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Chapitre 1 : la répartition sociale des rôles

II. Théorie des rôles sociaux d’Eagly

3. Relations asymétriques entre hommes et femmes dans la société

3.1. Domination masculine encore d’actualité de nos jours :

Selon le dictionnaire de psychologie (Sillamy, 2010), la notion de domination fait référence à l’action de dominer, c’est-à-dire d’exercer son autorité ou son influence sur le plan moral, politique, etc. Elle revêt un caractère négatif lorsqu’elle contribue à créer des inégalités. Dans le cadre de ce travail, nous considérons la domination comme élément régulateur des relations entre les hommes et les femmes. Leurs rapports se déploient dans une « hiérarchie des catégories de sexe (mâle/femelle) telles que le sexe masculin et les caractères, fonctions et prérogatives qui lui sont attribuées collectivement sont considérées comme supérieures au sexe féminin et aux caractères, fonctions et champs qui lui sont réservés. Hiérarchie qui se traduit par ce que l’on appelle la ‘’domination masculine’’ » (Héritier, 2010, p.12). Cette domination masculine fait référence à cette position de supériorité qui a été attribuée à l’homme depuis toujours et qui relègue la femme dans la position de dominée.

Précisons que la relation de pouvoir entre l’homme et la femme prend naissance dans la famille qui est « le lieu où se reproduit la domination masculine et où trouve son origine la place infériorisée des femmes dans le monde du travail » (Battagliola, 2008, p.4). Et cela s’est répandu et continue de se répandre dans des sphères autres que celle de la vie privée. Nous remarquons de nos jours une forte présence des femmes au bas de la hiérarchie des catégories socioprofessionnelles (les femmes représentent notamment, d’après l’observatoire des inégalités, 77 % des employés, 51 % des professions intermédiaires contre 16 % des chefs d’entreprises et 40 % des cadres supérieurs en France). Au Gabon, nous constatons une certaine hégémonie masculine fortement ancrée dans les traditions car le Gabon est une société imbibée d’une culture patriarcale. La domination masculine est donc intégrée dans les us et coutumes et repose sur « l’idée selon laquelle la société tout entière approuverait la suprématie de l’homme sur toute chose » (Mayila Gawandji Oloundigolo, 2012, p. 26), ce qui a pour conséquence une relation entre les sexes « liée à la domination de l’homme sur la femme » (p.27).

La supériorité masculine, observable à travers des critères présents aussi bien dans la sphère privée que la sphère professionnelle, est une réalité omniprésente. Son ancrage dans les pratiques quotidiennes rend difficile l’émergence d’une prise de conscience généralisée tant les choses semblent normales telle qu’elles sont. Même si, soulignons-le, elle a des effets que nous pouvons qualifier de négatifs notamment en termes de répartition des rôles sociaux entre

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les hommes et les femmes. Au niveau de l’accession des femmes aux postes à hautes responsabilités par exemple, elles rencontrent encore de grandes difficultés malgré les évolutions en termes de textes de loi anti discrimination en leur faveur.

Bourdieu (1998) dans son livre consacré à ce phénomène nous montre, à travers des études empiriques sur les sociétés Kabyles (Berbères), comment se construit cette domination masculine et les facteurs qui la favorisent. Ces facteurs sont la répartition traditionnelle inégale des activités quotidiennes en fonction des habitus et symboles qui forgent notre système de pensées et nous empêchent ainsi de percevoir l’injustice dans laquelle nous baignons. Une place d’infériorité est attribuée à la femme qui, en retour, adopte vraisemblablement une posture de soumission. Cette soumission entraîne des conséquences liées à une forme d’autocensure dans laquelle elle s’exerce. Et celle qui de manière ambitieuse ose dépasser ces clivages, est sujette à un parcours d’obstacles jalonné de phénomènes qui ralentissent son parcours.

