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1.2 Les phénomènes d’oxydoréduction dans les silicates fondus .1 Généralités

1.2.7 Relation entre état rédox et propriétés du verre

Nous avons vu que le fer, en tant qu’espèce multivalente possède des rôles structuraux différents selon son état d’oxydation et sa coordinence. De très nombreuses propriétés des verres et des liquides vont donc être modifiées par la présence du fer, sous ses deux degrés d’oxydation, et ces propriétés vont en général dépendre à la fois de la coordinence des cations du fer et du rédox des verres. Nous présentons ici une brève revue des propriétés des silicates vitreux et fondus affectées l’état rédox des espèces multivalentes qu’il contient et en particulier du fer.

a) La couleur

Présent dans les matières premières, le fer est la principale impureté colorante des verres technologiques, et même une faible teneur (quelques ppm) peut conduire à des colorations intenses. L’ion Fe2+ présente un caractère absorbant majoritairement dans le domaine infrarouge alors que le Fe3+ absorbe principalement dans l’ultraviolet. Ainsi, la couleur des verres contenant du fer en faible concentration pourra varier du bleu-vert au jaune-marron en fonction de la teneur relative en fer ferreux et ferrique [Mysen et Virgo, 1978]. Fe3+ est utilisé pour contrôler la transmission des rayons UV et les transferts d’énergie dans les vitrages automobiles ou d’habitation pour protéger les intérieurs et limiter la transmission de chaleur.

Tableau 1.3 : Couleurs généralement associées aux éléments de transition dans les verres

d’oxydes [i.e. Scholze, 1980 ; Zarzycky, 1982 ; Doremus, 1994].

Élément État d’oxydation Coordinence Couleur

+3 4 ou 6 Jaune Fe +2 4 ou 6 Bleu-vert 4 Bleu Ni +2 6 Violet-gris 4 Bleu-violet +2 6 Rose-violet Co +3 4 Vert +6 4 Jaune Cr +3 6 Vert clair +2 6 Bleu turquoise Cu +1 Incolore +3 6 Violet Mn +2 4 ou 6 Incolore-brun

Cependant la couleur du verre n’est pas uniquement liée à la présence de fer. Elle peut être liée à la présence d’autres métaux de transition multivalents, comme Cu, Cr, Fe, Mn, Ni, Ti, Co et V qui sont caractérisés par des couches 3d incomplètes. À un moindre degré les terres rares ayant des couches 4f incomplètes peuvent aussi influencer la couleur du verre.

Sous l’effet de la lumière, il se produit pour les éléments multivalents des sauts d’électrons, c’est-à-dire des absorptions. Ce phénomène fait apparaître des colorations dans le visible. La couleur observée dépend alors de l’état d’oxydation et de la coordinence de l’ion responsable. Le tableau 1.3 présente la couleur associée à différents éléments multivalents selon leur état redox et leur coordinence dans des silicates vitreux. À partir de mesures d’absorption spectrale, on peut avoir une information sur la coordinence et la valence de l’espèce multivalente colorante.

Aussi, un couplage des différents éléments présentés dans le tableau 1. 3 ou avec le soufre permet d’obtenir une plus vaste gamme de couleur.

b) L’affinage

Le silicate liquide contient de nombreuses bulles de gaz issues de la décomposition des matières premières. Ces gaz (CO2, SO2, O2…) peuvent être dissous physiquement ou chimiquement ou être piégés sous forme de bulle dans le liquide fondu visqueux. Pour éliminer les bulles, les verriers procèdent à l’affinage qui consiste à élever la température du silicate liquide pour diminuer la viscosité du milieu. Pour parfaire cette opération, les verriers ajoutent des agents affinants chimiques, par exemple des oxydes ou des sulfates. Les oxydes d’arsenic (As2O5), d’antimoine (Sb2O5) ou le sulfate de sodium (Na2SO4) sont le plus souvent utilisés. L’action de ces composés est basée sur une réaction redox avec le verre fondu. Une augmentation de température entraîne la réduction de ces agents affinants, ce qui libère de l’oxygène suivant la réaction :

Mm++ n/2 O2+  M(m-n)+ +n/4 O2(gaz). (1.25)

L’oxygène gazeux libéré s’associe alors aux bulles déjà présentes et en augmente leur volume. L’ascension des bulles depuis le cœur du verre vers la surface est donc accélérée selon la loi de Stokes. Le mouvement global des bulles d’oxygène permet aussi d’homogénéiser la composition.

c) La viscosité

La viscosité est une propriété liée à la structure même du silicate fondu et à son degré de polymérisation, ce dernier étant dépendant du rédox. La figure 1.15 montre que lorsque Fe est substitué à Si dans un sodosilicate avec un rapport rédox Fe3+/ΣFe supérieur à 0.80, une diminution de la viscosité est observée [Dingwell et Virgo, 1988]. Par contre si du fer est ajouté dans un liquide dépolymérisé, du type CaO-SiO2, une augmentation de la viscosité est tout d’abord observée, puis vient ensuite une diminution [Mysen et al., 1985b].

