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Chapitre 3 : Problématique générale et hypothèses de recherche

I. Problématique générale

Au regard de ces éléments susmentionnés, nous nous interrogeons sur ce qui pourrait caractériser les femmes cadres dans un contexte africain tel que le Gabon par exemple. Quelles sont les principales difficultés auxquelles elles sont confrontées dans leur vie professionnelle ? Sont-elles sujettes à un conformisme qui stipule que pour occuper un poste de direction, il faut adopter des caractéristiques dites masculines, traditionnellement perçues comme plus adaptées à la sphère de prise de décision ? Ou bien, développent-elles un autre type d’identité nouvelle, ou identifiable comme mettant en exergue des spécificités masculines et féminines ? Quelles stratégies mettent-elles en place, comparativement aux femmes cadres en France, pour briser le plafond de verre, et quel impact les mesures de non-discrimination, mises en place par les institutions dans les deux pays, ont-elles sur leur accession au monde professionnel ? Les réponses à ces questionnements permettront de vérifier si les modèles de leadership développés dans les pays dits du nord sont transposables

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aux pays du Sud. En d’autres termes, les styles de direction adoptés par les hommes et les femmes au Gabon qui seront mis en évidence dans nos études feront l’objet d’une comparaison avec ceux mis en évidence par les hommes et les femmes en France.

En France, grâce à la loi sur la parité et la féminisation du rôle d’un élu local - qui fait de ce dernier quelqu’un qui est au contact des électeurs et qui doit traiter des problèmes quotidiens avec une ambition moindre (cette manière d’agir reflète les qualités dites féminines selon Eagly et Karau, 2002) -, il y a une légère progression de la présence des femmes dans les conseils municipaux et surtout dans les grandes métropoles. Nous remarquons néanmoins qu’elles sont largement exclues des postes à pouvoirs élevés en politique malgré cette loi sur la parité de 2000. Il y a des hypothèses qui ont été émises pour présenter et expliquer cette situation, lesquelles font état d’une discrimination liée au genre alimentée par des stéréotypes qui tendent à perdurer dans l’inconscient collectif.

La discrimination liée au genre est un fait qui perdure encore de nos jours, surtout dans le monde du travail. Elle peut être due à plusieurs facteurs que sont notamment les préjugés, le sexisme, les stéréotypes et la division sexuelle du travail. Elle se manifeste souvent de manière implicite, mais peut avoir des conséquences plus visibles (par exemple la sous-représentation de tel ou tel autre sexe dans un secteur d’activité, à partir d’un certain niveau hiérarchique…). Les femmes sont les sujets les plus touchés par ce phénomène et cela parce qu’en tant que femmes, elles ne possèdent pas des qualités qui permettent d’occuper avec stabilité un poste à responsabilités élevées ; lesquelles qualités ayant un rapport avec l’exercice du pouvoir. Il s’agit par exemple de la stabilité émotionnelle, l’agressivité, la confiance en soi, l’ambition et le désir des responsabilités (Schein, 2001). Les chercheurs dont la division sexuelle du travail est l’un des axes de recherches (Laufer, 2004 ; Eagly & Karau, 2002 ; Belle, 1991) montrent l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive alors que les femmes sont cantonnées à la sphère familiale. Aussi comprend-on que l’accès des femmes à des postes de pouvoir n’est pas compatible avec sa fonction traditionnelle, voire naturelle, de mère ou épouse. Cela fait d’elle une personne qui sort du cadre qui lui est réservé et la place dans une posture de déviance. Cette déviance aura des conséquences sur les attitudes des personnes de son entourage. Lesquelles attitudes pourront aller jusqu’à des réactions discriminatoires non seulement de la part des hommes avec lesquels elle serait en compétition, mais aussi de la part des femmes qui ne se reconnaîtraient plus en elle.

