. Ces interventions publiques concernent à la fois l’aménagement du cadre législatif, la mise en place des programmes financiers et techniques, la mise en œuvre et/ou l’aide à la gouvernance de certains projets territoriaux (Figuière & Rocca, 2008). Cependant, à l’instar du Québec, les premières démarches d’ÉIT se sont effectuées malgré l’absence d’un cadre réglementaire contraignant, d’instruments législatifs spécifiques et de mesures incitatives publiques.

55 En comparaison au Québec, il s’agit des régions administratives. Les MRC peuvent être considérées comme équivalentes aux

5.2.1. Pressions institutionnelles et réglementaires

Dans le contexte français, la pression institutionnelle et réglementaire autour des démarches d’ÉIT s’inscrit dans une architecture complexe. En effet, le comportement des entreprises traduit, en partie, une réponse à des normes européennes, ou à des orientations nationales et parfois à des mesures adoptées par des collectivités locales et/ou des organes autonomes délégataires d’un pouvoir de coercition et/ou de contrôle (Figure 10).

5.2.1.1. Des contraintes macro-institutionnelles en France

En France, les directives internationales et européennes sur la Responsabilité élargie du producteur (REP) ont influencé les choix de coopération entre les entreprises locales, notamment sur la valorisation des résidus de matières, avec le soutien d’acteurs publics locaux ou régionaux (Beylot et al., 2016). Par ailleurs, la transposition, fin 2010, de la Directive-cadre Déchets de 2008 a conduit les industriels français à identifier les possibilités de valorisation pour certains effluents, au travers des échanges de flux (Schalchli, 2012).

Figure 10 : Pression institutionnelle et réglementaire en France

Les démarches d’ÉIT s’inscrivent dans le prolongement de différentes actions menées par les entreprises et autres acteurs territoriaux pour se conformer aux pressions institutionnelles relatives à l’environnement. Ainsi, les Grenelles de l’environnement, et la loi Transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV) de 2015, la

stratégie nationale de transition et la feuille de route sur l’économie circulaire56 puis la loi relative à la lutte contre

le gaspillage et l’économie circulaire57, ont posé de véritables jalons à l’institutionnalisation de l’écologie

industrielle.

De manière opérationnelle, l’État entend renforcer le dispositif pollueur-payeur, l’incorporation des matières recyclées, l’écoconception, le réemploi et la réparation dans les pratiques des entreprises. Ces dispositifs législatifs ont des répercussions sur le recyclage, la valorisation des déchets et résidus de matières, notamment les métaux et les sous-produits miniers. Néanmoins, les lois et/ou réglementations adoptées à l’échelle macro- sociétale ne suffisent pas pour enclencher des échanges de flux entre les entreprises. Les normes réglementaires peuvent aussi être issues de politiques publiques locales.

5.2.1.2. Des contraintes institutionnelles et réglementaires locales

À la seule différence du Québec où les régions administratives n’ont véritablement pas de pouvoir législatif, la pression institutionnelle décentralisée peut être appréhendée, dans le contexte français, à la fois au niveau des régions, de l’agglomération, des municipalités voire des zones d’activités. Ces contraintes institutionnelles locales participent à la création d’un référentiel commun autour de la problématique environnementale. Plus globalement, les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), et les stratégies régionales de lutte contre le changement climatique servent de levier à l’engagement des acteurs territoriaux sur des chantiers écologiques. Ainsi, les démarches émergentes d’ÉIT s’apparentent à des obligations individuelles et collectives pour maintenir la qualité environnementale du territoire.

À cela s’ajoutent les intercommunalités dont les plans d’urbanisme, de gestion foncière et de fiscalité participent quelque peu au développement de l’ÉIT. Par exemple, la tarification incitative dans la collecte et le traitement des déchets, relevant d’une disposition de la loi TEPCV, devrait amener les acteurs industriels à dépasser leur modèle traditionnel, qui est producteur de quantités importantes de déchets. Cependant, la pression institutionnelle, qu’elle soit locale ou non, ne suffit pas à convaincre les entreprises ou à les amener à s’engager plus avant dans la mise en œuvre de nouvelles formes de production. Dans le contexte français aussi, l’action publique ne peut être saisie uniquement sous le prisme de la pression institutionnelle et/ou réglementaire dans le développement de l’ÉIT.

56 La feuille de route prévoit de s’appuyer sur de nouvelles filières à responsabilité des producteurs et de fixer de nouvelles ambitions

aux filières existantes pour contribuer à la dynamique d’économie circulaire et au développement de nouvelles filières industrielles.