Figure 1.15 : Viscosité des compositions

Na2Si4O9-Na6Fe4O9 avec 0, 5, 10, 20 , 30, 40 et 50 mol % Na6Fe4O9 représentées dans un diagramme d’Arrhenius [Dingwell et Virgo, 1888].

De plus, à teneur en fer constante, la viscosité diminue lors de la réduction de Fe3+ en Fe2+, jusqu’à une certaine valeur de Fe3+/ΣFe en dessous de laquelle la viscosité ne varie plus [Cukierman et Uhlmann, 1974; Dingwell et Virgo, 1987; Dingwell, 1991 ; Liebske et al., 2003] La relation entre la viscosité et le rapport rédox Fe3+/ΣFen’est pas linéaire. Ces observations sont souvent attribuées aux différents rôles structuraux de Fe3+ et Fe2+, à savoir respectivement formateur et modificateur de réseau.

Figure 1.16 : rapport rédox du fer et

viscosité pour des compositions Mx/2FeSi2O6. Résultats de Dingwell et Virgo, [1987] pour Na et Na2, un autre silicate fondu avec un taux de fer plus important (1703 K) ; Dingell et Virgo [1988] pour Ca (1673 K) et Dingwell [1991] pour K (1653 K), Rb (1743 K) Ba (1618 K) et Sr (1723 K) [d’après Mysen et Richet, 2005]

Dans leur modèle empirique de prédiction de viscosité haute température, Bottinga et Weill [1972] supposent que les effets de FeO sont monotones avec la concentration. Cependant, la littérature fournit peu de données sur l’influence de Fe2+ sur la viscosité et en particulier lorsque Fe2+ existe en tétraèdre. En revanche, les données disponibles pour différents systèmes indiquent que la viscosité augmente avec l’oxydation (Fig. 1.16).

Ainsi une oxydation aurait tendance à provoquer une polymérisation du réseau et à augmenter la viscosité. Par exemple, dans les aluminosilicates, l’influence de fer sera différente selon qu’on se place dans des compositions peralcalines (Na/Al>1) ou peralumineuses

(Al/Na > 1) [Webb, 2005] : dans les compositions peralumineuses, la charge de Fe3+ ne pourra pas être compensée, ce qui va entraîner une diminution de viscosité par rapport aux compositions peralcalines.

d) La nucléation et la cristallisation

La concentration en Fe et son état redox ont une influence importante sur la cristallisation des liquides aluminosilicatés [Sorensen et al., 2005; Bouhifd et al. 2004]. La présence de Fe2+ provoque une cristallisation plus rapide et plus importante que celle de Fe3+ [Sorensen et al., 2005]. Ceci est à mettre en relation avec le rôle de modificateur de réseau associé à Fe2+ qui va pouvoir diffuser pour alimenter la cristallisation. Selon Sorensen et al. [2005] c’est le redox qui contrôle les premiers stades de la cristallisation ainsi que la morphologie des cristaux formés. Lors de la cristallisation de verres contenant du fer, les cristaux produits contiennent généralement du fer. Dans la plupart des cas il y a cristallisation d’hématite (α-Fe2O3) ou de magnétite Fe3O4 [Sorensen et al., 2005].

e) Les propriétés magnétiques et électriques

Les propriétés magnétiques des verres contenant du fer dépendent en partie du rédox du verre et sont souvent associées à la présence de clusters de fer, par exemple deux tétraèdres de fer ferrique formant une bi pyramide, possédant des propriétés magnétiques au sein de ces verres [Bukrey et al., 1974; Schmidbauer et al., 1986].

Dans les verres contenant du fer, la conduction électrique se fait par sauts d’électrons entre les deux degrés d’oxydation du fer [Mogus-Milankovic et al., 2007]. Il est donc nécessaire que le fer ferrique et le fer ferreux se trouvent dans des sites adjacents pour que cette conduction électronique ait lieu. À plus haute température, la conduction est de type ionique. Aussi, moins il y a de fer, plus la conductivité ionique l’emporte sur la conductivité électronique.

f) Les propriétés thermiques

Nous retrouvons ici les propriétés d’absorption des ions du fer dans les différents domaines d’énergie. En effet, le fer ferreux, absorbant dans le domaine de l’infrarouge, permet de bloquer une partie des transferts énergétiques alors que le fer ferrique absorbe principalement dans l’ultraviolet et assure donc une protection aux rayons ultraviolets [Uchino et al., 2000].

g) Les propriétés relatives au confinement des déchets nucléaires

Les déchets nucléaires vitrifiés contiennent souvent plusieurs espèces multivalentes dont l'état redox peut modifier significativement les propriétés du liquide (propriété rhéologique, moussage) et du verre final (taux d'incorporation de certains éléments, propriétés de durabilité chimique). L’optimisation de l’état redox des verres permet d’améliorer non seulement les propriétés de confinement des verres mais aussi les performances du procédé de vitrification.

