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CHAPITRE 1 : ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE : PERSPECTIVE HISTORIQUE ET THÉORIQUE

1.5. Écologie industrielle : source de valeur partagée entre parties prenantes

Portée par une volonté de réduction des impacts environnementaux significatifs des activités économiques, l’écologie industrielle – comme moyen de transformation des modes de production et de consommation – ne saurait altérer les performances productives et financières des systèmes économiques (Boutillier et al., 2012 ; Hubacek et al., 2016). En effet, celle-ci se fonde sur la nécessité d’accroître la performance environnementale des entreprises, tout en consolidant et en améliorant leur compétitivité économique (Chertow & Lombardi, 2005 ; Hoffman et al., 2014; Lombardi & Laybourn, 2012).

1.5.1. De la quête des gains économiques pour les entreprises

En dépit des critiques sur sa perspective libérale, l’écologie industrielle peine à s’extraire du cadre exclusif et/ou restrictif de l’entreprise, et autant pour la valeur qui lui est associée. Il demeure encore difficile de souligner les bénéfices de l’écologie industrielle au-delà du seul système industriel, et, plus encore, en ne se focalisant pas sur les aspects économiques. Les différentes analyses de valeur se limitent à énumérer les avantages économiques pour les acteurs impliqués dans les synergies industrielles. L’écologie industrielle s’appréhende alors, bien souvent, au travers des opportunités de compétitivité pour les firmes (Pagotto & Halog, 2016; Esty & Porter, 1998 ; Jacobsen, 2008; Short et al., 2014). Les avantages qu’elles en tirent concernent l’obtention de revenus supplémentaires, la baisse des coûts de production et la création de nouvelles activités (Beaurain & Varlet, 2014). En général, les entreprises qui adoptent des pratiques durables, ou qui s’intéressent à l’écologie industrielle, s’orientent vers de nouvelles possibilités qui peuvent les aider à survivre aux marchés difficiles (Kabongo, 2005 ; Short et al., 2014).

La réorganisation des processus industriels est donc perçue par les entreprises comme un moyen de mettre à profit leurs compétences techniques pour promouvoir leur image de marque et différencier l’entreprise (Zaoual, 2014) auprès d’actionnaires et de clients soucieux de la préservation de l’environnement (O’Connor & Turnham, 1992). L’écologie industrielle s’apparente ainsi à un outil de la concurrence et/ou de la performance économique. En effet, les synergies industrielles permettent de libérer des flux monétaires jusqu’alors affectés à l’organisation du stockage et/ou à la destruction et la dégradation de quantités non utilisées de matières et/ou d’énergies (Erkman, 2004 ; Jacobsen, 2008). L’écologie industrielle confère ainsi une certaine valeur économique au déchet (Korhonen et al., 2004) ; et permet à l’entreprise qui en reçoit d’échapper à des coûts d’approvisionnement excessifs tout en demeurant compétitive (Dunn & Steinemann, 1998). Le gain économique se présente alors comme un facteur déterminant, en amont ou en aval, dans la motivation des entreprises, bien plus que les avantages environnementaux mineurs ou substantiels, ou encore la valeur sociale des sous- produits ou résidus échangés (Jacobsen, 2008).

Par ailleurs, cette performance économique se saisit bien souvent sous le prisme de chaque entreprise, bien plus que dans une logique collective. Mais l’intégration de l’écologie industrielle, dans une approche de durabilité, suppose le dépassement de la valeur monétaire des biens échangés. Il faut donc considérer l’écologie industrielle dans toute sa capacité à entraîner la transition d’un système linéaire, basé sur une utilisation abondante et un gaspillage des ressources physiques et énergétiques, à un système circulaire dont le fonctionnement en boucle paraît plus économe et efficient (Erkman, 2004 ; Mathews & Tan, 2011). En d’autres termes, l’écologie industrielle ne peut être considérée comme une « science de la durabilité »14 qu’à condition

de contribuer au renouvellement en profondeur des pratiques industrielles à l’égard de l’environnement, c’est- à-dire au changement radical d’un paradigme social dominant (Allenby & Richards, 1994 ; Ehrenfeld, 2004).

1.5.2. Au-delà des gains économiques : perspective socio-environnementale

L’écologie industrielle ne saurait contribuer à la transition vers des systèmes durables en occultant les enjeux environnementaux et sociaux de leur fonctionnement. Pour ce faire, les résultats économiques sont complétés par les performances environnementales et sociales des entreprises participantes. À l’instar des aspects économiques, il demeure, en effet, difficile d’établir une performance globale d’une démarche d’écologie industrielle au-delà de l’entreprise (Varlet, 2012). L’écologie industrielle est alors associée, sur le plan environnemental, à la réduction de deux externalités négatives majeures : le rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et la pression insoutenable dans le temps sur les ressources naturelles (Massari et al., 2016; Wassenaar, 2015). Globalement, elle permet d’améliorer la qualité de vie, en réduisant les nuisances environnementales et en contribuant au développement des équipements collectifs (Beylot, Vaxelaire & Villeneuve, 2016 ; Erkman, 2004; Jacobsen, 2008; Varlet, 2012). Par ailleurs, elle se traduit par de nouvelles opportunités sociales pour les territoires (création ou maintien d’emplois, réduction des coûts de distribution pour le réseau de chaleur, etc.).

