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CHAPITRE 1 : ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE : PERSPECTIVE HISTORIQUE ET THÉORIQUE

1.2. De l’écologie industrielle : perspective théorique et enjeu conceptuel

1.2.1. Écologie industrielle : les fondamentaux théoriques

Née au cœur des réflexions sur les limites écologiques de la planète, l’écologie industrielle tente de concrétiser l’hypothèse d’un dépassement de l’opposition longtemps établie entre « économie et écologie » (Erkman, 2001). Elle repose sur une considération des flux de matières et d’énergies afin de définir une approche globale du système industriel (Ayres, 1989 ; Ayres & Ayres, 2002 ; Graedel & Allenby, 2010; Massari et al., 2016) et de le rendre compatible avec les écosystèmes naturels (Allenby, 1992 ; Barles, 2014 ; Brullot, Maillefert, & Joubert, 2014; Wassenaar, 2015).

1.2.1.1. Des définitions plurielles de l’écologie industrielles

Décrite à ses débuts comme « a new perspective on the future of the industrial system » (Erkman, 2001), l’écologie industrielle reste, encore aujourd’hui, soumise à de nombreuses définitions et/ou conceptions. Une mise en parallèle des définitions proposées par différents auteurs, comme nous en présentons dans le Tableau 1, permet de constater la diversité des regards posés sur notre objet d’étude.

Tableau 1 : Quelques définitions de l'écologie industrielle

Frosh & Gallopoulos (1989 : 144) Recognition that the traditional model of industrial activity in which individual manufacturing processes take in raw materials and generate products to be sold plus waste to be disposed of should be transformed into a more integrated model: an industrial ecosystem.

A system the consumption of energy and materials is optimized, waste generation is minimized and the effluents of one process whether they are spent catalysts from [… serve as the raw material for another process.

Allenby (1992) Means by which a state of sustainable development is approached and maintained.

Systems view of human economic activity and its interrelationship with fundamental biological, chemical, and physical systems with the goal of establishing and maintaining the human species at levels that can be sustained indefinitely, given continued economic, cultural, and technological evolution.

Jelinski et al. (1992 : 793) New approach to the industrial design of products and processes and the implementation of sustainable manufacturing strategies.

Concept in which an industrial system is viewed not in isolation from its surrounding systems but in concert with them.

Approaches to optimize the total materials cycle from virgin material to finished material to component, to product, to waste products, and to ultimate disposal.

Ehrenfeld, (2004) New paradigm that can offer a conceptual base for finding solutions to what have been intractable problems. […] (p.821)

Field focused on understanding the industrial basis of production, a characteristic of modern societies […] by designing new forms of production that are more sustainable. (p. 827)

Erkman (1997 : 1 ; 2001 : 531) Understanding of how the industrial system works, how it is regulated and its interactions with the Biosphere; and then, on the basis of what we know about ecosystems, to determine how it could be restructured to make it compatible with the way natural ecosystem function.

Erkman, 2004 Mise en place d’un fonctionnement circulaire de l’économie, moins gourmand en consommation de matières premières et d’énergies, et moins producteurs de déchets.

Chertow (2008 : 335) Field of study focused on the stages of the production processes of goods and services from a point of view of nature, trying to mimic a natural system by conserving and reusing resources.

Metereau & Figuière (2014 : 7) Stratégie permettant d’internaliser la préoccupation environnementale dans l’organisation des activités humaines.

Buclet (2015 : 33) « Passage d’une économie linéaire où les ressources naturelles sont massivement extraites de l’écosystème puis rejetées sous forme de

polluants dans celui-ci, à une économie circulaire, dématérialisée, ne puisant que marginalement des ressources non renouvelables de l’environnement. »

Réal : Auteur Cette pluralité de définitions de l’écologie industrielle souligne les divergences dans le milieu académique tant sur son contenu, que sur ses limites théoriques et conceptuelles. Il reste donc encore difficile d’établir à partir de quel moment une démarche peut réellement être considérée comme de l’écologie industrielle (Allenby, 2006). Ainsi, au fil des années et des expérimentations, l’écologie industrielle se concentre davantage sur le bouclage des flux (Beaurain & Chembessi, 2017), au détriment de ses autres principes fondateurs (Erkman, 2004; Tibbs, 1993).

