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1.2 Les phénomènes d’oxydoréduction dans les silicates fondus .1 Généralités

1.2.4 Évaluation et mesure de l’état rédox d’un silicate vitreux ou fondu

Plusieurs méthodes expérimentales permettent d’évaluer ou de mesurer l’état redox global d’un verre. Les connaissances sur les réactions d’oxydoréduction et, en particulier, sur les paramètres qui peuvent avoir une influence ont conduit à l’établissement d’une classification des couples redox et de modèles empiriques d’estimation du rapport redox dans un verre ou un silicate fondu, utilisés dans les industries nucléaire et verrière ou dans le domaine universitaire en Sciences de la Terre.

a) Méthode empirique des verriers

Les verriers utilisent de nombreuses matières premières pour réaliser leurs verres : du sable, du carbonate de calcium, du carbonate de sodium, de la magnésie ainsi que des composés alumineux auxquels sont ajoutés des agents affinants qui pour certains possèdent un effet

oxydo-réducteur. Par exemple, il y a avantage à utiliser le sulfate de sodium par rapport au sulfate de calcium comme oxydant [Chopinet et al., 2002; Houdaer, 2005]. Les verriers ont besoin de connaître la contribution sur l’état redox des matières premières utilisées pour constituer le mélange vitrifiable et maîtriser l’état d’oxydation du verre. Ils ont ainsi défini un facteur d’oxydoréduction appelé « Nombre Redox ». Ce facteur permet de déterminer l’état redox théorique d’un mélange vitrifiable [Simpson et Myers, 1978]. Des coefficients, appelés « indices de Simpson » ont été determinés expérimentalement. Des valeurs négatives de -0.1 à -1.9 ont été attribuées pour les espèces réductrices comme le carbone graphite, l’anthracite ou encore le chromate de fer et des valeurs positives, de +0.19 à +1.20, ont été attribuées pour les espèces oxydantes comme le sulfate de sodium, le cérium, ou encore le nitrate de potassium. En utilisant ces valeurs, les verriers attribuent un nombre redox au mélange vitrifiable. Les verres oxydés sont alors de signe (+) et les verres réduits de signe (-).

b) Les modèles de prédiction du rapport rédox du fer

Connaître le rapport rédox des silicates fondus a motivé de nombreuses études afin de pouvoir le prédire en fonction de la température, de la composition et de la fugacité en oxygène. Les premières expériences furent menées par Fudali [1965]. Sack et al. [1980] ont ensuite suivi une approche purement empirique en faisant l’hypothèse que les effets de la fugacité en oxygène et de la température sur le rapport rédox ne dépendaient pas de la composition. Dans ce cas, à température et fO2 constante, le rapport rédox est une fonction additive des concentrations des différents oxides. Ils établirent leur modèle pour une large gamme de compositions d’intérêt géochimique. Kilinc et al. [1983] ont ensuite complété et affiné ce modèle par des données supplémentaires de rapport rédox.

En s’appuyant sur l’amélioration de modèles antérieurs [Sack et al., 1980; Kilinc et al., 1983] développés dans le laboratoire de Ian Carmichael de l’université de Berkeley, Californie, Kress et Carmicahel ont développé un modèle de prédiction du rapport rédox pour des compositions d’intérêt géologique [Kress et Carmichael, 1988, 1991]. À partir d’un grand nombre d’expériences menées sur des compositions d’aluminosilicates contenant des alcalins et alcalino-terreux avec des taux de fer ‘FeO’ variant de 1% à 15% (massiques %) ils ont établi un modèle d’estimation du rapport rédox d’équilibre dans les silicates fondus. Les expériences ont été menées à des températures situées au-dessus de la température de liquidus (1203-1873 K) et des fugacités allant de celle de l’air à 10-21 atm.

Ce modèle est résumé par l’équation (1.19), reliant le rapport Fe3+/ΣFe aux paramètres précédents (fO2, T) :

LnXliqFe2O3

XliqFeO = a ln fO2 + b

T+ c + "diXi

,

(1.19)

Tableau 1.2: Paramètres intervenant dans le modèle de Kress et Carmichael [1988, 1991].

A b c dSiO2 dAl203 dFeO dNa2O dMgO dK2O dCaO 0.20 12909 -5.70 -2.74 -2.24 1.55 8.42 -5.44 9.59 1.46

D’après le tableau 1.2, il est intéressant de noter que les paramètres associés aux oxydes SiO2, Al2O3 et MgO sont négatifs. Une augmentation des pourcentages molaires de ces constituants entraîne une croissance du rapport Fe3+/ΣFe(verre oxydé). Au contraire, pour des oxydes comme Na2O, K2O, CaO, FeO, il est préférable de diminuer leurs teneurs pour obtenir le même effet.

