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Chapitre 1 : la répartition sociale des rôles

II. Théorie des rôles sociaux d’Eagly

2. Division sexuée du travail

Le comportement représente le dernier élément du modèle théorique d’Eagly. En effet, il semble être le produit ou du moins le résultat de l’influence des différents facteurs que nous avons précédemment présenté. Il s’agit des facteurs biologiques qui se combinent et orientent le processus de socialisation, ce qui entraîne une distinction des rôles sociaux en fonction des différences. Puis, sous l’influence des attentes et des croyances liées au sexe, les individus vont se comporter de manière à demeurer conformes à ces attentes que l’environnement social nourrit à leur égard. Il y a des spécificités associées aux hommes et aux femmes, et donc au masculin et au féminin. Ce sont ces spécificités qui suggèrent implicitement les rôles liés à chaque catégorie. Étant donné qu’il y a des rôles qui semblent réservés aux différentes catégories, un certain nombre d’attentes en termes de comportements envers ces derniers se créent. En d’autres termes, on s’attend à ce que, idéalement, un homme se comporte d’une certaine manière et une femme d’une autre au regard des croyances et normes en vigueur dans l’environnement social dans lequel nous nous trouvons. De manière inconsciente, nous cherchons à nous comporter en adéquation avec ces attentes et demeurer ainsi dans les normes, dans le cas contraire, nous sommes considérés comme des transgresseurs de ces normes.

Pour mieux comprendre les apports des recherches sur les différences liées au sexe, Eagly et Wood (1991) nous montrent l’importance des méta-analyses car elles offrent une perspective unique pour le développement du champ théorique qui concerne ce domaine. Le but de ces analyses est d’avoir une vue d’ensemble sur ce qui a été fait et de considérer la généralisation des résultats dans un angle plus large. Il ressort donc de leur méta-analyse (qui a fortement été aidée par la théorie des rôles sociaux, notamment en ce qui concerne la sphère professionnelle), que les différences entre les hommes et les femmes peuvent s’observer dans la manière de leader. Les femmes mettent plus en exergue un leadership plus démocratique et les hommes un leadership plus autocratique. La théorie des rôles sociaux d’Eagly (1987) concerne donc les différences effectives entre les sexes. Ces différences sont la conséquence de l’aspiration au conformisme que les gens développent vis-à-vis des attentes liées à leur rôle social (Leyens, Yzerbyt, Schadron & Monteil, 1996). Sa particularité est d’avoir mis en évidence l’attribution de rôles distincts pour les hommes et pour les femmes sur la base des différences biologiques, ce qui entraîne des conséquences dans les différentes sphères de la vie, produisant des phénomènes tels que la division sexuée du travail, en ce qui concerne la sphère professionnelle.

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Le travail fait partie intégrante de la vie humaine. Il offre aux hommes et aux femmes le confort, la valorisation et la reconnaissance sociale. Bien que les domaines d’interventions ne soient pas toujours identiques, les hommes et les femmes travaillent depuis la nuit des temps. Nous constatons, cependant, comme une volonté dissimulée d’occulter une partie de l’histoire du travail des femmes, dont l’activité a été réduite au cadre domestique. Battagliola (2008, p. 3) essaie de « mettre au jour une histoire occultée par une historiographie écrite essentiellement au masculin ». Cette historiographie masculine a été critiquée en mettant l’accent sur plusieurs points, notamment la constitution d’une évolution des femmes en marge de celle des hommes. Or, lorsque nous analysons cette évolution, c’est souvent sous l’angle de leurs rapports à l’autre sexe, c’est-à-dire aux hommes, qu’elle est appréhendée.

