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Regulus : fidei pietatisque exemplum

II 1 Hercule est ses héritiers dans les Punica

VI. 4. Regulus : fidei pietatisque exemplum

Dans les Punica, Regulus est peint comme un guerrier valeureux face au serpent de Bagrada, mais aveuglé par sa fiducia excessive dans son duel contre Xanthippe494. La narration des actions de Regulus depuis sa capture par les Puniques souligne la réunion - chez ce personnage - de la fides, pilier essentiel du socle des vertus romaines dont le héros est naturellement imprégné495, de la pietas et de la patientia révélée au grand jour par l'épreuve présente.

La narration des actions de Regulus depuis sa capture par les Puniques souligne la réunion chez ce personnage de la fides et de la patientia, révélée au grand jour par l'épreuve à laquelle il est soumis496 pour lui donner un statut exemplaire. Le couple fides-patientia se greffe sur la virtus guerrière du consul, à laquelle la terminologie martiale employée par Silius les raccorde497. C'est une alliance des deux vertus cardinales romaines avec la qualité stoïcienne véhiculée par la patientia qui fait de Regulus un « exemplum virtutis 498» au plein sens du terme et qui permet au poète de dire « et sa vertu ne s'est point démentie que la vie n'ait abandonné son corps/toujours en lutte ».C'est à cette vertu que rend hommage

494

Silius Italicus, Punica, VI, 333.

495Silius Italicus, Punica, VI, 64-132, 378, 468, 517, 548, 579. 496Silius Italicus, Punica, VI, 125, 376,545.

497Silius Italicus, Punica, VI, 545 - 546 « patientia cunctos/haec superat currus ». (Pareille endurance surpasse

tous les triomphes remportés).

498

155 Marus499;c'est elle que l'épouse de ce héros – Marcia - déplore et qualifie de nimia500 , mais dont l'immortalité est au contraire louée dans la péroraison du discours du soldat501. La

virtus de ce héros romain prend chez Silius Italicus une coloration hautement morale, comme

c'était d'ailleurs déjà le cas chez Cicéron502.

Chez Regulus, le dépassement de la valeur guerrière s'effectue par sa combinaison avec la pietas, lorsqu'il accepte de se sacrifier pour sa patrie. Le dévouement du consul pour sa patrie- préférant la mort dans de terribles supplices par la main de ses ennemis carthaginois plutôt que de manquer à la parole donnée à ceux-ci de revenir à Carthage- représente le paroxysme de la pietas et de la fides. Il est clair que l'heureuse rencontre de ces deux vertus prédisposait le chef romain à l'apothéose astrale dans la lignée d'Héraklès. Il offre par là même un brillant exemple de don de soi allié à une bravoure sans faille. Pietas, virtus et fides sont les

composantes essentielles du sacrifice de lui-même que fait le consul comme elles le sont de l'héroïsme de Scipion l'Africain.

Regulus est donc passé du statut du soldat courageux à celui d'un homme vertueux, digne de l'apothéose, à l'instar d'Hercule auquel il est comparé. En effet, E.Basset,dans son étude Regulus and the serpent of Bagrada503 a démontré que la geste de Regulus du chant VI

s'apparente à celle du héros à la massue en raison de son action d' exterminateur de créatures monstrueuses et de sa marche volontaire et intrépide vers le supplice qui fournit au poète une occasion de le référer à la fin d' Hercule sur l'Oeta504 :

« vixdum clara dies summa lustrabat in Oeta

Herculei monumenta rogi, cum consul adire accirique iubet Libyas »

(A peine, au sommet de l'Oeta, l'éclat du jour éclairait-il le monument dressé sur le bûcher d'Hercule,que le consul ordonne d'aller quérir les Libyens. »)505

P.Hardie506affirme: « Regulus displays the better fortitude of patience and heroic martyrdom. »

499Silius Italicus, Punica, VI 125 : « nec virtutem exuit ullam/ante reluctantes liquit quam spiritus artus. » (Et sa

vertu ne s'est point démentie que la vie n'ait abandonné son corps toujours en lutte.)

500

Punica, VI 404 « infelix nimia magni virtuti mariti. » (...qui devait son malheur à l'excès de vertu de son

noble époux.)

501Silius Italicus, Punica, VI, 548 « dum virtutis venerabile nomen vivet.» (Tant que de la vertu subsistera le

nom vénérable)

502Cicéron, De Finibus, II, 65. 503

CP, L, 1955.

504Silius Italicus, Punica, VI, 452-454.

505J.Liebeschuetz,Continuity and change in Roman religion,Oxford,1979, écrit à propos de ce passage: « The

choice of this artificial periphrasis...can have no other purpose than to point out that another act of Herculean suffering was in preparation. »

156 En effet, dans ce passage, les allusions herculéennes vont dans le sens d'une connotation stoïcienne chère à l'Ancien Portique : celle d'un héroïsme ascétique fondé sur l'épreuve de la souffrance, auquel le poète flavien mêle de nombreux détails qui relèvent de la

traditionnelle Romana virtus507.

Regulus est un exemplum virtutis approchant le divin508. Le consul est, à sa manière, un

alter Hercules. Il est un émule du héros à la massue auquel il s'apparente par une filiation

spirituelle. D'une certaine manière, Régulus représente une synthèse entre les vertus des Romains de l'ancien temps et celle du héros grec. La geste du général romain occupe une place charnière dans le récit des guerres puniques : placée à la fin de la première hexade, elle est orientée vers le passé - par son énonciation rétrospective - mais aussi vers l'avenir

puisqu'elle anticipe les actions héroïques des généraux romains509. En effet, le récit de Marus n'a pas seulement l'intention de servir d'exemplum mettant en avant la pietas et la fides que les Romains devront récupérer pour surmonter leurs échecs et écraser ceux à qui manque toute vertu - les Carthaginois - ; il sert également de démonstration de la manière dont les plus dures épreuves contribuent à révéler les Romains à eux-mêmes,et à faire naître chez eux une sorte d'héroïsme qui calque celui des dieux.

