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Chapitre 2 : le leadership

III. Analyse du lien entre l’exercice du leadership et le pouvoir dans les contextes culturels

2. Apports de Hofstede et Schwartz

L’une des caractéristiques de la culture est qu’elle fait référence à un système dans lequel plusieurs éléments cohabitent et sont en lien permanent. À travers sa définition, nous pouvons mettre en évidence plusieurs éléments qui la constituent, notamment : les croyances, les connaissances, la morale, la coutume d’une part. Mais également les traditions, les objets, les symboles qui non seulement sont transmis de génération en génération, mais aussi représentent l’identité propre du groupe comme le spécifie Kluckhohn (cité par Bollinger & Hofstede, 1987) d’autre part. Aucune personne ne naît avec une tradition, une coutume ou encore une morale, c’est en ce sens que la culture revêt ce caractère acquis et non inné car nous les acquérons au fur et à mesure que nous grandissons.

Dans les années 80, Geert Hofstede a mis en place un modèle théorique qui permet non seulement d’identifier les dimensions qui constituent une culture aussi bien nationale qu’organisationnelle, mais aussi de pouvoir les mesurer et d’aboutir ainsi à un système de comparaisons entre différents contextes culturels. Selon lui, les différences culturelles entre deux groupes peuvent s’observer à travers des éléments tels que les symboles, les héros, les rituels et les valeurs. Il place les valeurs au cœur de sa conception car elles représentent l’élément qui s’imprime de manière indélébile dans nos modes de penser et influencent ainsi nos comportements. Nous nous proposons de voir, ce qui en termes de valeurs, peut sembler important dans la constitution et la manifestation d’une culture.

La culture ne se limite pas qu’à l’aspect observable de l’activité humaine, elle fait également référence à tous les éléments qui constituent la vie humaine, qu’ils soient objectifs, subjectifs, observables, explicites, implicites, etc. Ce sont tous ces éléments qui vont permettre d’identifier un groupe comme différent d’un tel autre. De plus, dans la plupart des sociétés, nous constatons une certaine volonté de formaliser sous forme de lois, de règles de conduite et même de normes les aspects culturels en vigueur dans leur contexte. Les valeurs, élément central du modèle théorique de Hofstede font échos en quelque sorte, au-delà de leur caractère subjectif, à ce besoin de formalisation. Pour illustrer cela, le caractère pragmatique de la définition de Bollinger et Hofstede (1987, p. 24-25) fait état d’une « très forte tendance d’un homme à préférer une certaine situation à une autre…nos valeurs déterminent notre définition subjective de la rationalité », place les valeurs dans la case des facteurs qui

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influencent les choix de pensées ou de comportements. C’est-à-dire que nos pensées devraient normalement être le reflet des valeurs qui sont les nôtres.

Les valeurs influencent l’orientation que nous donnons à telle ou telle autre chose comme étant bonne ou mauvaise. À travers cela, les individus qui partagent par exemple une même culture, par conséquent les mêmes valeurs, partagent également les mêmes définitions de ce qui est bien ou mal. Ils partagent un système de valeurs qui définit ce qu’ils ont en commun en tant que membres d’une même communauté. En plus du fait que les valeurs aient une influence sur les modes de pensée et les comportements, elles sont étroitement liées à l’affect car « ce sont des sentiments puissants fondateurs de légitimité » (Kuty, 2007, p.12) et permettent par conséquent de justifier les choix comportementaux qui les définissent. Mettre en lien les sentiments et les valeurs montre le caractère intime dont ces dernières font l’objet. Nous pouvons dire que celles-ci ont le pouvoir dans la vie des individus car non seulement elles définissent le cadre dans lequel l’homme circonscrit son comportement, mais aussi, elles agissent comme des enseignements qui sont donnés et ainsi constituent un patrimoine en termes de connaissances.

Lorsqu’il place les valeurs au cœur de son modèle, Hofstede (1994) montre qu’elles représentent le principe à partir duquel les comportements se fondent. En effet, les rituels, les héros et les symboles font référence aux pratiques à proprement parler. En plus de définir ce qui est bien et ce qui est mal, les valeurs renseignent les individus sur ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, sur ce qui est rationnel et ce qui ne l’est pas et même sur ce qui est beau, et ce qui ne l’est pas. En principe, ce que nous faisons au quotidien est en quelque sorte orienté par nos valeurs, même si le chercheur précise qu’il est important de distinguer « valeurs désirables et valeurs désirées ». En somme, il s’agit de ce que nous désirons pour le monde, de comment nous souhaitons qu’il soit et aussi ce que nous désirons pour nous-mêmes. Il existe une grande différence entre ce que nous désirons pour le monde, comment nous voulons que le monde soit (le désirable) et notre comportement effectif d’une part. Et d’autre part, le désiré se rapprochant de ce que nous souhaitons pour nous-mêmes, le comportement se rapproche à peu près de ce à quoi ce désiré correspond, même si ce n’est pas toujours le cas. En d’autres termes, il peut y avoir des différences entre ce que nous considérons comme valeurs et notre comportement dans les situations réelles de la vie.