La division sexuée du travail, autrement dit le fait que certains postes ou certains secteurs d’activités soient réservés aux femmes et d’autres aux hommes, tire son origine des sociétés anciennes où effectivement, certaines activités étaient la chasse gardée des hommes et d’autres celle des femmes. Prenons le cas de la chasse, de la pêche ou de la cueillette. Dans son livre consacré à “l’anthropologie de la division sexuelle du travail”, Testart (2014) explique pourquoi la chasse était réservée aux hommes et la cueillette aux femmes en utilisant le postulat de la mobilité. Ce postulat stipule que, puisque les femmes mettent au monde des enfants qu’elles doivent par la suite allaiter, il leur était donc impossible de se déplacer pour chasser le gibier. Cette explication nous montre comment sur la base d’une réalité physiologique, les activités étaient réparties dans les groupes sociaux. Les différences biologiques sont par conséquent l’un des facteurs conduisant à cette division sexuée du travail.

De nos jours, ce phénomène peut s’observer aussi bien dans les entreprises publiques que privées par une surreprésentation des femmes dans certains métiers, comme ceux relatifs au domaine social. À ce sujet, Bessin (2009)7 parle d’ailleurs d’une forte féminisation des métiers du social, avec 97 % des aides à domicile ou aides ménagères, assistantes maternelles et secrétaires en France qui sont des femmes, contre 2 % des ouvriers du bâtiment. Au Gabon, la situation n’est guère différente, d’autant que 98 % des aides ménagères et secrétaires sont des femmes. Elles restent cantonnées à certains métiers qui ont un lien avec les vertus féminines traditionnelles comme l’énonce Marguerite Yourcenar (Cité par Filaire, 2011). Cela

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Bessin M., ” La présence sociale en polyvalence de secteur. Enjeux de temporalisation et de sexuation dans

l’accompagnement par des assistantes sociales ”, in Bessin M. & al. Le genre de l’autonomie. Enquêtes sur la sexuation des interventions sociales, rapport de recherche pour la MIRE/DARES, IRIS-CSPRP, avril 2009, pp. 155-194.

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a pour conséquence une concentration massive des femmes dans les métiers dits supports ou dans le social et une sous-représentation dans d’autres, plus typés masculins. Plusieurs métiers sont majoritairement occupés par les femmes. Le Tableau suivant nous résume assez bien la situation telle que nous pouvons l’observer en France.

Tableau 2 : les métiers les plus féminisés en France

Nombre d’emplois total en milliers

Nombre de femmes en milliers

Part de femmes en %

Aides à domicile et aides ménagers et assistants maternels 992 969 97,7 Agents d’entretien 1 234 870 70,5 Enseignants 1 042 685 65,7 Vendeurs 829 610 73,5

Employés administratifs de la fonction publique 806 592 73,4 Aides-soignants 575 521 90,4 Infirmiers, sages-femmes 543 476 87,7 Secrétaires 434 424 97,6

Employés administratifs d’entreprise 394 303 76,9

Employés de comptabilité

334 283 84,6

Employés de maison

243 230 94,3

Source : tiré de, Observatoire des inégalités (2014), d’après l’INSEE, données 2011

D’après ce Tableau, nous voyons qu’en plus des métiers tels qu’aides à domicile et assistants maternels, les métiers d’enseignants (65,7 %), d’aides-soignants (90,4 %) et d’employés de comptabilité sont fortement occupés par les femmes.

La question liée aux inégalités de traitement dans le monde professionnel entre hommes et femmes représente un enjeu important aussi bien pour les concernés que pour les politiques. Aujourd’hui encore, ces inégalités entraînent une forme de ségrégation genrée basée sur l’idée d’une certaine incapacité des femmes ou des hommes à exercer certains métiers. Pourtant, ils ont démontré leur aptitude à occuper des postes qui étaient au préalable réservés aux personnes du sexe opposé. Des auteures telles que Maruani (2000), Battagliola (2008) et Héritier (2010) nous montrent à travers leurs œuvres que, malgré les avancées dans le sens de l’égalité hommes-femmes, il existe toujours des écarts entre ces derniers. Ces écarts traitent l’un (homme) en position plutôt dominante et l’autre (femme) en position d’infériorité conduisant ainsi à une relation asymétrique.

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