3.2. Du plancher collant au plafond de verre : le parcours d’obstacles des femmes dans le monde du travail

Le « plafond de verre » est une notion introduite dans la littérature anglo-saxonne en 1986 par Hymowitz & Schellhardt (cités par Dreher, 2003). Elle a été utilisée pour représenter de façon imagée la situation de la femme dans le monde du travail. Les rapports entre les hommes et les femmes sur le plan professionnel sont constitués par une multitude d’inégalités de traitement (inégalités salariales par exemple) qui sont plutôt en faveur des hommes. En plus de l’inégalité de traitement salarial, plusieurs autres inégalités sont observables et persistent encore de nos jours. Nous avons la répartition dans certains métiers comme nous le stipulions déjà et à certains niveaux hiérarchiques où la présence des femmes est de moins en moins soulignée. Pour lutter contre les inégalités, des programmes d’actions sont mis en place par les organisations dans plusieurs pays (notamment au Gabon et en France).

Au-delà de ces quelques indicateurs susmentionnés (inégalité salariale, plafond de verre…), les causes semblent bien plus profondes. Elles révèlent une certaine résistance au changement, changement qui permettrait aux hommes et aux femmes de prétendre à un traitement égal sur le plan professionnel. En effet, personne ne peut douter du fait que les femmes soient sujettes à des phénomènes tels que le plafond de verre, le plancher collant ou encore la paroi de verre. Toutes ces expressions sont une représentation imagée ou métaphorique des obstacles vis-à-vis desquels les femmes se trouvent confrontées dans leur

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évolution professionnelle et cela de manière souvent voilée. Ces obstacles définissent la discrimination liée au genre à laquelle elles font face. À cet effet, Coenen-Huther (2010) constate qu’une « très forte ségrégation horizontale du marché du travail existe dans les pays occidentaux. Les femmes y sont concentrées dans un nombre limité de branches économiques censées mieux convenir aux qualités féminines que masculines, comme l’éducation des petits enfants, les soins aux malades, le travail de bureau, la vente dans les grandes surfaces ». Cette ségrégation perdure encore de nos jours au regard des statistiques en matière de représentativité des hommes et des femmes dans certains corps de métiers.

Sur le plan professionnel, il existe un seuil à partir duquel les femmes sont sous-représentées. Elles atteignent de plus en plus le statut de cadre car de plus en plus présentes à ce niveau de la hiérarchie dans les entreprises, surtout dans les professions libérales. En revanche, aux niveaux hiérarchiques les plus élevés, elles sont de moins en moins présentes. Cette réalité est d’autant valable pour la France que pour le Gabon, et révèle selon nous que peu importe le contexte culturel, ou socio-économique, les femmes ont encore des difficultés à accéder aux postes de direction ou à hautes responsabilités. Nous entendons par postes à hautes responsabilités ici, les postes qui donnent un pouvoir de décision élevé et dont le statut place la personne dans les instances de direction ou de gouvernance.

C’est durant les années 2000 (Laufer, 2004) que la notion de « plafond de verre » est introduite dans la littérature francophone. Elle est utilisée dans le but de sensibiliser la société aux discriminations (et les inégalités professionnelles que ces discriminations entraînent) dont les femmes sont l’objet durant leur carrière professionnelle. L’image du plafond de verre auquel elles se heurtent dans leur trajectoire professionnelle illustre assez bien le caractère difficile que requiert leur ascension professionnelle. En effet, les femmes rencontrent plus d’obstacles lorsqu’il s’agit de monter en grade (plafond), mais ces obstacles sont très souvent invisibles (Verre) et ne peuvent s’appréhender qu’à travers une fine analyse du vécu de ces femmes et des chiffres présentant les statistiques hommes-femmes.

L’intérêt de l’usage de cette expression métaphorique est donc de sensibiliser en vue de faire évoluer les réflexions sur la situation de la femme dans le monde du travail. Elle fait référence à un ensemble de barrières artificielles et de préjugés qui s’opposent à l’évolution des individus (notamment les femmes) qualifiés dans les organisations (Morrison & al., 1987). Non seulement il est difficile pour les femmes d’accéder à des postes à hautes responsabilités, mais aussi plus elles évoluent dans la hiérarchie, plus les obstacles s’intensifient. Baxter et Wright (2000) ont testé cette hypothèse à travers une étude

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comparative basée sur des données provenant des États-Unis, de l’Australie et de la Suède. Leur conclusion est qu’il existe des preuves évidentes de la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans les sphères dirigeantes. Les chances des femmes d’accéder à des postes à hautes responsabilités sont inférieures à celles des hommes, mais il n’y a pas de manière évidente, un effet systématique du plafond de verre aux États-Unis et les indices sont faibles dans les deux autres pays.