Qu’à cela ne tienne, à travers ses travaux de recherches, Hofstede a dégagé plusieurs dimensions culturelles qu’il qualifie de mesurables, peu importe l’endroit. Ces principales dimensions qui font état des différences entre des cultures nationales sont la distance

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hiérarchique, le degré d’individualisme ou de collectivisme, le degré de masculinité ou de féminité et le contrôle de l’incertitude. La distance hiérarchique (DI) représente le degré auquel les individus perçoivent le degré d’inégalité entre ceux qui détiennent le pouvoir dans une société et ceux qui sont leurs subordonnés. Le fait de posséder plus de pouvoir ou d’en posséder moins peut être plus ou moins accepté dans un contexte comme dans un autre. Ainsi, le fait que certains peuples, classes sociales ou groupes ethniques détiennent plus de pouvoir peut soit être combattu soit être accepté. Le degré de collectivisme ou d’individualisme (CIN) détermine quant à lui cette opposition entre les sociétés communautaires qui mettent l’accent sur le groupe, et les sociétés individualistes dans lesquelles la vie personnelle et le temps que chacun lui accorde sont plus valorisés. Nous aurons par exemple des notions telles que la famille élargie dans certains contextes où le collectivisme prime, et celle de famille proche qui est plus valorisée dans d’autres contextes. La troisième dimension, le contrôle de l’incertitude (CI) se caractérise par le niveau de tolérance ou d’acceptation de l’incertitude face à l’avenir qui n’est pas toujours maîtrisé. Certains peuvent donc avoir un niveau de tolérance élevé et ainsi un contrôle faible, et d’autres un niveau de tolérance faible pour un contrôle fort. À travers cet aspect, des différences peuvent être observées entre plusieurs cultures. La dernière dimension, c’est-à-dire la masculinité ou la féminité (MF) provient de la dualité homme-femme et elle fait état d’une différence entre les sociétés où les rôles sont différenciés entre hommes et femmes, ce qui caractérise les sociétés masculines. Et plus les rôles sont interchangeables, c’est-à-dire hommes et femmes ont à peu près les mêmes rôles, plus la société sera dite féminine.

De nombreuses critiques ont été adressées au modèle théorique de Hofstede (Badraoui, Lalaouna & Belarouci, 2014 ; Witte, 2012 ; Alion, 2008). L’une d’elles stipule que les dimensions culturelles ne sont pas pertinentes au niveau individuel. Bien qu’ayant permis de mettre en évidence des différences entre les pays, donc à un niveau plus macroscopique, elles éludent des différences individuelles à un niveau microscopique, surtout lorsqu’il est question de pays dans lesquels il existe plusieurs ethnies dont les patrimoines culturels diffèrent les uns des autres. Il s’agit donc d’une forme de généralisation un peu trop abusive et il nous semble important de relever cet élément.

À l’instar de Hofstede, d’autres chercheurs comme Schwartz (2012, 2006, 1994, 1992) ont mis en relief une analyse de la structure des valeurs humaines. Il ressort qu’elles sont décrites comme très importantes pour la compréhension de l’organisation quotidienne de la vie des êtres humains. Ainsi selon sa théorie, Schwartz (2012) présente les valeurs comme des

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objectifs souhaitables, trans-situationnels, de degré d’importance variable et servant de principes directeurs dans la vie des individus. Une synthèse fait état de cinq principales caractéristiques permettant d’identifier une valeur comparativement à une autre source de motivation quelconque. Les valeurs sont des croyances directement liées aux émotions, aux sentiments ; elles sont une source de motivation car elles représentent des objectifs souhaitables à atteindre ; elles transcendent les actions ; elles orientent les comportements à travers leur évaluation et enfin, elles sont souvent classées par ordre d’importance pour les individus.