Du reste, Silius Italicus tend à disculper le vieux soldat et à le glorifier davantage. En effet, l'association de l'ardeur guerrière à une folie « insania » est traditionnelle dans l'épopée510. La fureur dans le feu du combat est une donnée tout à fait ordinaire dans le contexte épique, et le pieux Enée n'en est pas exempt511. L'auteur des Punica anoblit cet emportement, qui permet de passer sous silence les erreurs tactiques du consul 512 :

506P.Hardie, The epic successors of Virgil, a study in the dynamics of a tradition, Cambridge, 1993, p 70. 507Cf M.Billerbeck, Aspects of stoicism in Flavian epic, 1985, vol. V, p. 352 : « ...The patriotic and roman

aspects of Regulus' self sacrifice or devotio outweighs any purely philosophical interpretation of the story. ».Concernant la valeur symbolique de la bataille contre le serpent de Bagrada dans ce contexte, cf.

P.Hardie, loc cit, p.70-71.

508Silius Italicus, Punica, VI, 426. C’est ce qu'affirme d'ailleurs son fils, (416 - 417).

509Hardie, loc cit, p. 70: « but in Regulus we are also introduced to a revaluation of the nature of epic heroism

that will be continued in the figures of Fabius Cunctator and Scipio Africanus. »

510Cf. Punica, VI, 625: « Atque idem, perfusus sanguine victor hostili. »; Enéide, VII, 461: « saevit amor ferri et

scelerata insania »

511

Virgile, Enéide, XII, 495 sq.« Tum uero adsurgunt irae; insidiisque subactus, diuersos ubi sensit equos

currumque referri, /multa Iouem et laesi testatus foederis aras /iam tandem inuadit medios et Marte secundo /terribilis saeuam nullo discrimine caedem/ suscitat irarumque omnis effundit habenas. / Quis mihi nunc tot acerba deus, quis carmine caedes diuersas obitumque ducum, quos aequore toto inque uicem nunc Turnus agit, nunc Troius heros, /expediat? Tanton placuit concurrere motu. / Iuppiter, aeterna gentis in pace futuras? (Mais

alors la colère d'Énée éclata, et cette traîtrise l'exaspéra / dès qu'il vit chevaux et char se dérober; longuement,/il prit à témoin de la violation du traité Jupiter et les autels, / puis finalement rejoignit la mêlée, où, grâce à l'appui de Mars,il se livra, terrifiant, à un massacre sauvage, aveugle, / lâchant complètement les brides de ses fureurs. Quel dieu pourrait m'expliquer maintenant tant d'atrocités,

157 « Abripuit taxitque virum, fax mentis honestae,

gloria et incerti fallax fiduci Martis »

(Le héros se laissa ravir et emporter par l'amour de gloire, ce flambeau des cœurs généreux,et par sa trompeuse confiance dans le sort des batailles).

Ces vers et les suivants513 confirment le parti pris du poète flavien qui tient à amoindrir la responsabilité historique de Regulus dans la défaite romaine. D'ailleurs, le poète va même jusqu'à inventer le motif de la ruse de Xanthippe514 pour justifier l'échec du consul tout en reprenant le topos de la fraus Punica qui contamine ici un allié de Carthage - mère de toutes les tricheries - comme la fides Romana gagne à d'autres endroits les alliés de Rome. En outre, l’explication de la folle assurance de Regulus515

et sa témérité brouillonne en termes de psychologie héroïque, confèrent une certaine grandeur à son erreur tactique. La teinte de reproche contenue dans l'expression « fallax fiducia », est tout de suite dissoute dans l'optique des incertitudes de la guerre « incerti Martis », et adoucie par un éloge de la gloria qui est présentée comme « fax mentis honestae » qui tourne à l'avantage du consul sa précipitation car il en va de la grandeur de Rome. Ce qui l'oppose à Hannibal qui, lui, est aveuglé par une obsession de gloire strictement individuelle. Car le souci de gloire épique chez le Barcide l'emporte sur son attachement à sa patrie, Carthage : Junon, épousant les traits d'un berger et venue consoler son protégé après sa défaite à Zama le trouve « versantem

ingloria fata »516.

Regulus, qui, au début de sa geste, est un intrépide guerrier entraîné par une soif

inextinguible de gloria, devient par la conjugaison de ses qualités supérieures - pietas, fides,

patientia et devotio - une incarnation vivante de la vertu. Il mérite à ce titre une gloire

suprahumaine « longo reuirescet in aevo gloria »517.

Le récit de Silius Italicus s'écarte de la tradition classique relative au consul et le poète se contente de de développer par le moyen de l'amplification épique et des ornements

mythologiques la légende classique de Regulus. Chez lui, le consul est associé à Hercule, champion de la civilisation qui fait reculer la barbarie partout où il se rend518. Il s'agit ici d'une interprétation militaire de la fonction civilisatrice du fils d'Amphytrion.

à travers la plaine ?As-tu donc décidé, Jupiter, de faire se battre avec une telle fureur des peuples destinés à vivre dans une paix éternelle ? »

512Silius Italicus, Punica, VI, 332.

513Silius Italicus, Punica, VI, 335 « insano pugnae tendebat amore » (tout à son désir forcené de combattre.) 514

Silius Italicus, Punica, VI, 326 « fraudem nectens » (préparant un piège)

515Polybe, I, 345 sq.

516 Silius Italicus, Punica, XVII, 569.

517Silius Italicus, Punica, VI, 546. (Tout au long des âges refleurira sa gloire.) 518

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