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Le continent africain regorge de nombreuses femmes leaders au regard des postes qu’elles occupent et des responsabilités qui sont les leurs. La femme africaine est une actrice non négligeable de la vie publique et il nous semble important de relever les conditions dans lesquelles elle évolue au quotidien et les difficultés qui sont siennes. Longtemps perçue comme étant fragile et nécessitant une protection permanente de l’homme, il semblerait que la femme (aussi bien gabonaise que Française) ait prouvé aux yeux du monde qu’elle est capable d’assumer des responsabilités bien au-delà des rôles traditionnels qui lui étaient assignés jusque-là. Le fait d’assurer des fonctions de reproduction par exemple, fait d’elle un élément clé de la survie de l’espèce humaine d’une part. Et d’autre part, sa participation active à l’éducation des enfants prouve à suffisance qu’il est plus que nécessaire de tout mettre en œuvre pour lui offrir un environnement dans lequel elle peut s’épanouir.

Certes certaines femmes ont réussi à se hisser sur les plus hautes marches, mais nous réalisons qu’elles ont beau avoir des diplômes, ou les mêmes niveaux de qualification que les hommes, elles ne parviennent pas toujours à les mettre en valeur ou à occuper les postes en adéquation avec leurs compétences réelles. Le chômage et le travail à temps partiel leur reviennent en majorité et, très souvent, les hommes sont toujours prioritaires sur le marché de l’emploi et majoritaires dans les institutions nationales et internationales. Pourtant, elles ont fait leurs preuves en matière de capacité à diriger et à rendre plus performantes les organisations dont elles ont la charge. D’autant que plus il y a des femmes dans les instances de décisions d’une institution, plus la performance est élevée (Ferrary, 2010). Des qualités telles que l’exemplarité, l’inspiration, la prise de décision participative, les attentes et reconnaissances, le développement des autres, la stimulation intellectuelle, la communication efficace, la prise de décision individuelle, etc., très plébiscitée par les employés, sont mis davantage en exergue par les femmes (McKinsey & Company, 2007 et 2008). Elles influencent positivement la vie organisationnelle, d’où l’importance, une fois de plus, de favoriser leur accession à des postes de décisions ayant un impact sur le bien-être général. Ces différents constats nous prouvent à suffisance que les difficultés que les femmes rencontrent dans le monde du travail ne sont pas dues à une certaine incompétence. Il faut dire que, dans l’exercice du pouvoir, elles ont fait leurs preuves et ont démontré qu’elles possèdent des atouts en matière de capacité à diriger. Ainsi la question pour nous est-elle de savoir pourquoi malgré des contextes légaux favorables à leur ascension professionnelle, les femmes sont encore en sous-représentation en comparaison aux hommes ? Ce qu’elles proposent comme type de leadership est-il significativement différent de ce que leurs homologues

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masculins proposent ? Comment sont-elles perçues par leurs collaborateurs ? Ce que nous souhaitons mettre en évidence à travers ce travail de recherche c’est la description que font les employés des hommes et des femmes en situation de diriger. Pour cela, et afin de répondre à nos différents questionnements, nous nous proposons d’effectuer une recherche comparative (avec plusieurs niveaux de comparaison) entre un pays du Nord (France) et un pays du Sud (Gabon). En d’autres termes, nous allons effectuer des comparaisons entre la France, qui est un pays développé et dont les pratiques professionnelles sont assez avancées et le Gabon, pays en voie de développement qui se construit en ayant la France pour référence. Cette comparaison inter pays représente le premier niveau de comparaison. L’autre niveau de comparaison est celui qui confronte les hommes et les femmes en France et les hommes et les femmes au Gabon. Nous aurons dans ce cas, une comparaison intra pays.