Toutefois, l’usage de cette expression de « plafond de verre » a été critiqué car présentant des limites. En effet, « l’image d’un plafond auquel se heurtent les femmes pour accéder à certaines positions ne permet guère de saisir la dynamique de construction des inégalités sexuées aux différents stades des carrières professionnelles : le recrutement, l’affectation dans les premiers emplois, les mobilités horizontales (fonctionnelles, géographiques…), les statuts et modes de rémunération. Elle peine aussi à rendre compte des inégalités sexuées sur longue période » (Buscatto & Marry, 2009, p.171). D’ailleurs, Guillaume et Pochic (2007) soulignent la rareté des tests statistiques sur le plafond de verre, ce qui est dû à la difficulté d’obtenir des indicateurs détaillés sur la position hiérarchique dans les groupes de cadres.

D’autres expressions ont été employées pour illustrer la situation des femmes dans le monde du travail. Soulignons que le plafond de verre est une forme de ségrégation verticale (les hommes au sommet et les femmes au bas de l’échelle hiérarchique ou à des niveaux intermédiaires). Il existe une autre forme de ségrégation, qualifiée cette fois d’horizontale. Ainsi, l’expression « paroi de verre » renvoie au fait que « les femmes sont concentrées dans des secteurs majoritairement ‘‘féminins’’ et les hommes dans des secteurs majoritairement ‘‘masculins’’… » (Buscatto, 2014). Phénomène qui révèle l’état général de la société où subsiste la division sexuelle du travail. À l’instar du plafond de verre, la « Paroi de verre » ou « Glass wall » traduit des « mécanismes subtils : lorsque les femmes arrivent à atteindre un haut niveau sur l’échelle hiérarchique, elles se retrouvent en fait dans des secteurs ou des services considérés comme ayant une importance moins centrale, un rôle moins stratégique dans l’organisation de l’entreprise (Ressources humaines ou administration) » (Cappellin, 2010, p.36). Tout semble être plus difficile pour les femmes lorsqu’elles nourrissent l’ambition de construire une carrière professionnelle aboutie. Celles qui y parviennent se retrouvent cantonnées à des postes dans des métiers support avec moins d’impact stratégique dans la structure. C’est une forme de ségrégation qui porte plutôt sur le secteur d’activité. Le schéma suivant illustre de manière synthétisée les phénomènes que nous venons de décrire.

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Figure 3 : Plafond et Parois de verre dans la pyramide organisationnelle (Cappelin, 2010)

À travers cette figure, nous pouvons mieux appréhender le processus qui articule le parcours professionnel des femmes comparativement à celui des hommes. Elles vont du plancher collant, au plafond de verre, en passant par les parois de verre. Nous remarquons qu’au niveau le plus bas de l’échelle, la majorité des employés, personnel d’appui ou support sont des femmes. Cette situation a été qualifiée de « Plancher collant », car elles ont du mal à décoller de ce niveau. Celles qui y arrivent rencontrent d’autres sortes de difficultés. À un niveau moyennement élevé, elles demeurent dans les métiers les moins considérés sur le plan stratégique dans les organisations et ont du mal à s’intégrer dans la sphère dirigeante qui a été jusque-là réservée aux hommes. Ces phénomènes sont des conséquences d’un processus qui tire son origine des systèmes de catégorisation en vigueur dans les groupes sociaux. Les différences entre les hommes et les femmes s’installent dès le plus jeune âge. Elles construisent et nourrissent les identités individuelles et collectives grâce aux stéréotypes de genre. Ces derniers créent, dans une certaine mesure, ce que nous entendons ici par relation asymétrique. Ces relations asymétriques sont perceptibles sur les plans sociaux et économiques dans nos sociétés. Dans les cas particuliers du Gabon et de la France, des lois en faveur de l’émancipation des femmes ont été votées, mais nous constatons que leur impact sur la situation économique et sociale de ces dernières est moindre, d’autant que la situation n’a fondamentalement pas changé.