Les externalités économiques positives pour les entreprises conduisent ainsi à l’établissement de nouvelles utilités sociales. Plus spécifiquement, les échanges de flux peuvent générer des emplois dans les filières de recyclage, d’ingénierie (pour savoir comment transformer les résidus de matières), etc. Les synergies industrielles offrent donc des possibilités de création d’emplois de proximité (Brullot, 2009) qui constituent aussi

14 En premier lieu, la soutenabilité est fondamentalement rattachée à l’ancrage du système industriel dans les règles de fonctionnement

des écosystèmes naturels. Puis en second lieu, elle s’associe à des objectifs d’amélioration de la société. Cependant, comme le souligne Beaurain et Varlet (2014), les difficultés rencontrées par la communauté de chercheurs en écologie industrielle tiennent principalement aux articulations qu’elle propose des dimensions environnementales et humaines de la durabilité. La dimension humaine et culturelle de l’écologie industrielle est ainsi présentée comme problématique, [...] et ses modalités constitutives apparaissent peu compatibles avec la vision systémique et harmonieuse de l’écologie naturelle. C’est d’ailleurs en réponse à cette difficulté à mettre en évidence les avantages en termes de durabilité expériences d’écologie industrielle, que ces auteurs proposent d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur une approche pragmatiste (Chapitre 9).

une source d’avantages concurrentiels pour les entreprises participantes (Short et al., 2014). Elles constituent ainsi un ensemble d’actions de prospective économique et sociale intéressante (Erkman, 2004). Mais l’enjeu de taille réside dans la capacité de l’écologie industrielle à se définir comme l’expression d’une vision de long terme dans la construction de la durabilité territoriale. Les mutations dans les modes de production et de consommation devraient répondre à des enjeux territoriaux, bien au- delà des simples aspects économiques et environnementaux. De plus, l’écologie industrielle ne saurait être indéfiniment construite dans une perspective individualiste, c’est-à-dire centrée sur un seul acteur représenté ici par les entreprises (Ehrenfeld, 2007). Cette perception se justifie notamment en raison de la diversité de nature des échanges de flux qui s’expérimentent dans le monde.

Ces expérimentations le sont au sens strict d’une symbiose industrielle, ou celui moins étroit des synergies industrielles entre quelques acteurs, ou encore dans une vision beaucoup plus large de valorisation des résidus de matières de l’ensemble des activités du territoire. Celles-ci reposent sur l’activation d’un réseau de coopération (Ehrenfeld, 2004), de nouvelles organisations sociales et institutionnelles (Merlin-Broignart, 2017). Il devient alors intéressant – c’est l’objectif de cette thèse – de se saisir des questions structurelles qui sous- tendent les processus de déploiement de l’écologie industrielle. Ces enjeux concernent à la fois les aspects techniques (Graedel & Allenby, 2010) ; les formes de coordination entre les acteurs engagés (Beaurain et al., 2017 ; Boons & Baas, 1997 ; Decouzon et al., 2015), et plus généralement les contraintes et motivations sous- jacentes au déploiement (Jelinski et al., 1992). Ces enjeux, qui sont au cœur de notre réflexion, seront abordés par une confrontation de la théorie des proximités au fonctionnement des démarches d’écologie industrielle du Port Atlantique La Rochelle (France) et la MRC de Kamouraska (Québec).

Le choix de la théorie des proximités repose sur le postulat suivant lequel les démarches d’écologie industrielle n’émergent qu’au travers d’une considération du territoire dans toute sa complexité, et la nécessité de penser les échanges de flux comme résultante des interactions sociales à différentes échelles géographiques. En effet, comme on le verra dans le chapitre suivant, la théorie des proximités repose sur deux piliers essentiels : une proximité géographique et une proximité non géographique. Ces deux formes de proximités participent à l’émergence d’un processus et/ou d’un cadre d’apprentissage, la création de connaissances, et la constitution d’un cadre institutionnel favorable aux interactions sociales. Or il apparait dans de nombreuses études que la clef d’une démarche d’écologie industrielle se situe dans le développement des réseaux sociaux. De ce point de vue, pour comprendre les processus de formation et de maturation des réseaux d’écologie industrielle, la théorie des proximités constitue, à nos yeux, une grille de lecture assez intéressante en ce sens que de nombreux arguent du fait qu’une proximité géographique étroite et la confiance sont essentielles au développement des synergies industrielles (Velenturf & Jensen, 2016; Beaurain et al., 2017; Ashton & Bain,

2012). Il nous semble donc primordial de souligner davantage la signification, la nécessité et le rôle spécifique des proximités géographiques ou non dans le développement de l’écologie industrielle. Ainsi, notre réflexion part du principe que les facteurs sociaux et organisationnels dans la mise en œuvre de l’écologie industrielle sont sous-exploités d’une part, et d’autre part que les valeurs générées ne sont pas convenablement évaluées. Elle s’inscrit dans la continuité des travaux qui abordent l’écologie industrielle sous le prisme de la géographie économique en attirant l’attention sur les distances géographiques, cognitives, institutionnelles, sociales et organisationnelles dans la construction des réseaux, mais aussi comme résultantes des échanges de flux.

Chapitre 2 : L’écologie industrielle comme espace d’action