Cette recherche sera articulée autour de plusieurs études dont la première est une analyse d’activité de cadres (managers) afin d’avoir des éléments de comparaison (dans un premier temps, puis France/Gabon dans un second temps) dans leur manière de diriger. Cette analyse d’activité nous donnera l’occasion de nous situer, au regard des résultats qui en émaneront, entre les partisans de ceux qui estiment qu’il existe des différences entre les hommes et les femmes dans les styles de management, et ceux qui pensent qu’il n’en existe pas. Notre analyse d’activités s’articulera autour d’une méthodologie qui croisera plusieurs techniques d’analyse (analyse des agendas des managers, observations auto rapportées par la méthode des entretiens semi-directifs post-observations) et se fera en France et au Gabon pour rester dans cette optique de comparaisons inter et intra groupes.

Ensuite, il sera question de mener une étude plus générale sur la base de questionnaires destinés aux subordonnés cette fois-ci, afin de déterminer dans les deux pays la représentation que les gens ont des femmes leaders, ces femmes qui mènent de main de maître des carrières professionnelles à des postes à hautes responsabilités comparativement aux hommes. Les différents résultats nous serviront à relever les similitudes entre les hommes et les femmes dans les deux pays.

Il faut dire qu’il existe des spécificités dites féminines et des spécificités dites masculines (Cherret de la Boissiere, 2009). En ce qui concerne les spécificités féminines présentées entre autres comme des capacités relationnelles avec une bonne appréhension des relations humaines, cette auteure tente d’en faire le principe fondateur d’un nouveau leadership adapté à l’entreprise actuelle. Elle développe par ailleurs un concept pragmatique de management qui, en associant les spécificités masculines et les qualités féminines, permet de manager

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efficacement la complémentarité d’équipes mixtes. Dans le même ordre d’idée, une étude menée en 2005 par Arborus22 (association pour la promotion des femmes en entreprise), révèle qu’elles ont un meilleur relationnel, une disponibilité, la compréhension et communication qui sont donc des qualités typiquement féminines appréciées des collaborateurs. De plus, cela ne les empêche guère de se montrer particulièrement exigeantes dans le travail. Ainsi, la troisième étude de notre travail sera axée sur les styles de leadership des hommes et des femmes de nos échantillons gabonais et français. Autrement dit, nous souhaitons mettre en évidence les styles de leadership des hommes et des femmes au Gabon et en France. À travers une mesure qui interroge les subordonnés, il sera question pour ces derniers de préciser les comportements que leur chef met en exergue au quotidien dans la direction des activités de management d’équipe. Ces styles de leadership seront mis en relation avec le niveau de satisfaction des subordonnés.

Mener une étude comparative entre deux pays peut s’avérer être une tâche difficile que la définition préalable des critères de comparaison nous permettra d’accomplir avec moins de difficultés. De manière générale, les recherches comparées se focalisant sur une seule méthode sont souvent confrontées à divers problèmes parmi lesquels l’équivalence linguistique (dans le cas de deux pays n’utilisant pas la même langue), l’équivalence conceptuelle, l’équivalence de la mesure et les problèmes d’échantillonnages. Pour faire face à ces différentes situations, certains auteurs tels que Warwick et Osherson (1973) 23 réclament d’ailleurs davantage de combinaisons innovantes dans les méthodes de la recherche comparée. Nous avons donc opté pour une combinaison des méthodes statistiques aussi bien quantitatives que qualitatives dans notre travail, car cela nous a offert plusieurs sources d’informations et une interprétation de résultats à plusieurs niveaux.

En somme, la thèse que nous défendons dans ce travail c’est celle de l’existence de différences entre les hommes et les femmes dans la manière de diriger. Nous nous interrogeons donc sur ces différences, qu’elles sont-elles et comment sont-elles perçues par les personnes dirigées, aussi bien en France qu’au Gabon. Autrement dit, quelles sont les spécificités attribuées aux hommes et qu’elles sont celles attribuées aux femmes. Nous pensons également que ces spécificités différentes ont une influence sur la satisfaction professionnelle des subordonnés.

22 En ligne: http://www.arborus.org/. 23

Warwick, Donald P., and Samuel Osherson. Comparative Research Methods. (EngiewoOd Cliffs, New Jersey: Prentice Hall, 1973).

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