Les valeurs sont fortement imbibées par nos affects, nos sentiments. Un individu pour qui la liberté représente une valeur fondamentale peut se sentir affecté émotionnellement, lorsque celle-ci est menacée et qu’il ne peut rien faire pour améliorer cela, ou s’engager dans une action visant à retrouver cette liberté. Les valeurs sont en quelque sorte des croyances qui nous motivent. Si nous croyons en un monde juste, alors notre comportement devrait normalement refléter cette soif de justice. Même si nous avons vu la différence qui s’opère entre les valeurs désirées et les valeurs désirables, et que toute valeur ne se traduit pas nécessairement en comportement qui la reflète, soulignons tout de même qu’à l’instar des croyances, les valeurs sont à l’origine des comportements des individus. En effet, selon la théorie du comportement planifié (Ajzen, 2002), l’adoption ou non d’un comportement est fonction du processus à travers lequel nous comparons trois types de croyances qui sont liées au dit comportement. Ces trois types de croyances se caractérisent par des croyances normatives (liées à l’approbation ou non du comportement par le groupe d’appartenance), des croyances comportementales (liées aux effets du comportement en termes d’avantages ou d’inconvénients) et des croyances de contrôle (qui vont donner un sentiment de contrôle ou non car relevant d’aspects facilitateurs ou non de la mise en place du comportement). Nous pensons que les valeurs vont également se manifester comme les croyances, car elles sont directement liées à ce en quoi les individus croient, à ce à quoi ils aspirent aussi bien pour eux que pour le monde qui les entoure.

Schwartz (1992) a développé une théorie sur les valeurs humaines composée de dix principales valeurs qu’il représente d’une manière structurée dans le but de montrer une forme de relation d’antagonisme ou de compatibilité entre différentes valeurs :

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Grâce à cette figure, Schwartz nous démontre que les principales valeurs qui constituent son modèle théorique entretiennent une relation d’indépendance ou de dépendance et se répartissent en deux grandes dimensions. La première dimension oppose l’ouverture au changement et la continuité. La deuxième oppose l’affirmation de soi et le dépassement de soi. Les valeurs qui relèvent de l’ouverture au changement sont l’hédonisme (valeurs liées au plaisir associé à la satisfaction des besoins vitaux de l’homme), la stimulation (il s’agit de maintenir un certain niveau d’activité en rapport au besoin de variété et de stimulation de tout individu) et l’autonomie (penser et agir de manière indépendante en vue de choisir de créer…). Celles qui sont en rapport avec la continuité sont quant à elles la sécurité (maintenir une certaine stabilité et harmonie dans la société. Cela concerne un niveau individuel, se maintenir propre ou en bonne santé ; et un niveau collectif, la sécurité nationale), la conformité (éviter les actions qui peuvent porter atteinte à l’harmonie du groupe, ou à transgresser les normes sociales) et la tradition (maintenir et respecter les coutumes et traditions culturellement admises et transmises). Pour ce qui est de l’affirmation de soi, nous avons les notions de réussite (être compétent et reconnu comme tel, aboutissant à un succès personnel) et de pouvoir (avoir un statut social qui confère domination et prestige social). Et enfin, celles liées au dépassement de soi se caractérisent par l’universalisme (liées à la protection des hommes et de l’environnement, nous avons donc les notions de justice sociale, d’égalité, mais aussi d’écologie et de protection des ressources naturelles afin d’éviter leur destruction) et la bienveillance (contribuer et veiller à la préservation du bien-être de son entourage).

Une forme d’opposition existe entre plusieurs valeurs alors que certaines autres sont compatibles, ceci en fonction de l’axe sur lequel elles se situent. L’opposition ou la compatibilité se mesure à travers le fait que la mise en œuvre ou l’adoption d’une certaine valeur aboutit à des conséquences qui engendrent un conflit avec une autre valeur. Par

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exemple, autonomie et conformité s’opposent, de même que pouvoir et bienveillance. Cependant, bienveillance et universalisme sont assez compatibles car portés vers la préservation du bien-être de son entourage, ainsi que conformité et tradition. La forme circulaire du modèle théorique décrit ces relations d’antagonisme ou de compatibilité. Les valeurs sont classées en fonction de leur objectif et sur la base des deux axes que nous avons mentionnés plus haut. Teyssier et Denoux (2013) ont analysé l’approche de Schwartz. Ils se sont en effet demandés si ce dernier n’avait « pas négligé quelques spécificités s’exprimant dans telle ou telle culture » (p.302) en énonçant la notion de « valeurs universelles » regroupées en 10 pôles. Un questionnement que nous trouvons assez logique car la généralisation d’un phénomène peut avoir pour conséquence d’occulter les particularités qui le définissent.

L’idée de l’existence d’une certaine hiérarchie dans les valeurs a également été abordée, et semble aussi valable en ce qui concerne le modèle théorique de Schwartz. Il s’agit en fait de les classer par ordre d’importance. Cet ordre d’importance est fonction des individus et des groupes d’individus, de leur appartenance culturelle et des facteurs qui sont valables dans leur environnement. Autant les valeurs culturelles se positionnent dans une forme de hiérarchisation sociale, autant les hommes et les femmes qui représentent un groupe, une société ou une culture vont occuper des places qui ont des effets sur leur capacité à influencer aussi bien dans la sphère de la vie privée que dans la sphère de la vie publique. Les degrés de liberté accordés à chacun sont régis par des normes sociétales, ainsi que le pouvoir que possède chaque individu en fonction de son statut social ou son genre.