1.2.1.2. Une restriction au bouclage de flux de matières

En établissant un lien de cause à effet entre les activités industrielles (et leur production de déchets), et l’appauvrissement des ressources naturelles, l’écologie industrielle – telle que suggérée dans les années 1980 – est presque intimement liée à la gestion et au bouclage des flux de matières (Brullot, 2009; Maltais-Guilbault, 2011; Metereau & Figuière, 2014). Cette restriction du champ de l’écologie industrielle est en partie reliée à l’importance prises dans les expressions et les pratiques des notions de « métabolisme industriel » et de « symbiose industrielle »8 pour distinguer les potentiels flux disponibles dans un écosystème industriel et leur optimisation (Chertow, 2000 ; Erkman, 2004). Ces flux interentreprises concernent alors la substitution de matières par des déchets et résidus, le partage d’utilités telles que les flux d’eau, d’énergie, d’eaux usées, le partage de services en commun comme la collecte des déchets, les transports et achats de marchandises. Mais plus globalement, l’écologie industrielle se retrouve au cœur d’une confrontation théorique et conceptuelle qui rend difficile une définition unanime. Par ailleurs, depuis les actes fondateurs portés par les ingénieurs, entre la fin des années 1980 et 1990, le champ de l’écologie industrielle évoluent suivant trois grands moments, que l’on peut associer à trois types majeurs de contribution (Metereau & Figuière, 2014) : les pionniers, les libéraux et les radicaux (Tableau 2).

Tableau 2 : L'écologie industrielle dans la littérature

8 La symbiose industrielle concerne les échanges de flux entre plusieurs entreprises. Elle s’établit à partir du moment où les flux dépassent les limites du seul process d’une entreprise pour engager une multitude de firmes.

Catégories Contenu théorique et empirique Disciplines Attention donnée à la durabilité

Réal : Auteur, Adapté de Metereau & Figuière, 2014 Les pionniers Socle fondateur de l’écologie

industrielle

Mise en évidence et/ou en perspective des outils et des principes de l’écologie industrielle

Analogie pure et simple au fonctionnement des écosystèmes naturels. Sciences de l’ingénieur Critique de l’écosystème industriel immature.

Les libéraux Mise en évidence des modalités d’appropriation de l’écologie industrielle

Démarche objective et approche libérale de l’écologie industrielle Réaffirmation de la dimension économique des projets d’écologie industrielle Sciences sociales, notamment les économistes Durabilité faible Écosystème mature

Les radicaux Mise en évidence d’une dimension territoriale et politique de l’écologie industrielle

Approche anthropocentrée de l’écologie industrielle basée sur les intentionnalités humaines

Approche explicitement normative, qualitative de l’écologie industrielle Approche relationnelle et pragmatiste de l’écologie industrielle

Affirmation d’une dimension politique de l’écologie industrielle. Sciences sociales : géographie, management, gestion, développement territorial, sciences politiques, etc. Durabilité forte Écosystème de transition

Ces différents auteurs apportent un éclairage spécifique autour de l’enjeu de structuration des systèmes industriels, en rupture avec la conception linéaire de l’économie. Leur différence réside dans l’intensité de la rupture proposée, c’est-à-dire, celle du découplage de la croissance économique et de la consommation des prélèvements de ressources naturelles et des nuisances environnementales. Cette différence fait émerger deux grandes postures théoriques autour de l’écologie industrielle, radicale et libérale (Figuière & Chebbi, 2016), rejoignant, d’une manière ou d’une autre, la distinction entre une vision scientifique durable, basée essentiellement sur les échanges de flux de matières et d’énergies, et une autre faisant d’elle la modification d’un paradigme social dominant (Brullot, 2009 ; Varlet, 2012).

1.2.2. Approche libérale ou mainstream de l’écologie industrielle : limites d’une analogie stricte aux

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