Partzsch et al. [2004] ont montré que le modèle de Kress et Carmichael reproduisait généralement les rapports rédox observés avec une barre d’erreur de ± 0.05. Cependant des divergences jusqu’à 0.1 peuvent être observées pour les compositions felsiques ou pour des conditions très oxydantes.

Le modèle de Kress et Carmichael est très utile et pratique d’emploi. Toutefois, ce modèle empirique n’est applicable qu’au cas du fer et n’est pas adapté aux compositions plus complexes, contenant du bore par exemple. Dans ce cas, des expériences supplémentaires sur ce type de compositions seraient nécessaires.

Il existe aussi d’autres modèles de prédiction du rapport rédox. Par exemple, le modèle d’Ottonello et al. [2001] basé sur le concept acide-base est intéressant pour prédire le rapport rédox des silicates vitreux et fondus. Ce modèle a pour point de départ celui de Toop et Samis [1962] (d’après Ottonello et al. [2001]) décrivant les réactions de spéciation de l’oxygène dont les constantes d’équilibre sont déterminées par des données de basicité optique et le caractère amphotérique de Fe2O3. Les activités des oxydes de fer sont alors obtenues par le modèle de Temkin [1945] (d’après Ottonello et al. [2001]) tenant compte des rôles de formateur et modificateur de réseau du fer et des autres cations avec, entre autres, comme paramètres, l’électronégativité et le caractère ionique de la liaison. Un des avantages majeur ce modèle thermodynamique est la bonne précision du rapport rédox prédit, similaire au modèle de Kilinc et al. [1983] avec cependant l’utilisation de moitié moins de paramètres ajustables.

c) Les méthodes expérimentales

Les techniques expérimentales qui permettent de caractériser l’état redox d’un verre peuvent être utilisées sur le verre directement ou sur le silicate fondu. Nous présenterons ici succinctement les différentes techniques connues à ce jour.

c1) Analyse sur le verre

Le rapport redox du fer peut être déterminé directement par spectroscopie UV, par spectroscopie Mössbauer ou encore par analyse chimique par voie humide. Ces deux dernières méthodes sont décrites dans la partie expérimentale de ce rapport. Ces techniques supposent que les concentrations de différentes espèces n’évoluent lors de la trempe, ou lors de la mise en solution pour analyse. Il est important de noter ici que l’état redox d’un liquide silicaté contenant plusieurs éléments multivalents peut être modifié lors de la trempe. Si le verre contient plusieurs couples rédox, des échanges électroniques peuvent en théorie se produire entre les couples rédox lors du refroidissement. Par exemple, Berry et al. [2003a], ont montré que pour un basalte naturel contenant du chrome et du fer, la réaction suivante se produit lors de la trempe :

Cr2+ + Fe3+ => Cr3+ + Fe2+ (1.20)

c2) Analyse in-situ

Récemment, en utilisant la spectroscopie d’absorption des rayons X XANES, Berry et al. [2003a, 2003b] et Magnien et al. [2004, 2006, 2008] ont montré qu’il était possible de déterminer in-situ le rapport redox d’un silicate porté à haute température et de suivre les cinétiques d’oxydoréduction dans le temps en fonction de la température [Magnien et al 2006, 2008]. L’utilité de la spectroscopie Raman pour déterminer le rapport rédox du fer a aussi été démontré par Magnien et al. [2006, 2008] pour des silicates d’alcalins et alcalino-terreux, Di Muro et al. [2009] pour des compositions rhyolitiques et basaltiques.

Les techniques électrochimiques [Pascova et Rüssel, 1996; Claußen et al., 1999; Wiedenroth et Rüssel, 2002; 2003] peuvent aussi être utilisées dans l’étude des silicates fondus car ces milieux sont conducteurs ioniques. Leur application permet de réaliser des mesures

in-situ et de s’affranchir des incertitudes liées à l’état de trempe pour les liquides contenant

plusieurs éléments multivalents. Ces techniques permettent de caractériser l’état redox du verre fondu et les propriétés redox des cations au sein du silicate fondu. Deux techniques sont principalement utilisées :

- À condition de connaître la relation Fe3+/ΣFe=f(fO2), la potentiométrie permet de mesurer la pression partielle en oxygène du bain de verre. La connaissance de cette grandeur caractérise l’état redox du bain de verre.

- La voltamétrie permet la mesure du potentiel d’oxydoréduction du ou des couples redox présents au sein du liquide.

Le rapport redox d’un couple multivalent peut être évalué par le couplage de ces deux techniques. Ces techniques ont permis d’aboutir à une classification des couples redox [Di Nardo 2003; Pinet et Di Nardo, 2000].