Des études menées au CEA [Pinet, 2005] ont montré l’intérêt que pourrait constituer le contrôle du redox d’un bain de verre.

g1) Le contrôle du rédox pour traiter des déchets contenant du soufre

La thèse de Marion Lenoir a permis de mieux comprendre l’incorporation du soufre dans les verres de confinement de déchets nucléaires [Lenoir, 2010]. L’incorporation est liée à l’état d’oxydoréduction du soufre. Le soufre existe, en effet, sous différents états d’oxydation et peut, de ce fait, être dissous dans le silicate fondu sous les différentes entités chimiques suivantes :

- S (+VI) (sulfate) : SO3(gaz), SO42-, S2O72-, - S (+IV) (sulfite) : SO2(gaz), SO32-,

- S(0) : S2(gaz), - S(-II) (sulfure) : S2-.

Le soufre est donc chimiquement soluble dans le verre sous forme d’anions et se trouve alors en équilibre avec des espèces gazeuses qui ne peuvent être, elles, que physiquement dissoutes dans le verre fondu sous forme de bulles emprisonnées. La solubilité du soufre dans les silicates fondus dépend, tout d’abord, des conditions dans lesquelles ceux-ci sont synthétisés : en effet, dans des conditions de synthèse réductrices l’espèce prédominante incorporée dans le verre est l’espèce S2- alors que dans des conditions oxydantes (pour des fO2 élevées) l’espèce devenant importante est SO42-[Schreiber et al., 1990]. Les conditions les plus favorables à l’incorporation du soufre dans une matrice vitreuse sont alors des conditions très oxydantes ou très réductrices. Pour des conditions intermédiaires le soufre se stabilisera sous forme S(IV) ou S(0) et aura donc tendance à se volatiliser.

Toutefois même avec les conditions souhaitées (très oxydantes ou très réductrices) pour solubiliser le soufre dans la matrice vitreuse, son incorporation reste limitée à quelques pour-cent massiques. En effet il se crée très facilement à la surface du silicate fondu des phases sulfatées surnageantes ainsi que des billes métalliques.

g2) Les déchets riches en cérium

Le cérium, avec le fer et le ruthénium, est l’une des espèces multivalentes les plus abondantes contenues dans les verres actuels de confinement de produits de fission (~1,3% massique). De par, son rayon ionique, sa coordinence et les degrés d’oxydation dans lesquels il est possible de le stabiliser dans le verre, le cérium est un simulant privilégié du plutonium.

Le taux d’incorporation du cérium dans le verre est limité par sa solubilité dans la matrice vitreuse. Or plusieurs études menées au CEA ont montré que le cérium au degré d’oxydation (+III) est nettement plus soluble que le cérium au degré (+IV) [Lopez, 2002]. C’est pourquoi l’équilibre du couple Ce3+/Ce4+ fait l’objet d’études et a fait l’objet d’une modélisation à partir de mesures voltampérométriques par Di Nardo [2003], Pinet et Di Nardo [2000] et Pinet et al. [2006]. Les résultats obtenus par les techniques électrochimiques étaient en bon accord avec

ceux obtenus par d’autres méthodes comme la spectroscopie XANES au seuil K du Cérium. Ces études ont aussi montré que l’augmentation de température décalait logiquement les espèces rédox du cérium vers les plus réduites. Aussi, l’ajout d’un agent réducteur au silicate fondu permet d’obtenir plus facilement la forme réduite Ce3+ et donc d’augmenter sa solubilité au sein de la matrice vitreuse [Cachia et al., 2006]. Parmi les agents réducteurs nous retrouvons les hydrures : LiH, CaH2, LiAlH4 ; les sulfates : Na2S, CaS, FeS, ZnS ; les nitrures : Li3N, Ca3N2, AlN, BN, Si3N4) et les carbures Al4C 3, CaC2. Cachia et al. [2006] ont retenu le nitrure de silicium pour assurer la réduction de Ce4+ en Ce3+.

h) Autres propriétés

L’état redox peut aussi affecter les propriétés des silicates liquides et des verres trempés comme : la séparation de surface, la volatilité de certains éléments (Cs par exemple), la diffusion des gaz et de certains éléments, la lixiviation, la corrosion de pots de fusion, les phénomènes de foisonnement, la précipitation d’espèces métalliques ainsi que les propriétés électriques, magnétiques et optiques.

À ce stade de l’étude bibliographique, nous savons que selon leur état rédox, le rôle structural des éléments multivalents au sein du silicate vitreux ou liquide, et en particulier du fer, est complexe et que les propriétés du verre ou du liquide sont affectées, d’où la nécessité de mieux comprendre les réactions d’oxydoréduction dans les silicates fondus. Aussi, nous connaissons les différentes méthodes d’évaluation et de mesure du rapport rédox du fer, ainsi que les paramètres qui influencent les réactions d’oxydoréduction du fer dans les silicates vitreux ou liquides: fO2, température, basicité et composition.