57 Promulguée le 10 février 2020, la loi n° 2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, vient renforcer les

instruments juridiques et législatifs français dans le domaine de changement de modèles de production et de consommation, de réduction des déchets, de préservation des ressources naturelles, de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.

5.2.2. Financement public et aide à la gouvernance de l’ÉIT en France

En France, la redéfinition du paysage institutionnel pour répondre aux enjeux écologiques dépasse les instruments réglementaires ou coercitifs. Les instruments législatifs de la loi TEPCV, par exemple, ont ainsi défini d’autres leviers d’action, notamment des mesures d’accompagnement financier et technique pour le développement de l’écologie industrielle. En outre, les projets sont souvent soutenus par des organismes publics tels que l’ADEME, les directions régionales pour l’environnement, de l’aménagement du logement (DREAL), les directions départementales des territoires (DDT) ou encore les universités et laboratoires de recherche.

5.2.2.1. Le financement public dans l’émergence de l’ÉIT en France

Les mécanismes français de financement de l’ÉIT concernent essentiellement les appels à projets des programmes nationaux Territoires à Énergies Positives pour la Croissance (TEPCV), Territoires à Grandes Ambitions (TIGA) et les contrats d’objectif territorial de l’ADEME. Ils viennent compléter des outils de financement des collectivités territoriales. Ce financement public est principalement destiné à la structuration et l’animation des réseaux locaux d’écologie industrielle, aux diagnostics et aux études sur les flux disponibles. Par ailleurs, la loi NOTRE révisant l’organisation territoriale a renforcé les dispositifs financiers des régions sur les champs de transition écologique. Cela permet de démultiplier les possibilités de soutien financier aux projets d’écologie industrielle, notamment pour l’atteinte des objectifs énergétiques et de gestion de déchets. À cela s’ajoutent de possibles financements issus des organes publics supranationaux comme l’Union européenne (FEDER), ou d’économie mixte comme la caisse de dépôt (TIGA), par exemple.

De plus, en France, des démarches spontanées d’écologie industrielle bénéficient d’une intervention publique dans leur développement (Beaurain & Brullot, 2011; Brullot, 2009; Varlet, 2012). Des collectivités territoriales et/ou des organes publics s’y investissent pour en assurer la pérennité. Cet engagement public s’inscrit dans une approche de double bénéfice, se fondant sur des gains économiques pour les entreprises et des externalités sociales et environnementales positives pour les collectivités territoriales (Maillefert & Robert, 2017). La préoccupation reste de dépasser la stricte rationalité de la modernisation écologique – c’est-à-dire de la logique selon laquelle l’économie doit saisir les préoccupations environnementales comme une opportunité d’affaires (Scerri et Holden, 2014 ; Scanu, 2015), pour développer une stratégie collective mobilisant différents acteurs autour de synergies industrielles efficaces et pérennes.

5.2.2.2. De la gouvernance de l’ÉIT dans l’intervention publique en France

En France, l’approche spontanée de l’écologie industrielle semble désormais laisser place à des démarches plutôt planifiées, portées par différents acteurs territoriaux. Ainsi, les différentes ressources techniques de

l’ADEME sont mobilisées en fonction des questions traitées par les porteurs de projets. Cette expertise technique concerne la gestion des flux matériels, la gouvernance et l’animation des projets. Mais l’enjeu de taille réside dans l’articulation entre les différentes démarches afin de faire de l’écologie industrielle un projet de territoire. En effet, les collaborations interentreprises et les modes d’organisations sont différents d’un territoire à un autre. Les organes publics participent ainsi à la régulation des interactions entre des acteurs d’un même projet ou entre différents projets du territoire. Ils contribuent particulièrement à cette coordination dans un contexte où la loi NOTRE a donné lieu à la recomposition des territoires régionaux. La participation publique inclut diverses implications : pression institutionnelle et réglementaire, subventions publiques, accompagnement organisationnel et technique, etc. Cet accompagnement public s’organise à différentes échelles et renvoie à une certaine vision politique de l’écologie industrielle d’une part, mais davantage de la transformation écologique et sociale, d’autre part.

En définitive, la construction territoriale de l’écologie industrielle, dans le contexte français, ne peut résulter d’une application stricte de la règlementation environnementale. Elle s’articule autour d’un ensemble de mécanismes publics coercitifs et incitatifs pour susciter son appropriation collective, notamment par les entreprises. Ce contexte institutionnel a contribué à la mise en place de différents projets d’ÉIT, dont la démarche MER. Cette dernière s’articule autour d’un potentiel territorial en termes d’acteurs, de flux et de ressources. Leur mise en commun contribue, c’est l’argument, à améliorer la performance écoenvironnementale des parties prenantes.